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Schrödinger![]() Spectacles![]() Schrödinger Timeline 3
![]() ![]() Ă€ la recherche du Volte-Lune, première partie(par Schrödinger)– C'est un meurtre, M. Watson. — AssurĂ©ment, M. Wattson. — Strangulation par une corde en chanvre, ayant entraĂ®nĂ© la mort par asphyxie, selon toute vraisemblance. — Vous croyez? Pour ma part, j'opterais plutĂ´t pour une mort par suffocation, engendrĂ©e par un Ă©tranglement brutal Ă l'aide d'un lien en fibre vĂ©gĂ©tale. — Hmm-hmm… — Bien mystĂ©rieux que tout ceci… Sous les yeux de la foule misĂ©reuse agglutinĂ©e autour de la scène, MM. Watson et Wattson se redressèrent dans un bel ensemble, l'un lissant sa redingote, l'autre ajustant son beau chapeau, tous deux ignorant avec superbe le poignard plantĂ© dans le cĹ“ur de la malheureuse victime, cause Ă©vidente du dĂ©cès. Une volte-face de concert, deux grands pas en avant, et les voilĂ sous les regards, souvent curieux, parfois intĂ©ressĂ©s, de l'hĂ©tĂ©roclite faune locale. DissimulĂ© derrière ses besicles fumĂ©es, le regard fĂ©lin de M. Wattson parcourut leur public avec attention. Ă€ la recherche d'indices, sans doute. SĂ»rement, deux enquĂŞteurs si rĂ©putĂ©s pouvaient rĂ©soudre une telle affaire d'un simple coup d'Ĺ“il… RatĂ©. Constatant l'Ă©chec de son camarade, M. Watson s'avança d'un nouveau pas, pipe aux lèvres, lissant sa belle moustache, et s'adressa Ă la foule: — Mesdames… — Messieurs… — Indigents de tous bords… — Cette nuit, un horrible crime fut commis en ces lieux! S'Ă©cartant l'un de l'autre, les deux compères dĂ©signèrent d'un mĂŞme geste la demeure dĂ©labrĂ©e, comme Ă©ventrĂ©e par la charge d'un troupeau de gyrodons, au milieu de laquelle gisait la dĂ©pouille de feu le baronnet d'Adohk, noble dĂ©sargentĂ©. Comme on pouvait s'y attendre, les atours encore luxueux de l'aristocrate fraĂ®chement dĂ©cĂ©dĂ© attirèrent les convoitises des nĂ©cessiteux rassemblĂ©s lĂ , et la grogne les gagna lorsque MM. Watson et Wattson reprirent leur position d'origine. — Naturellement, nous nous sommes donc dĂ©placĂ©s jusqu'ici pour mener l'enquĂŞte. — Par malheur, nous ne relevons que très peu d'indices sur la scène elle-mĂŞme… — Ce pourquoi nous requerrons votre assistance pour nous aider Ă faire la lumière sur cette affaire. — Contre rĂ©munĂ©ration, bien entendu… conclut M. Wattson en sortant une bourse tintante d'une poche de son manteau. AussitĂ´t, l'attention se focalisa sur lui, lui arrachant un fin sourire. — Bien, en ordre, s'il vous plaĂ®t! Il va de soi que votre rĂ©compense sera Ă l'aune de l'utilitĂ© de vos dĂ©cla- Le malheureux ne put finir sa phrase; car ce qui restait de la charpente, jusque-lĂ encore dressĂ©e comme par miracle, sembla enfin se dĂ©cider Ă suivre les lois de la physique et s'effondra sur les deux hommes dans un craquement de fin du monde. La foule des gueux, voleurs et mendiants recula en catastrophe, aveuglĂ©e par le nuage de poussière qui s'ensuivit, sans pour autant trop s'Ă©loigner, l'escarcelle renflĂ©e encore très prĂ©sente dans l'esprit de chacun. Il ne fallut ainsi guère longtemps aux plus hardis d'entre eux pour se rapprocher des dĂ©combres immobiles; sitĂ´t la poussière retombĂ©e, une dizaine de ces dĂ©munis entoura la ruine, prĂŞts Ă dĂ©fendre bec et ongle leur part du butin. L'amas de poutres et de pierre remua d'une saccade brutale, faisant hĂ©siter les moins sots. Une seconde trĂ©pidation dĂ©logea quelques cailloux qui roulèrent aux pieds de certains, les incitant Ă une sage retraite. Une troisième secousse convainquit les plus rĂ©calcitrants du bien-fondĂ© du repli stratĂ©gique. Tous, sauf un, trop