L'Académie de Lu





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Chroniques d'un écureuil


Fast et Furious

(par Schrödinger)
(Thème : Film d'action)



Dans une suite luxueuse au quarante-quatrième étage d’un immeuble particulier du centre-ville, un homme monte la garde, seul, près d’une porte blindée, immobile. Impassible, son regard reste rivé sur la porte blanche, seule issue de la pièce si l'on omet le sas renforcé, une main posée sur son arme, prêt à agir dans le pire des cas. Prudent, le gorille garde tout de même la grande baie vitrée dans son champ de vision, malgré l'altitude. On n'est jamais trop prudents, surtout avec ce qui peut se promener dehors, il le sait bien! Au mur, une horrible horloge égrène les secondes en un tic-tac agaçant. Le vigile lève les yeux vers le cadran: minuit moins vingt. Seulement dix minutes écoulées depuis le départ du patron…

Non pas qu'attendre lui pose un problème. Il a ses ordres. Le boss ordonne, on s'exécute. On ne pose pas de questions stupides. On n'ouvre la bouche que quand on le demande, ou quand on a une remarque pertinente, mais c'est tout. On reste sérieux en toutes circonstances, pas comme cet abruti devant ses écrans. C'est comme ça qu'on monte dans la hiérarchie, et pas autrement. Point. Tout à ces considérations, le vigile ne remarque pas son ombre s'agiter, derrière lui. Et comment aurait-il pu? Il n'a pas d'yeux dans le dos, lui! Il ne voit donc pas un croissant de clarté s'étendre sur la silhouette sombre, tel un sourire sardonique. Il ne voit pas non plus le boîtier noir, terminé par deux picots métalliques, qui émerge du mur dans son dos, sans un bruit. L'électricité statique, ou peut-être un sixième sens, fait se dresser les poils de sa nuque, mais trop tard: stoïque même dans la douleur, l'homme s'effondre sans un bruit, agité de spasmes, terrassé par le choc électrique.

Une seconde plus tard, une tête aux cheveux noirs ébouriffés jaillit de l'ombre, considérant un instant le vigile qui bave sur le tapis carmin. Avec un sourire satisfait, le démon-écureuil saute dans la pièce, aussi naturellement que s'il venait d'entrer par une fenêtre, rangeant au passage le Taser dans sa poche et l'échangeant pour un portable. Composant un numéro, Tosk ne peut s'empêcher de lâcher une petite pique à l'adresse de l'homme inconscient, même s'il ne risque plus trop de réagir.

— Efficace! Qu'est-ce t'en dis?

Sans surprise, son interlocutrice décroche à la première seconde, comme si elle avait suivi toute la scène. Ce qui est probablement le cas, d'ailleurs.

Yoo! Moi j'ai trouvé ça pas mal! Un p'tit zap! et pouf! dans les vapes!

— Genre ça te plaĂ®t que ce soit aussi rapide! observe l'Ă©cureuil sur le ton de la plaisanterie.

S'accroupissant près de sa victime, il commence à l'asticoter distraitement, histoire de vérifier qu'elle est bien inconsciente, ou mieux encore, juste paralysée et obligée de subir. Il n'y a pas de petit plaisir, après tout.

— Par contre je sais pas combien de temps ça fait effet, reprend le jeune dĂ©mon. Une idĂ©e?

Nope, comment tu veux que je le sache? Mais c'est pas grave, t'auras qu'à lui redonner une décharge! Au pire, me dis-pas que t'as peur de lui? raille la voix en réponse, moqueuse.

— De lui, non. Par contre s'il arrive Ă  appeler son boss, ce sera pas la mĂŞme chose…

Abandonnant sa victime à son inconscience, l'écureuil se redresse et tourne la tête vers l'entrée du studio, où l'autre andouille doit toujours être en train de chercher ses clés-clés. Franchement, ça avait été trop facile de les lui voler…

— N'empĂŞche, ce serait quand mĂŞme plus simple de les buter, tu sais.

Mauvaise idée! Dans cette ville, en tout cas. Eeet dans toute la région, en fait…




À une poignée de kilomètres de là, dans une ruelle sombre du centre-ville, une silhouette va et vient d'un pas guilleret, un téléphone vissé à son oreille. En retrait, plaquée contre un mur comme si elle essayait d'y disparaître, une jeune femme observe d'un air anxieux la fille aux cheveux roses, légèrement vêtue malgré l'heure tardive de cette soirée d'hiver, qui parle joyeusement de meurtres et d'électrocutions. Elle s'interrompt cependant, coupée en pleine conversation par un gémissement plaintif provenant des pavés, à ses pieds, ou peut-être pour donner un petit effet à sa dernière phrase, qui sait.

