Réincarné en démon de l'armée démoniaque, je préfère rester dans mon coin dans la bibliothèque à bouquiner sans embêter personne au lieu d'aller me mettre en danger à affronter d'autres réincarnés beaucoup plus chanceux que moi et ce titre est beaucoup trop long mais j'arrive pas à m'arrêter il faut que quelqu'un m'aide

Aujourd'hui, je suis mort. Et je m'attendais pas à ce que l'au-delà soit si…clinique?

Reprenons depuis le début. Je me souviens d'avoir été grièvement blessé à cause d'un camion, puis après, plus rien. Et là je viens de me réveiller debout, sans blessure, mais un peu transparent. Et pas tout seul: il y a plein de monde, à perte de vue, sans aucun point commun. Des hommes, des femmes, des vieux, des jeunes, des gosses, toutes nationalités et couleurs de peau confondues. On doit être une centaine, ptêt plus, espacés de plusieurs mètres les uns des autres. On est chacun debout dans une case de deux mètres carrés, sauf ceux qui sont en fauteuil roulant et qui ont un peu plus d'espace. Personne ne parle, personne ne panique, tout le monde attend.

Le plafond, le sol carrelé, tout est blanc, propre et aseptisé. J'ai l'impression d'être chez le dentiste. Sauf qu'il n'y a pas de meubles, aucune musique d'ambiance, et personne pour nous accueillir. Pas de réceptionniste, pas d'agent d'accueil, pas d'ange pour nous expliquer ce qu'il se passe et ce qu'il va nous arriver. Le mieux aurait été un dieu ou de déesse pour nous expliquer qu'on a été «choisis» pour être réincarnés avec des pouvoirs pétés ou un autre truc du genre comme dans les mangas, mais même pas. Absolument personne.

Juste, de temps en temps, un œil au bout d'un bras métallique qui sort du plafond devant quelqu'un. Une petite fenêtre avec du texte apparaît, l'œil la parcourt, scanne la personne, et pouf! disparu. Il reste juste un titre en fumée qui disparaît après quelques instants: des "noble", des "chevalier", des "grand mage", des "maître artisan", des "ninja" même quelques "Héros" et "Archimage", avec une majuscule, rien que ça! Est-ce que c'est l'endroit où vont ceux qui sont morts de façon assez épique pour se voir offrir une seconde vie? Peu importe, en tout cas, ça annonce du bon!

Mais me remémorer mon propre décès douche un peu mon enthousiasme. La journée avait plutôt bien commencé, mais après un enchaînement d'événements je m'étais retrouvé pris en chasse par un poursuivant déterminé à m'avoir. J'allais le semer, quand j'ai vu une petite fille qui traversait une route avec une poupée dans un landau, pile sur la trajectoire d'un camion lancé à vive allure. J'ai pas réfléchi. Je me suis jeté sur la gamine et l'ai poussé hors de la trajectoire, juste à temps. Mais moi, par contre… C'était trop tard.

Une mort héroïque. Digne d'une réincarnation en bonne et due forme, comme le reste des gens dans cette pièce, pour sûr! …Bon, d'accord, mon poursuivant, c'était mon arrière-petit cousin, 5 ans, qui jouait au loup avec moi. Et peut-être que j'ai voulu sauver le pied de sa petite sœur d'un jouet, mais que j'ai marché dessus, glissé, et me suis éclaté la tête contre un coin de table. Bon. Mais c'était pour sauver un enfant, l'intention est là, ça doit compter! Sinon, je ne serais pas là! …Si?

Je sais que je devrais m'inquiéter pour mes proches, ou pour le fait que j'ai probablement traumatisé les petits qui jouaient avec moi, mais j'y arrive de moins en moins. Je sais pas si c'est le lieu qui m'anesthésie, mais ils commencent à devenir flous dans mes souvenirs. J'ai même du mal à me rappeler leur noms. Et ça ne m'embête pas plus que ça. Moins que de ne rien avoir à faire. Y a pas un magazine qui traîne, quelque part? Une revue, un guide de La Réincarnation pour les Nuls ou n'importe quoi que je pourrais lire pour m'occuper? J'accepterais même une fanfic de 50 nuances de Grey!

