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Kama![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Quand on règne sur quelques trente acres Ă l'ouest et cent fois plus au moyen-est, il faut faire le choix de l'endroit oĂą on vit. Pauvres grand propriĂ©taires, qui doivent choisir entre administrer leur domaine directement et une vie dans CitĂ© ! Vraiment, c'est lĂ une manière de vivre plus atroce que toute autre. En tous cas, c'est dans ce malheur que se complaisait le sire Verpect, simple gouverneur aux ordres de Son Excellence. Le sire Verpect se trouvait dans la petite cathĂ©drale qui lui servait de salon. Il maugrĂ©a mentalement face Ă sa jeunesse, qui soixante ans plus tĂ´t avait dĂ©cidĂ© de se crĂ©er un autel aussi mal isolĂ©. Il attendait depuis trois jours sans dormir, bien campĂ© sur ses pieds et de mauvaise humeur qu'on vienne le trouver. Mais enfin la grande porte de mĂ©tal s'ouvre, et quelques paysans patauds, la bouche ouverte – comme pour gober des mouches – sont rĂ©vĂ©lĂ©s Ă leur seigneur. Un regard Ă©nervĂ© plus tard, et ils ne sont plus dans son champ de vision. Le sire se tourna donc vers son invitĂ©, tâchant d'avoir l'air aimable. Face Ă lui est bien celui dont il avait demandĂ© les services, un cavalier postĂ© sur une crĂ©ature reptilienne. Le cavalier portait un masque lisse et sans orifices, pas mĂŞme pour les yeux. — Bienvenue, maĂ®tre-soir. — Merci pour votre accueil, vieux sire. La voix du maĂ®tre-soir passe pour ennuyĂ©e, mais le sire n'a pas de mal Ă y discerner un certain soulagement. Hochant la tĂŞte, le sire invite son invitĂ© Ă s'asseoir sur un des coussins qui se situe aux cĂ´tĂ©s de la banquette ornĂ©e sous l'autel. — Bien voyagĂ© ? Mes propriĂ©tĂ©s ne vous ont pas trop importunĂ©. — Je n'ai pas mangĂ© depuis cinq jours, mais Ă part ça tout va bien. En tailleur sur les coussins, la tĂŞte de son reptile sur les genoux, le maĂ®tre-soir semblait en effet aller bien. Après une expiration profonde, il reprit la parole. — C'est bien d'avoir en face de soi quelqu'un qui sait parler. Ce n'est pas pour critiquer votre propriĂ©tĂ©, mais ils parlent lentement tout de mĂŞme. — Oh, c'est normal. Je les emploie d'un camp bien plus est que ma propriĂ©tĂ©. Ils viennent cinq jours et repartent se reposer, relevĂ©s Ă chaque fois. Ils ne peuvent pas dormir sur mes terres, ça serait bien sale tout de mĂŞme. — Je vous comprends bien, sire. Quelque nourriture ne serait pas de trop, je commencerais presque Ă avoir sommeil. — Mes artificiers ont prĂ©parĂ© de quoi vous satisfaire, ne vous inquiĂ©tez pas. Mais passons aux affaires sĂ©rieuses. Le visage du sire Verpect venait de changer d'aspect, alors qu'il prenait place sur l'autel. Le reptile du maĂ®tre-soir se raidit, et la voix du sire changea quand elle reprit. — Une crĂ©ature a remontĂ© Fleuve. Un de mes artificiers est allĂ© enquĂŞter, et en a dĂ©duit qu'elle venait d'Arradie. Vous aurez accès Ă son rapport complet. Son Excellence Ă©tant stricte sur la conduite Ă suivre dans ces cas-lĂ , je vous ai fait appeler. — Quelles sont les caractĂ©ristiques de cette chose ? — Toutes les neuf nuits, elle double de taille. Un de mes artificiers l'a comparĂ©e Ă un ver. — Comment ! — Je l'ai fait exĂ©cuter et ai fait tanner sa peau. — Vous avez bien agi, sire. Nul ne saurait mĂ©dire pareillement sans consĂ©quences. — C'est lĂ chose claire. Je reprends ; cette crĂ©ature malĂ©fique a dĂ©vastĂ© un de mes champs et tuĂ© trois de mes bĂŞtes. Pour une crĂ©ature qui a l'audace d'imiter la forme d'un ver, le courage absurde Ă©tait de mise. Le sire Verpect fit une pause, semblant rĂ©flĂ©chir. Le maĂ®tre-soir n'Ă©tait Ă©videmment pas dupe, sachant que tout Ă©tait prĂ©parĂ© Ă l'avance, comme toujours. — Attention cependant, reprit le sire. On m'a dĂ©crit la gueule de cette crĂ©ature comme un profond puits de dents, il ne faudrait pas