impatient, dĂ©sespĂ©rĂ© ou stupide pour abandonner. Serrant un long poignard de fortune dans sa main famĂ©lique, il attendit la bonne occasion, passant une langue nerveuse sur ses lèvres. L'opportunitĂ© convoitĂ©e ne se fit pas attendre: un mouvement Ă©branlant le monticule lui dĂ©signa sa cible, et il plongea, dague en avant. Bien mal lui en prit; un bras Ă©cailleux sortant d'une manche de manteau dĂ©chirĂ©e le saisit au vol, l'interceptant en plein Ă©lan et le renvoyant Ă terre si fort qu'il manqua de se briser la nuque. L'assemblĂ©e recula prudemment tandis que deux silhouettes Ă©mergèrent du tas dans un nouveau nuage de poussière, s'Ă©poussetant d'un air ennuyĂ©. M. Watson en particulier semblait chagrinĂ© d'avoir abĂ®mĂ© son si beau manteau, tandis que M. Wattson rajustait son chapeau lĂ©gèrement aplati sur sa chevelure blanchie par le plâtre. — Vous conviendrez, M. Watson, que ceci ressemblait fort Ă une tentative d'assassinat. — En effet, M. Wattson, je dirais mĂŞme plus: une tentative Ă©hontĂ©e de meurtre sur nos personnes. — Votre moustache est de guingois, M. Watson. — Vos binocles sont fendues, M. Wattson. — Il va donc nous falloir prendre congĂ© tantĂ´t. Rajustant leur mise, tous deux descendirent d'un mĂŞme pas la pile instable, ignorant superbement le traĂ®ne-patins au sol. — Nous disions donc: si vous avez connaissance d'Ă©lĂ©ments pertinents concernant cette affaire, veuillez vous avancer, je vous prie. S'il y eut un mouvement dans la ruelle, c'en fut un de recul. La curiositĂ© engendrĂ©e par la visite de ces Ă©tranges gentlemen avait laissĂ© place Ă une prudence mâtinĂ©e de crainte, que seul l'appât du gain parvenait Ă combattre. M. Wattson s'avança d'un pas, faisant tinter sa bourse: — Alors? Rien? Seul lui rĂ©pondit un miaulement allègre qui prit tout le monde au dĂ©pourvu. Baissant les yeux, M. Watson eut la surprise de dĂ©couvrir le chat Ă trois pattes d'un jaune intense qui se frottait en ronronnant Ă sa jambe, sa longue queue annelĂ©e de cercles bleus venant chatouiller son poignet. Le matou tripode miaula Ă nouveau, heureux, et la foule s'Ă©gailla en moins de temps qu'il n'en aurait fallu pour dire "Diantre!". Les deux compères se regardèrent. LĂ oĂą il y avait des Chats du Voleur, il y avait la Milice… — Halte! Un regard Ă l'entrĂ©e de la ruelle leur confirma l'arrivĂ©e d'un peloton de la garde. Les deux complices ne perdirent pas de temps Ă parlementer; la fuite Ă©tait ici la seule solution, malgrĂ© le succès moins que probant de leur entreprise. Il Ă©tait après tout impensable que les très respectables MM. Watson et Wattson attirent tant l'attention de ces fĂ©lins amateurs d'escrocs en tous genre. La fuite fut brève, mais intense, MM. Watson et Wattson — qui ne s'appelaient, bien entendu, ni Watson, ni Wattson, pas plus qu'ils n'Ă©taient dĂ©tectives — possĂ©dant une remarquable connaissance des lieux doublĂ©e d'aptitudes dĂ©passant de bien loin les meilleurs efforts des garants de la loi. Aussi ne mirent-ils guère de temps Ă rejoindre l'un de leurs refuges provisoires, dans les soupentes de l'hĂ´tel particulier abritant pour l'heure les deux Ă©minents enquĂŞteurs — les vrais, cette fois —, après avoir bien pris soin de brouiller leur piste. «M. Wattson», de son vrai nom Lepta, entra le premier avec un grognement las, et ne perdit pas une seconde pour se dĂ©barrasser de son dĂ©guisement avant de s'atteler Ă une toilette rapide. Au fiasco de l'opĂ©ration nocturne s'Ă©tait ajoutĂ© cet effondrement suspect, et il avait hâte de se dĂ©barrasser de la saletĂ© des rues poussiĂ©reuses de ces quartiers aussi pauvres qu'insalubres. Pour sa part, son