Mais non, je peux juste regarder les autres disparaître vers leur nouvelle vie les uns après les autres, et de nouveaux élus les remplacer un à un. J'aimerais dire que j'attends avec impatience mon tour, mais avec ce lieu qui sape mon énergie, c'est compliqué. Je m'ennuie plus qu'autre chose. Soudain, l'œil sort du plafond devant moi, m'arrachant un mouvement de recul. 'tain il m'a fait peur, çui-là! Mais s'il est là, ça veut dire…

La petite fenêtre apparaît et l'œil se désintéresse de moi. Des lignes et des lignes s'y affichent et défilent à une vitesse folle, mais ça n'a pas l'air de poser problème à l'organe. Par contre, quand il arrive au bout, il bug. Il fixe une seconde de trop le bas de ma fiche, me regarde, regarde les dernières lignes. Remonte un peu le texte, le parcourt à nouveau jusqu'en bas, finit par accepter qu'il a bien lu, et se redresse une dernière fois vers moi. Je rougis. Je vois bien à sa tête qu'il est carrément en train de se foutre de moi.

Il me scanne avant que j'aie le temps de lui dire le fond de ma pensée, et soudain c'est comme si le sol s'ouvrait sous mes pieds. Je tombe, sans rien voir, sûrement en hurlant, sauf que je n'ai pas de bouche. Après ça, je dois avoir perdu conscience, parce que l'instant d'après je me réveille au milieu de cris, comme si on venait d'allumer le son de la télé. Je grogne. J'ai les yeux fermés, mais j'entends vraiment trop bien. C'est tellement bruyant, les gosses… Et dire que je vais devoir supporter ça le temps que je sois assez grand pour me balader tout s- Hm?

Eh, mais je peux bouger, en fait! Allongé sur le côté, je fais un effort pour me mettre à quatre pattes, et arrive à tenir comme ça sans me vautrer. Peut-être que je me suis réincarné, non pas à la naissance, mais un peu plus tard. En gros, j'aurais skip le tutoriel? Le sol est mou et un peu spongieux. Il y a vraiment beaucoup de bruit. Et j'arrive pas à ouvrir les yeux.

Je pousse sur mes bras et arrive à m'asseoir. Je me frotte les yeux et en retire un truc collant et visqueux. Beurk… Je bats des paupières et, enfin, que la lumière soit. Tout est encore flou, mais il a l'air de faire assez sombre. Je baisse le regard vers mes mains. Ma vue s'adapte, je commence à voir plus net, et tout de suite, je vois qu'il y a un truc qui tourne pas rond. Déjà, j'ai que quatre doigts par main. Ensuite, j'ai des griffes. Et puis ma peau est rouge coup de soleil, sauf les endroits tachés de fluide violet.

Je crois que je laisse échapper un petit couinement. Vite je me tâte et me regarde sous toutes les coutures. Je suis rouge des pieds à la tête. Mes jambes sont couvertes de fourrure cracra et se terminent par des serres à trois doigts. J'ai des mini-cornes, des mini-crocs, et pas de cheveux. J'ai une p'tite queue fourchue et des ailes toutes nulles de dx centimètres. Je suis tout chétif et maigrichon, encore plus que quand j'étais vivant. Je suis... Je suis…un diablotin?! Nan mais attendez, c'est quoi cette arnaque?!

Il me faut un moment pour me rendre compte que je suis pas tout seul. Le bruit que j'entends depuis tout à l'heure? C'est pas des braillements de bébés. Enfin, si, mais pas que. Il y a une grande clameur qui couvre tout, comme une ambiance de match de foot. Je redresse la tête, m'attendant au pire. Rectification: j'étais optimiste. Je suis pas dans une couveuse démoniaque, mais dans une arène, genre Colisée. Les gradins sont pleins de démons adultes: toutes formes, toutes tailles, toutes couleurs, et toutes horreurs. Et ils sont déchaînés, en train de nous regarder, nous, les démons nouveau-nés, éclore au milieu de la bouillasse. Et c'est. Le. Chaos.

Je sais pas où donner de la tête. Je respire fort, mes yeux passant d'un démon à l'autre sans se fixer. Les adultes qui font le plus peur sont sur une tribune, au milieu des gradins. Des bébés comme moi, se plaquent contre le mur, terrifiés. Il y a beaucoup de soldats, là-haut. Un démon à trois têtes me fixe, l'air de dire qu'il va me manger. Il y a un gros bébé qui ressemble à un sumo.

