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Ellumyne![]() Spectacles![]() Les aventures du Professeur Istique et de Claire Voyance
![]() ![]() Du rififi à l'atelier(par Ellumyne)L'obscurité profonde combinée à une odeur doucereuse, presque écœurante, engluait l'atelier dans une atmosphère pesante. Des blop blop discrets émanaient de béchers entreposés sur un plan de travail usé par des décennies d'utilisation aussi intensives que peu soigneuses. Soudainement, une vive lumière illumina les cieux à l'extérieur, éclairant les lieux par le biais d’une unique lucarne poussiéreuse. Le grondement qui suivit sembla déchirer le ciel de toutes ses forces, et fit trembler le sol. Des flacons s'entrechoquèrent dans un tintamarre et une fiole plus fragile que les autres se brisa net lorsqu'une mallette à dessin, déséquilibrée par la secousse, lui tomba dessus. Le liquide jaunâtre qu'elle contenait se déversa sur le sol, imbibant au passage les différents outils étalés par terre.
Une douce lueur phosphorescente nimba les alentours, apportant un peu de couleur dans cet océan d'austérité. Un froissement timide se fit entendre, brisant le silence ambiant.
— Mais que… que s’est-il passé ? Ahhhh ! Je suis toute inondée !
Une délicate feuille de papier tentait de se redresser malgré le liquide qui la ventousait au plancher. Un élégant crayon, qui la regardait avec un air hautain, s'étira avant de prendre la parole.
— Voyons Feuille, calmez-vous. Vous risqueriez de gondoler.
— Parlez pour vous ! Vous n'êtes qu'un goujat. A passer sur toutes mes sœurs et à les jeter quand elles ne vous plaisent plus ! Jamais vous ne poserez votre pointe sur mon corps.
— Cela est certain. Maintenant que vous êtes trempée des pieds à la tête, je ne me risquerais pas à abîmer ma merveilleuse coiffure de graphite sur vous…
Un éclat de rire les interrompit dans leur joute verbale.
— Ta merveilleuse coiffure ? Nan mais t'as vu ta p'tite mine ? T'es tout chauve mon pote ! Hahaha ! Notre chute t'a pas arrangée dis-donc.
— Plaît-il ? Je… Oh nom d'un Picasso…
Le crayon se regarda dans la flaque de liquide et blêmit en examinant sa pointe cassée net.
— Taille-crayon ! Taille-crayon, venez ici immédiatement me refaire une beauté ! Je ne puis point rester dans cet état, voyons. Hum, Taille-crayoooooon ?
Seul le rire du troisième énergumène lui répondit.
— Laiss' tomber, tu vois bien qu'il a pas été touché par la potion magique, il peut rien pour toi. Un ronflement résonna non loin, contredisant ses dires.
— Ah bah si, en fait. C'est la premièr’fois de toute not' existence qu'on a la possibilité de faire c'qu'on veut, et l'autre là , il s’tape sa meilleure sieste…
— TAILLE-CR…
— Mais elle va s’taire la diva ? Déjà que j'passe mes journées à effacer tes conneries, pas question que j'supporte en plus ta voix de crécelle !
Le jeune outil de dessin s'étrangla dans un gargouillement de surprise et de rage. Comment une vulgaire gomme pouvait autant lui manquer de respect ? Après tout, la seule raison d'exister de cette chose était de nettoyer derrière les autres.
— Hum, moi au moins, je prends soin de mon apparence. Cela ne semble pas être le cas de tout le monde ici !
— Hein ? Qu'est' tu dis ? Que chuis sale parc'que j'ai perdu ma blancheur d'antan ? Si tu foutais pas du graphite partout, j'aurais pas besoin de récurer derrière tes fesses. Colorier sans dépasser des lignes, c'est niveau maternelle, j'te signale !
— Manifestement, vous ne devez pas vous laver très souvent. A l'inverse, voyez-vous, mon propriétaire se préoccupe de mon bien être.
— Ouais, je sais, j'lai déjà vu faire. Miam, de bonnes grosses léchouilles, c'est clair que ça donne envie. T’as jamais remarqué que t'étais tout mâchouillé mon pote ? Person' ose te toucher à part not' bon vieux professeur Mystique.