acolyte, rĂ©pondant au patronyme d'Adrun — du moins, en ce moment et pour encore quelques mois —, contemplait d'un air dĂ©solĂ© les deux trous ornant dĂ©sormais le dos de sa redingote, rĂ©sultat de l'Ă©mergence brutale de ses ailes. — J'aimais beaucoup ce manteau… — C'Ă©tait lui ou nous, rappela, Ă juste titre, le blond entre deux coups de peigne. Merci pour ça, d'ailleurs! Quand on aura rĂ©cupĂ©rĂ© le bijou, je t'en offrirai un autre, parole! Avec un soupir, le demi-dragon laissa tomber le pardessus et entreprit de se dĂ©faire de l'apparence de M. Watson. La moustache postiche fut arrachĂ©e, la fausse bedaine tomba, rĂ©vĂ©lant un abdomen sculptĂ©, la corpulente silhouette s'affina et rĂ©trĂ©cit pour adopter un gabarit plus appropriĂ© aux activitĂ©s de monte-en-l'air. Un seau d'eau froide plus tard, et ses cheveux avaient rĂ©cupĂ©rĂ© leur belle couleur carmin. — Du coup on fait quoi? On s'est fait doubler en beautĂ©, cette nuit. Adohk dĂ©jĂ mort, le Volte-Lune disparu, zĂ©ro piste… On a mĂŞme aucune idĂ©e d'oĂą ils se trouvent, en ce moment! — Aucune, vraiment? rĂ©pondit Lepta, triomphal. — Quoi, tu as devinĂ© oĂą ils se cachent?! — ÉlĂ©mentaire, mon cher Watson! L'effondrement du toit sur nos tĂŞtes n'avait rien d'un accident. Ceux qui nous ont devancĂ© Ă©taient donc encore lĂ pour nous tendre un piège. Par chance, on avait plein de tĂ©moins. Donc… Un sourire fĂ©roce Ă©claira le visage d'Adrun. — Donc on va pouvoir les retrouver. MĂŞme pas besoin de tĂ©moins, leur odeur doit encore ĂŞtre prĂ©sente. On va leur montrer ce qu'il en coĂ»te de s'en prendre Ă la mĂŞme cible que nous! — Ou alors je peux vous dire oĂą les trouver, gnihi! rĂ©sonna une voix grinçante Ă l'autre bout de la pièce, faisant sursauter les deux comparses. Lepta jaillit de la pièce voisine, un poignard dans une main, les griffes de l'autre sorties. Son regard perçant, hĂ©ritage de son ascendance mĂŞlant Elfes et FĂ©lynes, fouilla l'obscuritĂ© et s'arrĂŞta sur le frĂŞle vieillard assis dans l'un des rares sièges de la mansarde. Adrun fut moins subtil: une gerbe de flammes vives vint Ă©clairer la scène, sans parvenir Ă faire trembler le mystĂ©rieux visiteur. — Gnihihi, pas besoin d'ĂŞtre autant sur la dĂ©fensive, les jeunes! Son visage hâve se fendit d'un sourire Ă©dentĂ©, tout sauf rassurant. — Je suis juste lĂ pour vous guider sur la bonne voie. Ce serait dommage que deux jeunes gens aussi prometteurs que vous Ă©chouent Ă une tâche aussi simple… — On n'a pas Ă©chouĂ©! rĂ©pliqua Adrun, vexĂ©. Et d'ajouter avec une certaine mauvaise foi: On a juste un passage Ă vide momentanĂ©, c'est tout. — Gnihihihi, un passage Ă vide après avoir espionnĂ© Adohk pendant des jours, s'ĂŞtre dĂ©guisĂ© en dĂ©tectives, pour ne pas rĂ©ussir Ă rĂ©cupĂ©rer votre cible et presque mourir dans un effondrement? Le demi-elfe plissa les yeux, mĂ©fiant. — Comment vous savez tout ça, vous? Impossible que vous nous ayez suivis pendant tout ce temps. On vous aurait vu…et senti, ajouta-t-il en fronçant le nez, dĂ©goĂ»tĂ©. — Oh, je ne suis qu'un humble messager… Mon employeur a le bras long, des oreilles partout, et connaĂ®t beaucoup, beaucoup de choses, gnihihi! Les deux partenaires de crimes s'entre-regardèrent, et baissèrent leur garde en un accord tacite. — Le Vieux Cafard, hein? soupira Lepta. J'ai la dĂ©sagrĂ©able sensation de m'ĂŞtre fait avoir. — Gnihihi, vous venez d'arriver sur son domaine, vous auriez dĂ» savoir Ă quoi vous attendre. Maintenant, si vous ne voulez plus de ce contrat, je peux comprendre… glissa sournoisement le vieillard en se levant. Je m'en vais donc prendre congĂ©. Sur ce… Un bras puissant s'enroula autour de ses frĂŞles Ă©paules en une Ă©treinte amicale, et Adrun l'installa de force avec lui sur le confortable canapĂ© rembourrĂ© de plumes trĂ´nant contre l'un des murs inclinĂ©s du repaire. — Vous n'allez pas nous quitter comme ça, voyons! Et si nous parlions un peu de cette histoire de cachette? Lepta! Ă€ boire et Ă manger pour notre invitĂ©!