Soudain un corps s'écrase devant moi sous une acclamation et m'éclabousse de sang violet. J'avoue, j'ai crié. Fort, aigu. Mais personne n'a dû m'entendre dans le chahut. Je relève la tête et mon regard se pose sur bébé Musclor qui heureusement me tourne le dos. Il fait au moins deux fois ma taille, avec des biceps de Schwarzenegger et un dos de Hulk en couches-culottes. Il tient dans sa main un de nos petits camarades qui doit avoir mon gabarit, et l'agite comme un hochet. Apparemment, c'est la star du jour, et les adultes n'ont pas l'air très concernés de le voir écrabouiller certains de leurs gosses comme des .

Autour de lui commencent à se rassembler tous les nouveau-nés sous stéroïdes. Y en a des minces, des grands, des petits, des larges d'épaules, mais tous sont plus grands que la moyenne, et déjà bien musclés. Je recule en urgence avant que l'un d'eux n'ait l'idée de se servir de moi comme d'un doudou. S'ensuit alors l'heure la plus stressante de mes deux vies. Je bouge tout le temps, passant de groupe en groupe pour éviter de me faire cibler. Je comprends pas plus ce qu'il se passe, je sais pas combien de temps je vais devoir faire ça, mais tant pis. Au moins, ça a l'air de marcher.

Je finis par me rendre compte qu'en fait, personne ne nous oblige à nous entretuer. Faut croire que c'était pas l'idée. En fait, on nous laisse tranquilles tant qu'on attire pas l'attention. Des adultes commencent à aller voir les œufs qui n'ont pas encore éclos, l'air impatients. Le tumulte s'apaise un peu, et tout le monde commence à se détendre, moi y compris. Assez pour pouvoir évaluer la situation, au moins. Plus qu'à trouver un coin de mur tranquille pour faire le point.

Bilan: je suis mort, je me suis retrouvé par erreur dans un programme de réincarnation pour badass, et quand on a découvert que j'avais rien à faire là, plutôt que de me renvoyer dans le circuit normal, on m'a quand même réincarné, mais en mode extra hard. Du coin de l'œil, je vois un de mes petits camarades ouvrir une fenêtre de statut. Évidemment qu'il y a une foutue fenêtre de statut. Et j'imagine que Musclor et ses copains ont des stats incroyables. Alors que moi… Je jette un coup d'œil à ma propre fenêtre et- nan mais j'hallucine, c'est quoi ces stats de merde?! 10 points?! 10 points de stats au total? Pardon???

Attends attends attends, du calme, respire. Inspire….expire… Je suis un bébé diablotin lambda. De niveau 1, évidemment. Je suis un monstre de bas niveau. C'est…un problème, mais OK, admettons. J'imagine que j'aurais des opportunités de gagner des stats facilement au début, d'évoluer, tout le toutim habituel. C'est pas comme si j'étais le seul nabot de la port- j'hallucine ou mon voisin a cinq fois mes stats?! Et-et il a des compétences! J'ai pas de compétences, moi! O-OK, c'est juste lui qui est pas aussi nul qu'il en a l'air, ça doit arriver, il y en a d'autres qui ont pas l'air plus dégourdis que moi, je peux pas m'être pris une douille aussi énorme par ce système à la c-

Une trompette sonne et couvre les bruits de l'arène alors que je viens de finir de faire mon troisième tour du peloton des nuls. Ils ont tous entre trois et six fois mes stats, et au moins deux ou trois compétences. J'ai envie de pleurer. Je suis le mouvement en maudissant intérieurement cet œil à la noix. Je lui ferais bien sa fête, si je le revois…sauf que je suis même pas sûr d'arriver à le chatouiller. On nous a rassemblés au milieu de l'arène, dans un semblant de rangées. Musclor et ses copains sont tout devant, en une ligne à peu près droite, et moi tout au fond, devant les gardes et les portes de l'arène.

