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Zandra-Chan![]() Spectacles![]() ![]() ![]() L'étoile et le satellite(par Zandra-Chan)
La première fois qu’ils sont passés l’un près de l’autre, ils ne se sont même pas vus. Pas un échange de regard, même pas un coup d’œil à sens unique. Trop préoccupés par leurs problèmes respectifs, ils étaient fermés, coupés du monde. Lui, chômeur, venait de s’installer ; elle sortait de l’hôpital pour la troisième fois de l’année.
C’est Christine la première à avoir ouvert les yeux. À réaliser qu’elle croisait souvent ce jeune homme à la mine sombre et au pas rapide. À la boulangerie, à l’arrêt de bus, à la supérette du coin, au parc voisin ou dans la rue, tout simplement. Elle conclut rapidement qu’il devait habiter non loin ; il était juste “drôle” de constater qu’ils avaient un rythme de vie similaire. L’univers est vaste, pourtant, elle croisait cette comète au regard sérieux tous les matins et presque tous les soirs.
Au début, elle ne pensait rien de spécial de cet homme soucieux. Ça l’amusait juste de voir qu’ils se “rencontraient” si souvent – en ayant bien conscience qu’elle lui était parfaitement invisible, banale et inexpressive qu’elle était. Cet amusement poussa Christine à le chercher du regard, à inconsciemment noter ses habitudes, à se demander ce qu’il pouvait bien faire dans la vie pour paraître toujours si sérieux, à futilement essayer de deviner son nom. Elle sourit intérieurement de constater qu’il avait trahi son habituel pain au raisins pour un croissant ce matin-là , qu’il avait joué les fusées pour attraper le bus cet autre matin, qu’il était resté pensif devant le rayon de fruits et légumes un soir – pour finalement ne prendre qu’un sac de pommes de terre – ou qu’il s’était assoupi sur son banc fétiche un dimanche après-midi. Elle osa même détailler sa tenue, à plusieurs reprises. Il était toujours propre sur lui, sans paraître guindé ; elle appréciait le style.
Elle réalisa tardivement que ses pensées ne gravitaient plus qu’autour de ce jeune homme dont elle ne savait, en réalité, que bien peu de choses. Elle en ressentit un grand trouble. Était-elle tombée amoureuse de ce parfait inconnu ? Elle n’avait pourtant jamais ressenti les fameux “papillons dans le ventre” ou de quelconque “sensation d'apesanteur”. Malgré ça, elle sentait qu’elle serait triste de ne plus le voir. Elle refusa de creuser le sujet. Elle avait plus important à faire. Du moins, c’est l’excuse qu’elle se trouva pour ne pas explorer les abysses infinis de son cœur. Un cœur fragilisé par un passé familial douloureux.
Christine essaya de ne plus prêter attention à lui, de faire abstraction de sa présence, de se fermer à lui. En vain. Son regard cherchait toujours les cheveux noisette et la haute stature pressée du garçon sans nom.
Un soir qu’il pleuvait à verse, elle l'aperçut dans le parc : seul sur son banc, tête et épaules basses, aussi immobile que détrempé. Cette vision seule déchira Christine. Ses sentiments impérieux – qu’elle refusait toujours d’identifier – la propulsèrent jusque devant le jeune homme, lui proposant l’abri de son parapluie sans piper mot. Elle aurait aimé compléter son offre d’un sourire doux ; son visage ne lui permit pas. Il mit plusieurs secondes à noter la présence de son vis-à -vis. Un siècle pour elle. Il releva finalement son visage vers elle, et elle pu l’observer de près pour la première fois : ses cheveux bouclés par la pluie, ses yeux bruns un peu tombants, son nez droit, la constellation de tâches de rousseur qui s’étendait sur ses pommettes, ses lèvres fines, … Elle aurait pu le détailler ainsi durant des heures. Il rompit cette goutte d’éternité avec une question. — … j’peux vous aider ? Si elle avait pu, elle aurait haussé les sourcils de stupéfaction. N’était-il pas lui-même au plus bas ? Où trouvait-il la force de faire une telle avance ? Aussi admirative qu’embarrassée – elle s’attendait à beaucoup de réactions, mais pas celle-là ! – elle prit un instant à son tour pour répliquer d’une voix un brin tremblante. — En prenant soin de vous. Pour accompagner sa réponse laconique, elle lui fourra le parapluie dans les mains, avant de se sauver en rabattant sa capuche.
S’écoula plusieurs jours sans qu’elle ne croise le jeune homme. Mortifiée à l’idée de l’avoir fait fuir – avec ce qu’elle voulait être un acte de gentillesse désintéressé – elle passa plus de temps que de coutume en extérieur, espérant le voir, lui expliquer. Il demeura introuvable. La mort dans l’âme, Christine se résigna.
C’est lui qui vint à elle, un samedi ensoleillé, alors qu’elle s’était installée au parc pour lire. Il l’avait interpellée de loin, l’avait rejointe en courant, manquant de peu de la faire fuir. Il tenait à la main le parapluie pliable qu’elle lui avait laissé. Mais surtout, il souriait.
Accoudée à la fenêtre de son nouvel appartement, Christine se demandait pour la énième fois si elle ne rêvait pas. Si elle n’avait pas halluciné ces derniers mois – depuis qu’il l’avait invitée à sortir ensemble – et la proposition de cohabitation. C’était presque trop beau pour être vrai. Malgré ses propres insécurités, Antoine était quelqu’un de gentil, attentionné, à l’écoute, drôle, compatissant, amical… Une personne solaire qui irradiait d’aspects positifs. Christine avait l’impression de n’être, elle, qu’un morne satellite à l’orbite restreint qui lui tournait autour. Une lune pauvre reflétant difficilement l’affection du garçon. Elle l’aimait. Infiniment. Elle l’avait compris depuis longtemps. Mais elle n’arrivait pas à le lui dire. Et ça l’inquiétait. Beaucoup.
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