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Ellumyne![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Ange et dĂ©mon(par Ellumyne)Les intenses rayons du soleil se rĂ©verbĂ©raient sur le bitume de la cour de lâĂ©cole. La chaleur Ă©crasante de ce dĂ©but dâĂ©tĂ© ne semblait pourtant pas dĂ©courager les petits Ă©coliers de courir en tous sens, de jouer au ballon ou Ă la marelle. Seule une enfant se tenait Ă lâĂ©cart du brouhaha ambiant. Assise Ă lâombre dâun chĂȘne, la tĂȘte posĂ©e sur ses genoux repliĂ©s, ses longues boucles blondes cachant en partie son visage, elle observait dâun Ćil distrait les allĂ©es et venues de ses petits camarades, en attendant que la cloche sonne la fin de la rĂ©crĂ©ation.
â Laure ! Laure ! Tu viens jouer avec nous ? lui lança Mathilde, essoufflĂ©e.
â Euh⊠Je⊠bĂ©gaya Laure Ange, son cĆur battant soudainement la chamade.
Elle aurait tellement voulu pouvoir rĂ©pondre oui, et se mĂȘler aux autres, mais une petite voix intĂ©rieure ne cessait de lâen empĂȘcher. Câest vrai, aprĂšs tout, elle ne savait pas faire de corde Ă sauter. Si elle acceptait la proposition, alors elle se ridiculiserait et jamais elle nâaurait dâamies. Cela dit, câest en essayant que lâon apprend, alors pourquoi pas ? Oui, mais la cloche va bientĂŽt retentir, câest trop tard⊠Alors Ă quoi bon ? Le mieux est peut-ĂȘtre dâattendre la rĂ©crĂ©ation du lendemain.
â Laisse tomber Mathilde, elle veut jamais jouer avec nous⊠soupira une autre fille.
â JeâŠ
â Driiiiiiing
â DĂ©jĂ Â ? Bon, ben, Ă la prochaine ! sâĂ©cria Mathilde avec un grand sourire.
Se rendant compte quâelle avait retenu sa respiration tout le long de la conversation, Laure Ange inspira prĂ©cipitamment une bouffĂ©e dâair brĂ»lant tout en regarda le groupe qui sâĂ©loignait en riant. Pourquoi cette fille Ă©tait aussi sympa avec elle ? Mais Ă©tait-ce vraiment de la gentillesse ? Le doute germa soudainement en elle. Entendait-elle des rires de joie ou bien ses camarades se moquaient-elles dâelle et de son incapacitĂ© Ă venir sâamuser avec eux et Ă se fondre dans la masse comme nâimporte quelle Ă©coliĂšre de son Ăąge ? En plus, ils devaient sĂ»rement la trouver idiote de ne pas rĂ©ussir Ă aligner trois mots pour former une rĂ©ponse convenable.
Tentant de chasser ces sombres idĂ©es Laure Ange se releva, dĂ©poussiĂ©ra sa jupe blanche et sâĂ©lança dans la fournaise pour ne pas arriver en retard en classe. Il ne sâagirait pas de se faire remarquer par M. Truchon, son maĂźtre dâĂ©cole. Eblouie par le soleil, elle avançait, les yeux mi-clos, en direction de la porte de lâĂ©tablissement, lorsque tout Ă coup, une ombre gigantesque lâenveloppa des pieds Ă la tĂȘte.
La petite fille sâarrĂȘta brusquement avant de lever les yeux, mais le contre-jour lâempĂȘchait de voir ce qui lui faisait face. Aussi large que grande, toute de noir vĂȘtue, la crĂ©ature dĂ©bitait Ă une allure folle ce qui ressemblait Ă une suite ininterrompue de syllabes sans queue ni tĂȘte. EffrayĂ©e, Laura Ange eut un mouvement de recul, ne comprenant rien Ă ce que cette voix essayait de lui dire.
Cherchant du regard quelquâun qui pourrait lâaider, elle ne vit au loin que Maxence, lâĂ©ternel retardataire de sa classe. La gamine ouvrit la bouche, hĂ©sitant Ă crier pour attirer son attention. Mais ne se sentant pas vraiment en danger pour le moment, elle se retint, angoissĂ©e Ă lâidĂ©e de paraitre ridicule. Cela dit, elle ne voulait pour rien au monde arriver en cours la derniĂšre.
Alors quâelle reculait dâun pas supplĂ©mentaire, une main dĂ©charnĂ©e aux ongles noirs de crasse se posa sur son Ă©paule, lui faisant lâeffet dâune douche glaciale malgrĂ© la chaleur ambiante. Elle resta figĂ©e sur place, plus par peur que par la faible poigne de cet ĂȘtre Ă©trange. Ce dernier se pencha doucement en avant et posa ses yeux jaunĂątres sur elle tout en respirant profondĂ©ment lâodeur de ses cheveux. Le sourire que la crĂ©ature lança, les yeux pĂ©tillants de dĂ©sir, laissa dĂ©couvrir une rangĂ©e de dents irrĂ©guliĂšres, tantĂŽt se chevauchant, tantĂŽt trop Ă©cartĂ©es, comme si elles avaient Ă©tĂ© plantĂ©es au hasard.