Tout sourire, Zaelle s'arrête, une main sur la hanche, toisant avec un amusement non dissimulé le tas de chiffons affalé dans un coin de la venelle. Enfin, le tas de chiffon… Plutôt trois hommes en costume ensanglanté, le visage tuméfié, respirant difficilement, mais toujours vivants, et même conscients. Son sourire s'élargit, et la vampire reprend d'un ton docte, en articulant bien, à la fois à l'adresse de son interlocuteur, là-bas, qui traverse le salon rouge, qu'à l'attention du trio de truands, là, par terre.

— Tu vois, cette ville, et toute cette rĂ©gion, c'est le territoire de Balaur. Ce qui veut dire que, de son point de vue, ces terres, et tout ce qu'il y a dessus, tout ça lui appartient. La ville, toi, moi, les autres, les humains, les animaux, les plantes, jusqu'au moindre petit caillou, tout ça, c'est Ă  lui! Il empĂŞcherait mĂŞme les nuages de bouger et quitter son ciel, s'il le pouvait!

Elle baisse d'un ton, malicieuse.

— Je te laisse deux secondes pour deviner ce que notre cher dragon a en horreur… Sur ces terres, blesser revient Ă  abĂ®mer. Mutiler, Ă  endommager. Tuer, c'est dĂ©truire. Et dĂ©truire, c'est voler. Capisce?




Dans la salle écarlate, le visiteur indésirable répond distraitement à sa collègue, tâchant d'écouter ce qu'il se passe de l'autre côté de la porte.

— Ouais ouais, reçu cinq sur cinq. Tu m'excuses, deux secondes?

Masquant l'appareil, il ouvre la porte en silence et passe la tête par l'ouverture. Comme prévu, le veilleur n'est pas à son poste, mais par terre, à quatre pattes, dos à l'ouverture, en train de chercher sous les meubles les clés égarées, comme si elles avaient pu courir s'y cacher sur leurs petites jambes. Et, bien sûr, il n'a même pas entendu l'intrus entrer.

«Aaahlala, c’est presque trop fastoche…»

— Hey! Regarde ce que j'ai trouvĂ©!

Le trousseau touche terre avec un cliquetis tandis que le garde se retourne en sursaut, pris en flagrant délit d'incompétence, avant de se ruer sur les clés comme un chien sur une balle en mousse, sans même jeter un œil à son mystérieux sauveur. Heureux de sauver sa tête, ses doigts se referment vivement sur le précieux sésame… juste au moment où deux électrodes se plantent dans son cou. Oups. Avec un ricanement, Tosk vient s'accroupir à côté de sa nouvelle victime, récupérant les clés et les électrodes avec un regard rêveur, presque admiratif.

— Eh ben, c'est vraiment un crĂ©tin de compèt', celui-lĂ !

Mais t'en as combien, de ces trucs?

— Bah, trois! Un Ă  distance, et deux de contact, parĂ© Ă  toutes les Ă©ventualitĂ©s!

Maintenant débarrassé de tous les éventuels gêneurs, il se relève pour faire le chemin en sens inverse, abandonnant là le vigile.

— Pour en revenir Ă  notre conversation… pour ĂŞtre tranquille, il suffit juste que le patron soit pas au courant, non? Je veux dire, pas vu, pas pris. Surtout qu'il a pas franchement l'air du genre Ă  aimer les balades en plein air, le lĂ©zard!

Hmm… c'est vrai, t'as pas tort. Mais, dommage pour toi! C'est justement mon rôle de surveiller les petits malins dans ton genre!

— Et qui te surveille toi?

Le silence amusé qui s'étire à l'autre bout du fil est une réponse amplement suffisante, et Tosk lâche un soupir aussi amusé que résigné.

— Je vois… Tu prends les pots-de-vin?

Ça dépend, tu offres quoi? rétorque Zaelle du tac au tac, à moitié sérieuse.

— On va bien trouver un arrangement!

Il y a un rire à l'autre bout du fil, puis elle reprend un peu plus sérieusement.

Après t'en fais pas trop pour ça. Des humains, il en a plein en rab, donc tant que tu ne te mets pas à trucider pour le plaisir, tu risques pas grand-chose. Surtout toi qui est bien trop précieux! Faut juste faire gaffe à ce que ça devienne pas une habitude, quoi.

— Je ferai attention, mais je ne promets rien!