Un démon de la tribune d'honneur s'avance, et commence un discours d'une voix tonitruante. Sans doute pour couvrir le bruit de la foule. Mais personne ne l'écoute. Visiblement, le calme et la discipline, c'est pas la tasse de thé des démons. Ce que j'entends de son discours ne me dis rien qui vaille, par contre: on est la nouvelle génération de soldats de l'armée démoniaque, blablabla. Ils vont nous entraîner jusqu'à ce qu'on pleure du sang, blablabla. Ceux qui sont pas au niveau vont mourir, oui, ça j'avais compris. Honneur, combattre jusqu'à la mort, massacrer ennemis, battre héros, kidnapper princesses, roi démon, bla bla bla.

J'étouffe un bâillement. J'ai déjà plus d'énergie, et le laïus soporifique du Chevalier Cliché aide pas. Je me rattrape de justesse et me concentre pour ne pas me rouler en boule et pioncer. Pour l'instant, personne n'a remarqué mes stats pourries, ce qui est une bonne chose. Vu l'objectif derrière notre mise au monde, j'aurais fini en cible d'entraînement pour le reste de ma génération. Une cible à l'espérance de survie très courte, vu ma constitution de chips anémiée.

Heureusement, tout le monde s'en fout. Personne ne regarde la dernière rangée, et dans la dernière rangée, personne ne fait attention à moi. J'ai vu mon voisin me jeter un coup d'œil, mais je suis même pas sûr qu'il m'ait calculé. Je suis tellement insignifiant que même avec 0 en stat de chance — Ha.Ha. Mort de rire, au passage. — je passe inaperçu. C'est comme si j'étais invis- oh.

Je jette un coup d'œil aux alentours. Le public et les autres m'ignorent. Je suis à côté des portes. Des portes gardées, mais ouvertes. Des portes gardées par des sentinelles qui se dressent sur la pointe des pieds pour essayer de voir la cérémonie. Mes camarades ont l'air aussi excités que les autres, même ceux qui fuyaient Musclor et sa bande un peu plus tôt. Moi, si je reste ici, j'ai 100% de chances de pas tenir une journée. Soit je reste ici, et je meurs d'ici demain. Soit j'essaye de m'enfuir, et il y a une petite probabilité que je survive. Honnêtement? Ça se tente.

L'air de rien, je commence à reculer à petits pas. Un mètre…deux mètres… Aucune réaction. Je jette un regard derrière moi. Personne dans le couloir. Je recule encore. Doucement, sans geste brusque. Me voilà entre les deux gardes. Ils m'ignorent. Même pas sûr qu'ils me voient. Je les dépasse à pas de loups et m'enfoncent entre les portes grandes ouvertes. Pas d'alarme, pas de herse, pas de pièges. J'attends d'être hors du champ de vision des gardes avant de me dissimuler dans l'ombre des portes. Je jette un dernier regard à l'arène pour vérifier que personne ne m'a vu et n'a lancé l'alerte.

Une grande clameur s'élève alors de l'amphithéâtre et je me cogne contre le mur en me jetant en arrière par réflexe, avec un petit cri. Ça y est, ils m'ont vu, ma nouvelle vie est déjà fichue, j'ai même pas pu en profit- Ah bah non, en fait. C'est juste l'autre qui a fini son discours. 'tain la frousse! J'ai l'impression d'avoir perdu des points de v-j'ai vraiment perdu des PV! Ah oui, parce que je me suis cogné, sans doute… Bref, c'est pas l'important. Pendant qu'ils font la fête, il faut que j'en profite pour me trouver une cachette. Prudemment, je jette un dernier regard sur la foule en délire, et détale à toute la vitesse de mes petites jambes sans demander mon reste.

Énorme. Ce château est énorme. En fait, c'est toute une ville qui est contenue dans cette citadelle, apparemment. Et une ville pour géants, vu la hauteur des plafonds et la largeur des couloirs. Les pierres qui composent les murs sont plus grandes que moi, ce qui en fait n'es pas difficile: je dois faire cinquante centimètres de haut à tout casser. Les portes sont en bois massif que je serais incapable d'ouvrir, et je m'enfonce à moitié dans les tapis. J'ai l'impression d'être une petite souris en train de se chercher un abri. Et de la nourriture: je crève la dalle. Et je suis crevé, mais d'abord il faut que je trouve un endroit où dormir en sécurité avant de me reposer. Et de la bouffe.