â Te amo mi ĂĄngel. Ven conmigo, lui murmura-il Ă lâoreille en lui soufflant son haleine fĂ©tide au visage.
Ăngel ? Ange ? Comment cette monstrueuse crĂ©ature pouvait-elle bien connaĂźtre son prĂ©nom ? Alors que mille questions traversaient son esprit, la chose glissa son autre main dans une poche de son manteau et en sortit un bonbon Ă la fraise.
â Quieres ? lui proposa-t-il en tendant sa main vers elle.
La vue de la friandise dĂ©clencha comme un Ă©lectrochoc Ă la petite fille. Un souvenir lui revint brutalement en mĂ©moire. Le week-end dernier, alors quâelle Ă©tait attablĂ©e Ă la table de la cuisine, en train de dĂ©vorer des crĂȘpes au sucre encore toutes chaudes, sa mĂšre en avait profitĂ© pour lui assĂ©ner ses sempiternelles recommandations. « Tiens-toi droite, pas les coudes sur la table, ne parle pas la bouche pleine, ne mange pas la bouche ouverte. » Quâest-ce quâelle pouvait dĂ©tester quâon lui dise comment se tenir⊠Et lorsque la conversation avait dĂ©rivĂ© sur « Ne parle pas aux inconnus », Laure Ange se souvint avoir soupirĂ© dâennui. LassĂ©e dâentendre la mĂȘme chose chaque semaine, elle nâĂ©coutait plus sa mĂšre que dâune oreille distraite, prĂ©fĂ©rant observer par la fenĂȘtre un Ă©cureuil grimper aux arbres dans le jardin familial.
Cependant, en ce moment prĂ©cis, au milieu de la fournaise, face Ă cet ĂȘtre abject, une phrase ressurgit dans son esprit. Un ordre auquel elle nâaurait jamais imaginĂ© devoir obĂ©ir un jour. « Nâaccepte pas de bonbons dâun inconnu. Si cela tâarrive un jour, hurle ! ». Lâemballage rose de la friandise fut le dĂ©clic et bizarrement, la petite voix au fond de sa tĂȘte qui lâexhortait habituellement Ă ne pas se faire remarquer, resta silencieuse. Mue par une force invisible, Laure Ange ferma les yeux et entrouvrit sa bouche. Ses cordes vocales Ă©mirent un son pur et cristallin, capable de percer les tympans de quiconque aurait les oreilles fragiles.
â HĂ©, qui ĂȘtes-vous ? sâĂ©cria quelquâun au loin.
La pression sur son Ă©paule disparut dans lâinstant et les rayons du soleil atteignirent Ă nouveau le visage angĂ©lique de la petite fille. Mais cette derniĂšre ne sâen rendit pas compte, obĂ©issant aveuglĂ©ment Ă lâordre de sa mĂšre. Le hurlement devint de plus en plus strident Ă mesure quâil montait dans les aigus, mais les poumons de Laure Ange ne semblaient pas arriver un jour Ă court dâoxygĂšne. Des bruits de pas courants en tous sens, ainsi que des Ă©clats de voix, se firent entendre dans la cour.
â Rattrapez-le !
â Que quelquâun appelle la police !
â Comment est-il entré ?
Une Ă©treinte puissante mais dĂ©licate enserra la petite fille dont le cri sâĂ©tait maintenant transformĂ© en gĂ©missement. HĂ©bĂ©tĂ©e, le visage baignĂ© de larmes, elle souhaitait plus que tout au monde se lover dans les bras de sa mĂšre, sentir sa douce chaleur, Ă©couter sa voix rĂ©confortante.
â Tout va bien petite, tout va bien, il est parti, chuchota M. Truchon.
â M⊠MamanâŠ
â On va appeler ta maman, elle va venir te chercher, dâaccord ?
Une fois la police arrivĂ©e sur les lieux, ils ne purent rien tirer de lâĂ©coliĂšre, encore sous le choc. Sa mĂšre, hystĂ©rique, invectivait Ă qui mieux mieux le surveillant pour son incompĂ©tence, le maitre dâĂ©cole pour son inefficacitĂ© et le chef dâĂ©tablissement pour son incapacitĂ© Ă assurer la sĂ©curitĂ© des Ă©lĂšves. Lâinconnu, quant Ă lui, avait comme disparu de la surface de la terre. Il ne fut jamais retrouvĂ©. Le temps passant, plus personne ne reparla jamais de cet incident, et Laure Ange enfouit ce malheureux souvenir dans les trĂ©fonds de son esprit, avant de finir par le considĂ©rer comme un simple mauvais rĂȘve.
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