Déverrouillant la porte blindée avec le passe subtilisé, Tosk entre enfin dans la pièce qui l'intéresse, jetant un regard circonspect aux alentours. La salle est déserte, comme prévu, seulement occupée par des dizaines de toiles, toutes couvertes, à l’exception d’un tableau en train de sécher sur un chevalet. Levant les yeux, le démon voit une, deux, trois, sept caméras, toutes pointées sur le tabouret qui fait face à l’œuvre, ce qui est beaucoup trop, à son humble avis, surtout vu le nombre de miroirs aux murs. La bonne nouvelle, c'est qu'à part cette surveillance, déjà neutralisée, il ne semble pas y avoir plus de sécurité.

Tosk avance, rassuré par l'absence de problèmes en perspective, et passe devant la toile découverte en lui jetant à peine un regard, plus attiré par l'énorme tableau dissimulé d'un drap qui trône au milieu de la pièce, isolé des autres. Une place de choix; à n'en point douter, s'il y avait quelque chose ici qui avait plus de valeur que le reste, c'était bien ça! Saisissant le tissu, le démon découvre la toile d'un grand geste théâtral, curieux de découvrir l'œuvre monumentale, et lâche un petit sifflement impressionné quand ses yeux se posent dessus.

La peinture semble représenter un exode, une caravane de petits personnages entourant des chariots pleins à craquer de meubles et autres objets du quotidien et se dirigeant droit vers une forêt d'apparence ancienne, bordé par une lagune azur. La sylve, au loin, paraît prise dans une gangue d'ambre colorée que fait briller un élégant coucher de soleil. La profusion de détails est telle que même Tosk peut dire qu'il a fallu plusieurs mois de travail pour arriver à ce résultat, au bas mot. Pourtant…

— C'est…pas très beau, non?

Dis pas ça à Bria! rigole Zaelle

Si, à la limite, de loin ça peut potentiellement faire illusion, de près la catastrophe est bien visible: les traits sont souvent tordus, pleins de petites bavures, trop épais par endroits, trop fins à d'autres. Il y a des gros pâtés par endroits, comme si l'artiste avait mal préparé ses pigments, ou était repassé plusieurs fois sur des ratures. Quant aux couleurs…peut-être le peintre est-il daltonien? Ce qui expliquerait les associations de teintes mal assorties, mais pas les bavures et mélanges bien visibles. Difficile à dire si c'est un choix artistique ou des erreurs involontaires, mais ce qui est sûr, c'est que ça fait très moche. Une chose, cependant, réhausse largement le niveau, ce que Tosk ne manque pas de relever en examinant de plus près la foule peinte.

— C'est marrant comment les personnages sont hyper bien faits! On dirait que c'est pas lui qui les as peints, tellement ils tranchent avec le reste.

Normal, ce sont de vraies gens!

Un silence.

— …Pardon?

Bria sait pas dessiner les gens. Du coup, il prend des vraies personnes quand il a envie de mettre des personnages, explique la vampire le plus naturellement du monde. Ah, mais ne lui dit pas ça non plus.

— Et, il a le droit de faire ça?

Bien sûr que non! C'est bien pour ça qu'il fait ça dans mon dos…

Pour la première fois, elle semble contrariée.

En tout cas, niveau preuve, on fera pas mieux. Tu peux l'emporter avec toi?

Tosk considéra un instant l'œuvre massive, avant de secouer à la tête.

— Sans doute pas. C'est trop grand, ça passera peut-ĂŞtre pas, ou alors ça va me prendre trois plombes Ă  rĂ©cupĂ©rer, et me ralentir en prime… Non, je vais prendre une photo, ce sera aussi bien!

Joignant le geste à la parole, l'écureuil recule pour prendre le tableau en entier, et ce faisant bouscule le chevalet de l'autre toile qui tombe à terre avec fracas sans que l'intrus ne s'en préoccupe outre mesure.

— C'est dans la boĂ®te! Du coup, c'est bon? Mission accomplie?

Yep! Ça s'est tellement bien passé que c'en est presque décevant, d'ailleurs…

— Dis pas ça! Ton Bria est loin, il est pas près de rentrer, alors c'est maintenant que le fun commen- aĂŻeuh!

Sa queue se redresse brusquement, plus sous le coup de la surprise que de la douleur, emportant avec elle une petite boule de fourrure bien surprise qui s'accroche de toutes ses forces. Tosk se retrouve alors nez à nez avec un chiot gris et blanc qui pousse un petit gémissement confus, l'air innocent alors qu'il a encore ses crocs plantés dans ce gros machin plein de poils qui sent l'écureuil. Tosk grogne, exaspéré, en même temps que Zaelle pousse un petit cri ravi:

Mon chien!