Bonne nouvelle: les couloirs sont presque vides, l'arène ayant attiré du monde. Mauvaise nouvelle: tout le monde n'est pas au spectacle, et il faut que j'évite les démons que je croise. L'un dans l'autre, ça se passe plutôt bien. Il y a plein de cachette pour moi et mon gabarit de crevette. Mon ventre gronde, mais je tiens jusqu'à sentir une odeur alléchante. Je me mets à baver: la cuisine est par là!

L'odeur de nourriture me mène jusqu'à une porte ouverte. Et là, les vrais problèmes commencent: il y a du monde partout! C'est le branle-bas de combat, et c'est logique, en fait: il va bien falloir nourrir les nouveau-nés! Seulement, moi ça ne m'arrange pas: si je chipe de la nourriture, ils vont me voir. Ou alors, ils ne vont pas me voir et m'écraser sans faire exprès. Avec ma stat de chance, je peux pas y aller au culot, ce serait du suicide. Ne reste plus qu'une solution: attendre qu'ils aillent servir et fouiller les placards. Mais j'ai trop faaaaim.

Avec un effort surdiablotin, je m'éloigne sur la pointe des pieds. Quand la porte s'ouvre violemment derrière moi. Avec un cri de panique, je prends mes jambes à mon cou. J'entends un cri surpris dans mon dos — cette fois c'est sûr, on m'a vu! — mais ne ralentis pas. Je file en ligne droite, en essayant de garder en tête le trajet pour revenir plus tard. J'ai l'impression d'être moins paniqué que tout à l'heure, à croire que je m'habitue à la vie de souris. Je ne cours pas très loin avant de m'effondrer derrière une décoration, vidé de mes forces. J'ai dû faire…cinquante mètres, et je suis claqué. Je dois faire une pause. Juste cinq minutes…

C'est la merde.

J'ai dormi trop longtemps. J'ai pas trouvé de cachette, j'ai toujours pas mangé, et il y a de plus en plus de monde dans les couloirs. La cérémonie doit être terminée, et je suis toujours sur la sellette. J'ai perdu des PV avec la faim. Je pourrais être découvert d'un instant à l'autre. Bref: une catastrophe. Je recommence à parcourir le couloir, en me planquant toutes les trente secondes. Toutes les portes sur lesquelles je tombe sont fermées, ou donnent sur des lieux de grand passage. Je n'ai plus que trois PV: le temps presse.

Il me faut encore une demi-heure de crapahutage laborieux pour trouver le Saint Graal: Une double-porte immense, gravée, et grande ouverte. Tout ça fleure bon le lieu important, mais personne n'a l'air pressé d'y entrer. Les démons l'ignorent, et si les démons l'ignorent, ça peut faire une bonne cachette. Ça se tente. Je jette un coup d'œil à droite, puis à gauche. Personne. C'est le moment! Un sprint plus tard, et je me retrouve devant le plus bel endroit que j'ai vu de ma (nouvelle) vie: la bibliothèque de la forteresse des démons.

Et quelle bibliothèque! La salle est grande comme une cathédrale, avec un nombre incroyable d'étagères, allant jusqu'au plafond, toutes remplies de livres. Je n'arrive pas à voir les murs avec les rayonnages, ce qui en fait un très bon labyrinthe. Il y a des tables de travail un peu partout, éclairés par des globes tamisés, donnant une ambiance feutrée au lieu. Et, cerise sur le gâteau, l'endroit est quasiment désert: il y a bien quelques démons assis aux tables ou en train de chercher des livres, mais ils sont tous trop concentrés sur ce qu'ils font pour me remarquer.

Je cherchais de l'or, j'ai trouvé du pétrole. J'entre en trottinant, et me glisse entre deux rayonnages avec toute la discrétion que je peux, et cherche l'endroit parfait: à l'écart, peu fréquenté, mais assez près de l'entrée pour trouver le chemin de la cuisine. Bordel ce que j'ai la dalle… C'est alors que je le vois: posé sur une table, abandonné, sans surveillance: un en-cas version démon. Un sandwich, comme si y avait un Subway dans le coin, mais à ce stade, plus rien ne m'étonne. Son propriétaire n'est pas là, et il n'y a pas de témoin. L'occasion parfaite. Au point où j'en suis, de toute façon, j'ai pas trop le choix. Ni l'envie d'hésiter.

