L’homme d’âge mûr à la chevelure blanche comme la neige, s’assit en tailleur sur le dallage glacé, au milieu du hall d’entrée de l’antique château. Uniquement éclairé par un petit feu de bois qui peinait à réchauffer l’atmosphère et menaçait de s’éteindre à chaque courant d’air, Geralt de Riv repensait aux évènements qui l’avaient conduit ici. Les guerres incessantes entre les Nilfgaard et les royaumes du nord, l’invasion et l’anéantissement de Cintra par les Nilfgaardiens, la fuite de la petite Ciri qu’il tenta désespérément de sauver d’une mort atroce, ou pire, des griffes de politiciens qui cherchaient à l’utiliser à de mauvaises fins…

La politique n’était pas sa tasse de thé et il tentait tant bien que mal de survivre dans un monde où la violence régnait en maitre. Peu d’apprentis arrivaient à rester en vie suffisamment longtemps pour atteindre le rôle de sorceleur. Ils subissaient des modifications génétiques dès leur plus jeune âge afin d’obtenir une force colossale et une capacité de régénération supérieure à la moyenne. Leur rôle était de protéger le peuple des bêtes féroces qui peuplaient le monde, tantôt en leur ôtant la vie, tantôt en dissipant un sortilège. Mais malgré tout, ils étaient mal vu du commun des mortels. Au mieux, considérés comme des mutants, au pire, comme de la vermine.

Durant plusieurs décennies, Geralt avait parcouru des forêts, des montagnes, des mers, des marais dans l’espoir de retrouver une personne chère à son cœur. Et malheureusement, au détour d’un combat contre un mage, il fut aspiré par un portail de téléportation qui le propulsa dans un tout autre monde, au milieu d’une ruelle sombre. Il fut recueilli par un couple de magiciens et, en attendant de trouver comment retourner chez lui, il décida d’accepter le travail qu’on lui proposerait.

Clignant ses yeux d’un jaune aussi intense que ceux d’un loup, ses pensées se recentrèrent sur sa mission du jour : occire le basilic qui rôdait dans les sous-sols du donjon. Le sorceleur but une décoction à base de plantes, enduit le fil de son épée en argent d’une huile efficace contre les reptiles et ralentit sa respiration afin d’entrer dans une transe légère, le temps que le breuvage fasse effet sur son organisme.

Une fois prêt, Geralt prit la direction du deuxième étage du château, longea un long couloir désert avant d’atteindre une pièce circulaire, manifestement laissée à l’abandon depuis de nombreuses années. Cependant, un détail le surprit. L’un des lavabos était désolidarisé des autres, laissant entrevoir un trou béant vers des profondeurs insondables. Etrange. Personne n’était autorisé à entrer ici pourtant. Cela dit, tout ceci lui simplifiait bien la vie. Le sorceleur emprunta le tunnel sombre, et, soudainement enveloppé par les ténèbres, il se laissa glisser au fond de l’abîme. Heureusement, l’élixir du Chat qu’il avait absorbé lui permettait de voir dans le noir complet et il emprunta le seul chemin possible. Les ossements qui jonchaient le sol craquaient sinistrement sous ses pas malgré toute l’agilité dont il faisait preuve pour rester discret. Il arriva cependant sans encombre jusqu’à une salle immense, flanquée de part et d’autre d’une rangée de statues représentants des serpents, dont les yeux couleur émeraude resplendissaient sous la lumière vacillante des torches.

L’écho d’un sifflement se répercuta à travers le hall. Geralt tendit l’oreille et son ouïe accrue discerna des paroles. Une voix d’outre-tombe s’exclama « Tu ne la sauveras pas, il est trop tard Harry. ». Un jeune garçon, à genoux devant ce qui semblait être le corps inanimé d’une jeune fille rousse, hurla « Ginny ! Ginny, réveille-toi ! ». L’entité spectrale se mit à rire à gorge déployée avant d’émettre un long sifflement. Les murs se mirent soudainement à trembler et la voute, déjà fissurée, menaça de s’effondrer. Un museau triangulaire d’un vert sombre, de taille colossale, précéda un corps tout aussi gigantesque. Le serpent ondula sur la pierre humide, cherchant sa prochaine victime.

Le sorceleur évalua le danger en une fraction de seconde. Hurlant au jeune garçon de s’enfuir, il sortit son épée en argent d’un mouvement souple et se mit à courir vers le basilic. Tremblant de peur, Harry se réfugia sous une alcôve, laissant le champ libre à l’inconnu. Geralt, les yeux fermés pour éviter que le regard de la créature ne le foudroie sur place, s’arrêta puis calma sa respiration afin de se concentrer sur les bruits qui l’entouraient. Le son de chaque goutte d’eau qui tombait au sol, de chaque écaille du reptile qui frottait le sol, absolument tout, retentissait dans son oreille de manière amplifiée.

La lame de son épée placée à l’horizontale devant lui, le sorceleur suivait le moindre des mouvements de la créature. Soudain, un calme étrange l’enveloppa. Il resta sur ses gardes, sachant que le basilic s’apprêtait à passer à l’attaque. L’attente ne fut pas longue. Sifflant de colère, le serpent ouvrit subitement sa gueule et fondit sur l’homme aux cheveux blancs qui, d’un mouvement de poignet, transperça la tête hideuse de part en part. Un crochet venimeux s’enfonça dans son épaule, mais il n’en avait cure. Aucun poison ne pouvait tuer un homme de sa trempe. L’empoignant à pleines mains, il l’ôta de la blessure qui se mit à saigner abondamment.

— Noooon ! Comment est-ce possible ? hurla l’entité spectrale.

— Je ne sais pas qui vous êtes. On ne m’a embauché que pour débarrasser les lieux de ce basilic. Mais vous avez tenté de faire du mal à deux enfants innocents. Je ne peux pas laisser passer ça, gronda Geralt.

— Vous ne pouvez rien contre moi, cracha l’apparition translucide, comme pour mettre son interlocuteur au défi de tenter quelque chose.

— Vous n’êtes qu’un esprit, stocké dans un artefact par un puissant sortilège. Je ne suis pas mage, je ne peux donc pas défaire l’enchantement. En revanche, je peux tenter de détruire l’objet en question.

Joignant le geste à la parole, Geralt souleva son épée encore dégoulinante du venin du basilic et la planta avec force dans le petit journal abandonné aux pieds de la petite Ginny. Un rugissement s’éleva du spectre tandis qu’une lumière aveuglante illuminait le hall de pierre. Serrant les dents, le sorceleur fit pivoter sa lame pour faire le maximum de dégâts, avant de s’effondrer au sol, son front dégoulinant de sueur. Le poison n’était peut-être pas mortel, cependant il lui faudrait plusieurs jours de repos pour se remettre de sa vilaine blessure. Mais c’est avec soulagement qu’il perdit connaissance. Son devoir était accompli.