— Je hais ce clebs…




Dans la suite luxueuse du quarante-quatrième étage de l'immeuble particulier, un homme est étendu, seul, près d’une porte blindée, inconscient. L'horloge, au mur, annonce la demie; au premier abord, on pourrait croire que tout est calme, en cette nuit d'hiver. Pourtant, le sas renforcé est entrouvert, et des cris s'élèvent, provenant de l'autre côté. Des cris exaspérés, qui n'ont rien à faire là.

— Reviens lĂ , sac Ă  puces! Un quart d'heure que tu m'emmerdes Ă  me suivre partout, et maintenant que je veux que tu viennes, tu te casses!

Avec un jappement joyeux, un jeune husky passe la porte blindée en courant, semblant s'amuser comme un fou. Hélas pour lui, le jeu tourne court: il n'a pas le temps de faire trois pas dans la salle à la moquette rouge que le voilà attrapé sans ménagement, dans un gémissement déçu, par un Tosk sous forme humaine, passablement agacé.

— J'te tiens, sale bĂŞte…!

Le démon a tout juste le temps de relever la tête pour voir une paume tenter de lui fracasser le crâne contre le chambranle. Esquivant d'un cheveu, un peu dans la panique, il lâche le chien pour saisir l'un de ses Taser, électrocutant l'assaillant par réflexe. Un bras sans corps tombe à terre, encore agité de spasmes, avant de disparaître; mais Tosk n'a pas le loisir de s'en étonner, car le bras était loin d'être le seul, et il ne faut pas longtemps pour qu'il se retrouve enserré dans la poigne d'une demi-douzaine de mains désincarnées de tailles diverses, tête en bas, un peu confus. Une voix s'élève alors, calme, presque douce, démentant presque l'agacement ressenti dans la prise.

— Il semble que nous ayons un rat…

L'écureuil voit le sol s'éloigner sous lui, et se tortille pour voir un peu mieux son ravisseur, même s'il y a peu de chances que ce ne soit pas… Et, merde, pas de miracle: haute taille, belle gueule, yeux bleus magnifiques, tresse blonde qui tombe au milieu des reins, fine chemise blanche, ample et largement ouverte, avant-bras peints de couleurs vives, pantalon noir impeccable, chaussures de luxe cirées… Yup, c'est bien Bria. Et il n'a pas l'air très content.

— Alors? Qui es-tu et que viens-tu faire ici, petite souris?

Il n'élève pas la voix, ne menace pas. Nul besoin, le sous-entendu est limpide. Pourtant, loin de paraître effrayé malgré sa situation peu enviable, Tosk sourit crânement et répond d'un ton badin, comme si tout était normal.

— Moi? Oh, personne vous a dit? Je suis juste le gars de l'entretien, vous savez, pour s'occuper un peu de tout votre fatras! D'ailleurs, entre nous, votre atelier avait bien besoin d'un bon coup de neuf… Mais je m'en suis occupĂ©, vous faites pas de bile!

Il ponctue sa dernière phrase d'un clin d'œil espiègle, et a le plaisir de voir les yeux bleus s'écarquiller lorsque les implications de ces paroles font leur chemin. Plantant là son prisonnier qui ne peut s'empêcher de glousser, l'artiste se précipite vers son bunker, anticipant le pire.

— Par contre ça va vous coĂ»ter une blinde, je vous prĂ©viens! crie l'Ă©cureuil de sa position prĂ©caire, moqueur.

Bria ne semble pas entendre sa pique: figé à l'entrée de son refuge, il découvre, mortifié, l'ampleur de la catastrophe, ses yeux parcourant la scène, allant d'un outrage à l'autre. Son antre, naguère ordonnée avec goût, est désormais sens dessus dessous: au fond, certaines de ses œuvres ont été mises au sol, entassées pêle-mêle ou arrangées pour former des lettres en un message provocateur à l'encontre du maître des lieux. Celles qui sont encore sur les chevalets ne sont guère mieux loties, découvertes, déplacées, plus alignées, leur minutieux placement ayant laissé place à un chaos sans nom. Aux murs, les miroirs ont été décrochés, salis, placé de guingois, échangés de place, retournés, recouverts. Pire encore, sa dernière toile en date gît au sol au milieu des débris des caméras, face contre terre, irrémédiablement gâchée.