Je cours vers le sandwich sans faire attention à être discret, et c'est en arrivant devant que je me rends compte que ça ne va pas être aussi facile que prévu. Premier problème: je suis trop petit pour l'attraper directement. Pas grave: y a les bancs. Deuxième problème: mon agilité pitoyable. Il me faut trois essais pour réussi à grimper sur la table, et encore, j'arrive à trébucher sur un livre ouvert avant d'arriver à mon objectif. Je m'en saisis et prend un bout ne serait-ce que pour calmer ma faim. Hmmm, un délice!

C'est là que les choses se corsent. La faute, évidemment, à ma chance fabuleuse. J'ai à peine le temps de jeter le sandwich au bas de la table que je vois arriver un démon, le nez dans un bouquin. Il ne m'a pas vu, mais il vient vers moi. Et comme il n'y a pas d'autres affaires dans le coin, y a de grandes chances que ce soit le propriétaire du casse-dalle. Zut. Plus le temps d'être discret: je saute sur le banc, me gamelle, m'écrase le nez sur la moquette. 1 PV. Double zut. Sans attendre de voir si je suis repéré, je fonds sur le sandwich, le prend sous le bras, et détale.

Je suis presque au bout de la rangée quand j'entends un cri indigné derrière moi. Re-zut. J'espère que 1) il y a des règles et des châtiments quand on fait autant de bruit dans la bibliothèque et 2) que ladite correction arrivera avant la mienne. Je contourne le rayonnage, mais j'ai déjà un point de côté. Il faut que je trouve une cachette…là! Une étagère à ras du sol, avec un bout de rayon quasi-vide. Juste la place de m'y faufiler avec mon butin durement gagné.

Je plonge dans le trou et rampe vers le fond du meuble aussi silencieusement que possible. Derrière moi, j'entends des pas étouffés par les tapis débouler en trombe et passer sans s'arrêter devant ma cachette. Juste à temps! Je reste immobile le temps d'être sûr qu'il ne fera pas demi-tour, avec l'impression d'être à la mauvaise place dans un film d'horreur. Mais il ne se passe rien. Je laisse échapper un soupir alors que les battements de mon cœur ralentissent, et me tortille pour m'asseoir contre le fond du meuble et commencer à manger mon maigre repas.

Je dévore le sandwich en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Mes PV remontent, et rien qu'avec ce bout de pain, je me sens beaucoup mieux. Par contre, j'ai à nouveau envie de dormir. Stats de merde… N'empêche, ici serait plutôt sûr, comme endroit. À moins d'un sacré coup de guigne, personne ne m'y trouvera dans l'heure qui vient. … Ok, c'est un peu ma spécialité, mais quand même… Il fait bon, ici. Ce n'est pas confortable, mais ça fera l'affaire. Il fait sombre, et c'est silencieux, à part les petits "Crac". Juste cinq minutes…

…

…

Les "Crac"?

Le fond de la bibliothèque bascule derrière moi et me voilà cul par-dessus tête sur de la moquette. Je me redresse en sursaut, regarde aux alentours. Personne. Il fait vraiment très très sombre, ici. La seule lumière est celle qui filtre de ma cachette. Le fond de l'armoire contre lequel je me reposais a basculé. Ça veut dire que je suis… dans un passage secret? Ou alors… Ah. A-ha!

Je me relève et me retourne. Mes yeux s'habituent à l'obscurité et j'arrive à distinguer l'autre rayonnage. Je suis donc bel et bien dans l'espace entre les bibliothèques. Il n'y a pas beaucoup de place, même pour moi. Ça veut dire…ça veut dire que je suis au paradis? Personne ne me trouvera ici. Les soldats…m'ont pas l'air du genre à venir dans la bibliothèque. Il suffira que j'esquive les amateurs de lecture. Et que je trouve un chemin jusqu'à la bouffe, mais je verrai ça plus tard. J'aurais un abri, une cachette, et, surtout, des livres. Par milliers, à portée de main.

Je me relève, un sourire jusqu'aux oreilles, et plonge mon regard dans l'obscurité de l'interstice long comme un couloir. Oooh oui, là ça commence à me plaire!