Innocente menace
(par Zandra-Chan)(Thème : Film d'horreur)
Quand je l’ai rencontrée, elle était plus petite que moi. Elle marchait à peine, de façon hésitante. Pendant longtemps, je crois que je lui faisais peur. Elle m’évitait, me fuyait du regard. Ce n’est que, quelques années plus tard, quand la ligne de nos regards s’est égalisée, que j’ai commencé à éveiller un intérêt chez elle. On a mis du temps à s'accoutumer l’une à l’autre, mais au final, on s’est bien entendues.
Comme tous les jours depuis un mois, on joue ensemble, dans sa chambre. Sa mère est affairée quelque part dans la maison – sans doute dans la cuisine – et son père pas encore rentré du travail. Elle m’a fait asseoir sur une de ses petites chaises, devant la table basse où elle a étalé sa dinette, pour discuter calmement. Enfin… “discuter”, selon ses critères. Elle monopolise la conversation et je ne compte plus le nombre de fois où elle parle pour moi. Je ne lui en veux pas pour autant ; elle est petite, elle a des choses à dire. C’est normal à son âge.
Tout en parlant, elle mime le remplissage d’une tasse qu’elle pousse vers moi… avant de me regarder fixement. De ses grands yeux innocents, elle m’observe, me scrute, m’analyse, m’examine, me dévisage. Elle, que l’on arrêtait pas un instant plus tôt, ne dit plus un mot. Quelque chose a changé dans la façon dont elle me détaille. Une gêne certaine s’installe – mon mal-être s’installe. Mon premier réflexe aurait été de me retourner, pour m’assurer qu’il n’y ait rien derrière moi qui suscite une telle attention, mais… je refuse de la quitter des yeux. Quelque chose ne va pas. Plus les secondes passent et plus j’ai la furieuse et glaçante sensation que je ne suis plus l’amie avec qui elle veut jouer, mais un cobaye sur qui elle veut essayer sa dernière idée farfelue. Et cette petite peut être… très “créative”. Je suis si tétanisée que je ne tremble même pas.
— Je vais demander Ă Maman oĂą sont les ciseaux, lâche-t-elle après une interminable minute de malaise silencieux.
Elle se lève et part en courant dans le couloir.
— Maman ?
Sa voix s’éloigne. Je ne peux toujours pas bouger ; je n’arrive pas à me décrisper. Cette petite fille d’apparence inoffensive vient de me regarder comme si elle voulait me disséquer. Et elle a dit qu’elle allait chercher quoi ? Des ciseaux ? Pour quoi faire ? Je ne veux même pas savoir… Je ne veux pas ! Quoi qu’elle me veuille, je ne veux pas ! Je dois me lever, partir, fuir, loin et vite. Mes membres ne bougent pourtant pas d’un millimètre. La terreur le cloue sur place.
— VoilĂ ! claironne la gamine de sa voix fluette en revenant s’installer.
Son sourire, d’ordinaire si tendre, me paraît déformé. Elle approche sa chaise de la mienne, se poste face à moi. Elle fait pivoter ma chaise d’un mouvement brusque ; je manque de tomber à la renverse. Elle tient maladroitement ses ciseaux d’une main, maintient ma tête en place de l’autre. Les lames se rapprochent dangereusement de mes yeux.
— Ça va pas faire mal, me promet-elle.
Je n’arrive même pas à crier.
Elle me tient – m’étrangle plutôt – pressée contre elle, ses petits ciseaux à bouts ronds dans l’autre main.
— Maman ? Quand est-ce que ça va repousser ?
— Mais ma puce… ça ne repousse pas les cheveux des poupĂ©es !