Et, comble de l'horreur, au centre de la pièce, là où devrait se trouver son chef-d'œuvre, son Magnum Opus, il n'y a plus qu'un chevalet vide à terre, à moitié recouvert du tissu qui recouvrait la peinture. Du tableau, nulle trace. Le visage de Bria se crispe de fureur. Un tel saccage se paiera cher, il y veillera. Mais avant… Dans l'autre pièce, sa poigne se durcit autour du prisonnier, se refermant cruellement sur…rien?




Dans le salon rouge, le prisonnier en question, qui n'est plus tellement captif, mais plus non plus tellement d'humeur à faire le bravache, jaillit de son ombre devant la seule issue de la salle, bien conscient qu'il va devoir la jouer fine pour échapper au bellâtre comme à sa tripotée de gardes qui doit certainement attendre dehors. Vu la taille de l'antichambre encombrée par les écrans, il ne devrait pas y avoir plus de quatre ou cinq personnes derrière la porte, pour pouvoir tirer efficacement. Serré, mais jouable…

L'espoir est cependant de courte durée lorsque l'écureuil se rend compte, un peu tard, que ça va être compliqué d'ouvrir une porte qui n'existe plus, remplacée par un trompe-l'œil.

«Il a changé la porte en peinture?!»

Un coup d'œil lui apprend que ce n'est pas juste l'issue: la déco, bien que spartiate, avait le mérite d'exister; désormais, elle est réduite à des aplats sur les murs et le tapis. Ni cachette, ni obstacle: même le garde inconscient a fini dans la trame de la moquette! Seul reste le chiot, gémissant dans un coin, tout tremblant.

«Merde…»

Il reprend le téléphone, qui n'a pas cessé de maintenir l'appel, gardant un œil sur le démon ennemi qui n'a toujours pas fini d'enregistrer le choc.

— Bon sang, pourquoi il est revenu, lui! Et puis ça t'aurait dĂ©rangĂ©e de me prĂ©venir, aussi?!

Tu semblais tellement t'amuser, je voulais pas te déranger! se justifie l'intéressée, faussement innocente.

Les mains qui avaient capturé l'intrus, inertes depuis lors, se crispent sur le vide, dévoilant enfin la supercherie. Des yeux s'ouvrent alors à l'arrière du crâne de Bria, couvrant d'un coup toute la salle, et repèrent l'intrus dans la seconde. Les bras se déploient tandis que le grand démon se retourne, manifestement contrarié. Tosk peut voir les promesses de morts dans son regard, et ça ne lui plaît pas trop. Voire pas du tout.

— Je m'amuse plus trop, maintenant! Qu'est-ce que t'attends pour venir m'aider, un carton d'invitation?

Ah, oui, mais maintenant c'est moi qui m'amuse!

L'écureuil serre les dents et recule en étouffant une imprécation.

«Je vais me la faire…»

L'artiste s'avance, changeant un peu plus à chaque pas. Il a déjà l'air d'avoir pris vingt centimètres, et dix kilos de muscles pour aller avec. Et on dirait que ce n'est pas près de s'arrêter. La porte blindée se referme avec un claquement définitif, puis ses contours se brouillent subtilement lorsqu'elle devient peinture à son tour. Pas d'issue par là non plus.

— Comment un mĂ©crĂ©ant comme toi a-t-il osĂ© souiller mon sanctuaire… gronde le peintre, la voix frĂ©missant d'une rage Ă  peine contenue. Qu'as-tu fait de mon chef-d'Ĺ“uvre, misĂ©rable?!

«Désolé!», «Je peux tout vous expliquer!», «Mais plus plates excuses…» et tout un tas de repentirs plus ou moins sincères traversent les pensées du misérable en question, qui sait qu'il serait plus sage de s'excuser. Mais ce qui sort de sa bouche est…différent.

— Alors lĂ , bonne question! Je l'ai peut-ĂŞtre bazardĂ© en le prenant pour un ratĂ©, qui sait? rĂ©pond l'intrus d'un air nonchalant après avoir fait mine de rĂ©flĂ©chir un instant.

L'artiste pousse un grondement étouffé, peu satisfait par la réponse, et passe à l'attaque sans plus de cérémonie. Dans un bel ensemble, les bras s'abattent, mais leur cible a déjà bougé; virevoltant avec célérité, Tosk évite les mains l'une après l'autre, en profitant parfois pour en neutraliser une d'un coup de Taser. Mais il y en a juste trop, chaque main foudroyée étant remplacée par deux autres, et il se retrouve bientôt obligé de grimper aux murs, puis au plafond, zigzaguant avec une agilité remarquable et une bonne dose de panique pour éviter les assauts, sans pouvoir s'empêcher de lancer une petite pique entre deux coups de poings esquivés.