— N'insulte pas notre merveilleux professeur Istique !
— Ouais, ouais, m'enfin t'admettras que l'vieux fou est un peu mystique.
— Ça suffit vous deux !
La feuille se tortillait sur le sol, secouant vigoureusement chacun de ses coins pour en Ă´ter toute trace de liquide.
— Vous n'avez pas honte de vous quereller pour des broutilles ? Le plus important, c'est le résultat de nos actions combinées. Toi, Crayon, tu dessines à merveille !
— Je sais, je sais ! Je suis le meill…
— Et toi, Gomme, ton travail est remarquable pour dissimuler la moindre imperfection.
— Merci, merci, mais…
— Alors pourquoi ne travaillez-vous pas main dans la main au lieu de constamment vous chamailler comme des gamins ?
— Hum…
— Euh…
— Parce qu'en attendant, combien de feuilles sont parties à la poubelle ? Combien de mes sœurs sont mortes car vous n'arriviez pas à trouver un accord ? Combien de souffrances auraient pu être évitées ?
Les deux concernés ne surent pas quoi répondre à cela. A vrai dire, ils n'y avaient jamais vraiment pensé auparavant. Penauds, ils la laissèrent continuer sans piper mot.
— Je… je sens mes forces me quitter. Les effets de la potion ne dureront plus très longtemps. Alors j'aimerais une chose. Que vous fassiez la paix. Promettez-moi que demain, quand le professeur reviendra, vous agirez de concert pour produire le plus beau dessin de toute votre existence. D'accord ?
La somnolence gagnait de plus en plus le crayon et la gomme qui sellèrent leur pacte d'un hochement de tête avant de sombrer dans l'inconscience. La feuille les observa consciencieusement pour vérifier qu'ils étaient bien retournés au pays des objets inanimés avant de partir dans un rire hystérique.
— Mouhahaha, je vais bientôt arborer le schéma de l'invention la plus révolutionnaire de tous les temps ! Je vais… Je vais avoir plus de valeur que ces deux têtes de nœud. Ils seront usés jusqu'à la corde, et quand ils deviendront inutilisables, ils seront jetés, comme de vulgaires ordures, tandis que moi… Moi ? Je serai exposée au Concours Lépine ! Telle la star que je suis, on me prendra en photo, on fera des reproductions de ma personne et le monde entier se pâmera devant mon incommensurable beauté…aïe !
La feuille regarda autour d'elle pour trouver l'origine de la vive douleur qu'elle venait de ressentir, et tomba nez à nez avec le taille-crayon. Ce dernier tenait un coin du papier dans sa bouche et en arrachait des lambeaux qu'il avalait goulûment.
— Qu'est-ce que… Mais vous êtes fou ? Lâchez-moi ! Je suis toute déchirée à cause de vous. Aïe ! Mais arrêtez voyons !
— J'ai… Faim… Et rien saurait tapisser un ventre mieux que de la bonne cellulose. Miam, miam, slurp.
Le regard torve, ce dernier continua son festin avant de s'écrouler de sommeil, la bedaine prête à exploser, sur une portion de feuille qui n'était plus que l'ombre d'elle-même. Le cri étranglé de cette dernière s'estompa doucement à mesure qu'elle sombrait, elle aussi, dans un coma sans rêves.
Comble de l'ironie, le professeur Istique ne sut jamais quels étaient les effets de sa précieuse mixture et son cerveau en surchauffe était déjà passé à une nouvelle idée géniale. Le seul bout de feuille encore exploitable fut utilisé pour rédiger une liste de courses avant d'être emporté par le vent et de finir dans un caniveau. Le crayon, ayant traîné dans un fluide peu ragoûtant, fut jeté à la poubelle, car même le savant n'était pas assez fou pour risquer de mâchonner une substance potentiellement mortelle. Seule la gomme s'en sortit à bon compte, puisqu'après un bon nettoyage, elle était redevenue blanche comme au premier jour. Et elle continuait maintenant sa bataille contre le graphite d'un nouveau compagnon. Le taille crayon, quant à lui, restait fidèle à lui-même, et selon la légende, ses ronflements se faisaient parfois entendre la nuit. Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !
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