vous blesser Ă la tâche. L'invitĂ© se contenta de hocher la tĂŞte, voyant le non-dit aisĂ©ment. Après quelques instants de silence, il se leva, et suivant l'indication de son hĂ´te, se dirigea vers une alcĂ´ve de la cathĂ©drale. S'installant dans l'alcĂ´ve, allongĂ© face contre terre, il n'eut pas Ă attendre très longtemps avant qu'une figure masquĂ©e arrive proche de lui, apportant une coupe bleue avec elle. Le maĂ®tre-soir ne bougea pas quand le contenu de la coupe bleue fut renversĂ© sur sa tĂŞte. Il ne bougea pas non plus quand le contenu commença Ă bouger. Quoique, grouiller serait un meilleur mot. Les vers contenus dans la coupe commencèrent leur long voyage sur le corps du maĂ®tre-soir, rampant vers le sol. Derrière leur passage, le corps du citadin se trouvait transformĂ©, plus tendre, movible Ă l'extrĂŞme. Le dernier ver finit sa traversĂ©e et s'enfonça dans la pierre de la cathĂ©drale comme dans un liquide, laissant derrière lui un corps ramolli. Une nouvelle figure masquĂ©e s'approcha, tenant un bâton Ă deux mains. Suivant les graduations inscrites dans l'alcĂ´ve, elle frappa Ă plusieurs reprises la carcasse ramollie, suivant un schĂ©ma incomprĂ©hensible mais pourtant fonctionnel, puisque les sensations du maĂ®tre-soir finirent par revenir, de mĂŞme que la soliditĂ© de son corps.
Le maĂ®tre-soir Ă©tait Ă nouveau sur sa monture, aussi immobile que possible sans que cette dernière s'inquiète. Pour la première fois depuis presque un an, il avait enlevĂ© son masque, sachant que personne ne pourrait le voir aussi loin de CitĂ©. Il Ă©tait parti de chez son hĂ´te trois heures plus tĂ´t, apportant des provisions qu'il avait dĂ©jĂ englouties. La seule chose qu'il tentait d'engloutir plus rapidement Ă©tait l'air frais autour de lui. La bĂŞte avait Ă©tĂ© signalĂ©e pour la dernière fois dans les parages. Effectivement, la tranchĂ©e de terre retournĂ©e semblait indiquer le passage de quelque chose. Un grondement sourd commença Ă se faire entendre, provenant du sol mĂŞme. Problème, la nuit ne tombait pas. Se saisissant de son arc, le maĂ®tre-soir sortit sa flèche du carquois, dĂ©jĂ prĂŞt Ă tirer. La tranchĂ©e fut Ă©ventrĂ©e, et une crĂ©ature en Ă©mergea lentement, pesant bien sa dĂ©cision face Ă pareil intrus. Celui-ci dĂ©cida de ne pas tirer. Si ses bras restaient tendus, son arme ne visait pas directement la crĂ©ature. La chose ressemblait effectivement Ă un ver, quand bien mĂŞme pareille comparaison n'Ă©tait pas très juste Ă la grandeur des vers. Sans que rien de plus ne s'anime sur la surface du corps de la bĂŞte, sa voix rĂ©sonna. — Citadin, je te crache. — J'entends tes mots, monstre. On te dit venir d'Arradie, est-ce vrai ? — Demande Ă ta Tour. — HĂ©las je crains que la Tour n'accepte pas vraiment des requĂŞtes sans raisons... RĂ©ponds et tu me fourniras l'excuse parfaite ! — Tour, CitĂ©, quelle pauvretĂ©. En Arradie nous vivons. Nous vivons mĂŞme mieux. — Ah, tu rĂ©ponds enfin ! Je peux donc te mettre Ă mort. — Pauvre d'âme, encore. — Oui, parce qu'une crĂ©ature comme toi peut comprendre la richesse des âmes sous le signe de CitĂ©. En garde ! Le maĂ®tre-soir n'attendit pas de rĂ©action et tira son unique flèche. L'instant d'après, la bĂŞte Ă©tait coupĂ©e en deux. Rangeant son arc, il remit son masque et guida sa monture vers la scission bĂ©ante dans le corps du pseudo-ver. RĂ©cupĂ©rant le mètre d'acier finement travaillĂ© qu'il appelait sa flèche, il repartit. Vers CitĂ©, donc. Vers la Tour aussi, si l'Arradie avait dĂ©sormais accès Ă Fleuve, les vieux barrages ne contenant plus ces barbares sans-dieux. Le maĂ®tre-soir n'Ă©tait pas inquiet. Après tout, le frisson qui venait de parcourir le corps de la crĂ©ature abattue Ă©tait tout Ă fait normal pour un cadavre. Les arradieux n'Ă©tait pas capables de rĂ©sister Ă la mort non plus...
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