— C'est quand mĂŞme dommage…d'avoir autant d'yeux…et de pas savoir…viser!

Son attention est soudain attirée par un énième membre près de la tête de son adversaire. Bien différent des autres, il est couvert d'écailles et de fourrure, terminé par de courtes griffes et parcourues de "veines" couleur citron. Pire encore, il semble en train de charger, et crépite d'électricité. Le jeune démon identifie en un instant la menace, et son sourire se fige.

«Un bras de Qilin?!»

— Mer…

Le poing part comme une fusée, bien trop vite, et la fin du juron de l'écureuil se noie dans la détonation de l'impact. Le plâtre tremble, s'effrite, laisse échapper un nuage de fumée. Il n'y a plus de mouvement au plafond…puis une ombre fuse à tout vitesse, glissant sur le bras écailleux, et Tosk en jaillit, indemne, bondissant par-dessus l'artiste, son pistolet à impulsions à la main. Avec un sourire, il tire, encore en l'air, et les électrodes se plantent dans le large dos de son adversaire juste en dessous de la nuque, délivrant un choc à la puissance maximale.

Le démon aux cent bras pousse un grognement d'inconfort tandis que l'écureuil atterrit souplement et recule un peu pour admirer son travail. Le colosse qui lui fait face pose un genou à terre sous l'effet des cinq milliampères qui lui traversent le corps, mais il apparaît bien vite que ce n'est pas suffisant. Avec une grimace, Tosk en remet une couche, puis une autre, sans plus d'effet, jusqu'à ce qu'un bras mette fin à la séance en arrachant à la fois les dards de sa chair et l'arme des mains de son propriétaire. Bria se relève et envoie un regard assassin de ses douze yeux à l'autre démon, qui recule contre la vitre, l'air de se tenir exactement là où il voulait être.

— Sale petit rat d'Ă©gout…

— Écureuil, s'il vous plaĂ®t! C'est très diffĂ©rent. Par exemple…

Il déploie sa queue de nulle part et l'agite devant le nez de son adversaire, goguenard.

— …j'ai une queue gĂ©ante, bien pratique! Ă€ la revoyure, Mr Poulpe!

La queue se rassemble dans son dos, comme un poing serré, avant du fuser vers la vitre derrière le démon-écureuil, très content de lui… et de rebondir avec un bruit mat, sans même rayer le verre. Un ange passe, bientôt brisé par l'hilarité de Zaelle, au téléphone. Tosk, de son côté, soudain moins sûr de lui, retente un coup de boutoir, puis un autre, n'en menant pas large. Sans plus d'effet.

— Hrm…

— Vitres blindĂ©es, l'informe Bria d'une voix plate. Je ne plaisante pas avec la sĂ©curitĂ©.

Il se tient légèrement voûté, désormais trop grand pour la pièce. Les chocs électriques répétés ne semblent pas lui avoir fait grand-chose. Ses bras peints aux ongles parfaitement manucurés se sont encore multipliés, rejoints par d'autres membres plus bestiaux, à l'instar du bras électrique. Ça commence à sentir le roussi; Tosk, nerveux, tente la négociation.

— Hm, vous n'essayez pas de me tuer, quand mĂŞme? Vraiment, ce serait pas top, le seigneur Balaur ne va pas apprĂ©cier!

— Ne t'en fais pas pour moi, j'ai bien plus de valeur qu'un mĂ©crĂ©ant de ton espèce!

Les bras attaquent avant même la fin de sa phrase et Tosk se change en ombre avec un glapissement, évitant les poignes qui viennent fêler la baie vitrée. Les deux adversaires se lancent dans une partie de chat mortelle, l'écureuil tantôt évitant les mains avides, sous forme tangible comme en tant qu'ombre, tantôt éliminant une main après l'autre de ses Taser en s'aidant de sa queue. Trop rapide pour son adversaire, de plus en plus à l'aise, il se permet même quelques moqueries bien senties.

— Tu sais que tu commences Ă  ressembler Ă  l'une de tes crĂ©ations? Ah mais oui, j'ai compris! Tous ces miroirs, c'est pour les autoportraits?

— MĂŞme la flatterie ne t'aidera plus, maintenant.

— Oh, t'as pris ça pour un compliment? DĂ©solĂ©, c'Ă©tait pas l'intention!

— Grrr…

Un nouveau bras s'élance, un peu plus lent que les autres, c'est-à-dire beaucoup trop mou pour le Ratatoskr. Mais son aspect trapu, d'apparence rocheuse et veiné de rouge, ne lui dit rien qui vaille, et il préfère se changer en ombre pour éviter le coup. Bien lui en prend: dès que le poing entre en contact avec le mur, une violente explosion secoue la pièce et le plâtre se fissure tout autour du point d'impact. Une lézarde atteint l'ombre, qui pousse un petit cri; lorsque Tosk en émerge, il se tient le biceps, qui saigne, tout comme l'entaille sur sa joue. Le bras explosif se redresse, prêt à servir de nouveau, et l'écureuil a un sourire crispé.

«Là ça commence à devenir dangereux…»

Son regard passe d'un bout à l'autre de la pièce, à la recherche d'une issue, même d'un simple trou dans le mur. Sans succès. Ses yeux se posent alors sur la verrière, fendue par endroits là où les poings de Bria ont frappé. Un plan se forme dans son esprit. Un plan risqué, mais il n'est pas en position de faire la fine bouche. Il n'a pas le temps de réfléchir aux détails: le jeu de poursuite reprend, cette fois à l'avantage de l'artiste. Obligé par la menace des explosions de garder forme physique, le jeune démon est moins rapide, plus vulnérable, et se retrouve bientôt acculé dans un coin de la pièce.

Le bras explosif part; une masse de fourrure l'intercepte, et la détonation s'accompagne cette fois-ci d'une odeur de poils grillés. Serrant les dents sous le coup de la douleur, Tosk ne lâche rien et, dans un dernier effort, détourne le poing vers sa cible: la baie vitrée, renforcée, certes, mais certainement pas au point de survivre à une explosion pareille. Son plan se déroule presque sans accroc. Presque. Mais lorsque le bras entre en contact avec le verre, il ne fait qu'un bref bruit de pétard, mais aucune déflagration. La vitrine, elle, est intacte, et désormais ornée d'une sorte de feu d'artifice en filigrane.

«Il a peinturé l'explosion?!»

— Vous vous foutez de moi?!

— Me prendrais-tu pour un imbĂ©cile? Un incompĂ©tent? La maĂ®trise de mon art est parfaite, Ă©videmment. Tu ne sortiras pas d'ici, petite souris.

Troisième manche, et la situation tourne vraiment au vinaigre. Bria a abandonné l'usage de ses bras usuels, pour se servir d'une collection plus hétéroclite. Il y a le bras explosif, qui émaille la pièce de ses feux d'artifices peints avec méthode. Il y a le bras de Qilin, véloce après sa charge. Et il y en a de nouveaux: un en bois brut, entouré de feuilles, et un autre de mannequin en plastique, tous deux légers, donc vifs; un en roche et un autre couvert de cristaux, lourds et destructeurs; un en verre, transparent et difficile à voir. Et d'autres, tous ayant comme point comment d'être isolants, et donc insensibles aux coups de Taser, qui de toute façon n'ont plus assez de batterie.

Tosk tente de faire bonne figure, continuant à se moquer de l'artiste, de son physique, de ses goûts vestimentaires, de ses tableaux qu'il appelle croûtes, mais il voit sa situation se détériorer de minute en minute. Bientôt, les vitres sont incrustées d'explosions peintes, tout comme le plafond, le sol, puis un mur, puis un autre. Son espace de survie se réduit comme peau de chagrin. Il peut bientôt compter le nombre d'explosions qu'il manque pour finir de couvrir la pièce. Plus qu'une vingtaine de coups, à vue de nez. Il tente une nouvelle négociation.

— Vous savez, si vous faites pĂ©ter tout ça en mĂŞme temps, vous allez ĂŞtre pris dedans vous aussi…

Son vis-à-vis hausse ses larges épaules. Plus qu'une quinzaine d'empreintes restantes.

— Je survivrai, rĂ©pond-il d'une voix calme. Et toi?

— Sans doute pas, reconnaĂ®t Tosk. Mais le chien non plus…

7 coups.

— …ni votre homme…

5 coups.

— …ni vos meubles… Imaginez que j'aie cachĂ© le tableau derrière l'un d'eux!

2 coups. Le poing se fige, incertain.

— Tu n'as pas vraiment fait ça?!

Au tour de Tosk de hausser les épaules, nonchalant. Son sourire impertinent est revenu.

— Qui sait? On peut peut-ĂŞtre en discuter? RĂ©flĂ©chissez bien, avant de commettre une erreur.

Bria expire profondément pour se calmer, relâchant les épaules, fermant ses trop nombreux yeux. Lorsqu'il les rouvre, il n'en a plus que deux. La plupart de ses bras disparaissent; seuls restent le bras explosif, suspendu dans les airs, et un bras gauche ordinaire. Lorsqu'il reprend la parole, c'est d'une voix très calme

— Une erreur… Parce que tu crois que je fais des erreurs?

Le poing détonnant s'abat deux fois, apposant les ultimes feux d'artifice. Le sourire de Tosk s'effrite.

— Tu as la langue dĂ©cidĂ©ment trop bien pendue. Et je t'ai assez entendu. Je ferais en sorte que tu survives, et si jamais il s'avĂ©rait que je ne retrouve pas mon prĂ©cieux bien...

Son dernier bras se lève, laissant la menace en suspens. Tosk cherche une échappatoire. Mais il n'y en a pas.

— Tu ne mĂ©rites mĂŞme pas de finir empaillĂ©, mais ta fourrure sera du plus bel effet dans un cadre appropriĂ©, conclut Bria, venimeux.

L'écureuil se raidit, prêt à tenter le tout pour le tout. Le bras peint s'élance droit vers un mur pour déclencher le bouquet final.

Il ne l'atteint pas: dans un bruit de verre brisé, une pointe métallique vient transpercer de part en part la paume tendue, l'immobilisant à quelques centimètres de sa cible. Tosk tourne vivement la tête, le cœur battant à tout rompre. Bien plus tranquille, comme s'il ne sentait pas la douleur, Bria se contente d'ouvrir un œil furibond sur sa tempe, foudroyant l'importun du regard.

De l'autre côté de la vitre, suspendue à l'envers par les crochets sortant de ses genoux, une silhouette aux cheveux roses leur fait un signe réjoui de sa main libre, l'autre refermée sur la lame segmentée qui vient de perforer la chair du peintre. Son regard masqué fixé sur ce dernier, Zaelle a un sourire féroce, exposant largement sa dentition de cauchemar, et l'interpelle d'un ton léger.

— Salut! Je viens chercher mon chien!


À suivre…










Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !











Malkym

(Fast et Furious) Un texte... long... mais qui illustre plutĂ´t bien l'adage "Plus c'est long, plus c'est bon !" (?)
Pour le coup, la taille de ce récit me semble justifiée ^^ Les actions sont parfaitement décrites et l'effort d'imagination est minime tant tout est impeccablement situé !
Mais tout ne l'est pas non-plus, et le lecteur découvre lui-même ce qu'il doit comprendre, les pouvoirs des personnages, les enjeux de la mission, les relations les liant... c'est vraiment bien écrit ! ^^
Pour ce qui est des tropes à utiliser, ils me semblent tout-à-fait respectés et servent très bien ton récit en laissant la part belle à la réinterprétation puisque le personnage principal, bien qu'anti-héro, n'en reste pas moins plein de doutes, d'incertitudes et d'hésitations, ce qui le rend très attachant :3
Bref, j'avais peur de sa longueur, mais ton texte est superbe ! Et j'ai pris grand plaisir à le lire, même en n'en connaissant ni les préquels, ni la suite... Peut-être que je m'y mettrai un de ces jours (mais n'y compte pas trop, j'ai aucune volonté). :smileycool:


Le 28/10/2021 à 18:46:00



Ellumyne

Ton texte Fast et Furious est pas mal du tout. La longueur ne se fait pas vraiment ressentir. L'action est plutôt bien décrite, les tropes sont bien utilisés et je n'ai pas décroché un seul instant. J'aime toujours autant l'espièglerie de ton écureuil ^^ Les pouvoirs de peintre de Bria sont vraiment sympas et c'est rafraîchissement de lire des choses comme ça qui sortent un peu de l'ordinaire.


Le 30/10/2021 à 13:58:00



Downforyears

J'ai bien aimé ton texte, @Schrödinger d'Halloween . Il est long mais pas indigeste, et ça passe plutôt pas mal. Le cliffanger de fin donne envie d'avoir la suite.


Le 30/10/2021 à 09:29:00



JilanoAlhuin

"Fast & Furious" : Ce texte est excellent ! Du début à la fin, tout est bon ! L'affrontement entre les démons est génial aussi, et les capacités de Bria sont superbement bien exploitées, tout comme l'agilité de Tosk. Les personnages sont aussi superbes, et j'ai adoré les voir en actions, ainsi que juste lire leurs répliques entre eux. En bref, c'est un superbe texte :smileycool:


Le 03/11/2021 à 22:42:00

















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