La nuit Ă©tait tombĂ©e depuis bien longtemps lorsque deux silhouettes furtives dĂ©couvrirent enfin l'entrĂ©e du rĂ©seau de cavernes servant de cachette Ă la bande rivale. Il Ă©tait temps. La conversation avec l'envoyĂ© n'avait peut-ĂŞtre pas durĂ© très longtemps, mais sortir de la Ville-Frontière sans se faire repĂ©rer pour ensuite parcourir plusieurs kilomètres jusqu'au point indiquĂ© n'avait pas Ă©tĂ© aussi rapide. Le duo d'escrocs ne s'en Ă©tait cependant pas plaint, bien au contraire. Se faufiler entre les guĂ©rites sans se faire prendre, sillonner la campagne hors de cette ville Ă©touffante, laisser de cĂ´tĂ© ces dĂ©guisements encombrants pour la première fois depuis des jours, tout ça leur avait fait oublier les dĂ©sagrĂ©ments de ces dernières semaines. Les deux amis avaient troquĂ© les oripeaux des dĂ©tectives pour des tenues lĂ©gères et pratiques, bien plus adaptĂ©es Ă la rapine et Ă leurs goĂ»ts. LibĂ©rĂ©s de leur rĂ´le d'hommes d'âge mĂ»r, leurs visages avaient enfin retrouvĂ© des traits plus juvĂ©niles, quand bien mĂŞme leur âge rĂ©el ne le cĂ©dait en rien aux respectables enquĂŞteurs. Ils progressaient en silence, Ă©clairĂ©s seulement par l'astre lunaire; parfaitement nyctalopes, aucun d'eux n'avait cure de la faible luminositĂ©. Au contraire, se balader dans l'obscuritĂ© quasi-complète leur procurait toujours une prodigieuse excitation, et cette fois-lĂ ne faisait pas exception. Tout Ă©tait calme, Ă croire que personne ne vivait ici. Mais Lepta n'Ă©tait pas dupe: de loin celui avec la meilleure vision du duo, il avait aisĂ©ment remarquĂ© les traces de passages, mĂŞme dans ces conditions. Le fait qu'il n'y ait pas une sentinelle, malgrĂ© l'isolement des lieux qui ne rĂ©clamait pourtant pas tant de prĂ©cautions, Ă©tait plus que suspect. — Ça m'a tout l'air d'ĂŞtre un piège. Je n'aime pas ça. On fait quoi, Ad? — On y va quand mĂŞme! Ă€ quoi on ressemblerait, si on se dĂ©gonflait maintenant après avoir fait toute la route? — On pourrait faire le tour. Tenter une autre approche. On ne sait mĂŞme pas combien ils sont. Son complice lui rĂ©pondit d'un sourire fĂ©roce et revanchard. — Peu importe combien ils sont. Ils ont essayĂ© de nous tuer ce matin, il est temps de leur rendre la monnaie de leur pièce. — On est censĂ©s ĂŞtre des cambrioleurs, pas des mercenaires. Foncer dans le tas par la grande porte, ce n'est pas vraiment notre façon de procĂ©der, lui rĂ©torqua Lepta, un sourire dĂ©mentant son ton de reproche. Le semi-dragon Ă©mergea Ă son tour du relief derrière lequel les deux espions s'Ă©taient dissimulĂ©s, avant de se diriger Ă pas silencieux vers l'entrĂ©e de la grotte, confiant. — Tu n'as qu'Ă rester derrière moi, si tu as trop peur! L'accès aux profondeurs semblait, comme l'avait indiquĂ© Lepta, dĂ©sert. Ils entrèrent, redoublant de prudence, dans l'attente d'une attaque qui ne vint jamais. Plus perturbant encore, aucun passage ne paraissait mener dans les entrailles de la terre, oĂą devait les attendre leur butin. Adrun fut le premier Ă baisser sa garde. — Bah, personne? On s'est trompĂ©s de grotte? — Non, le contredit son camarade. Regarde. Du doigt, il pointa ce qui, de prime abord, n'Ă©voqua Ă Adrun rien de plus qu'un rocher de forme inhabituelle. Ce fut seulement lorsqu'il en arriva Ă quelque pas qu'il discerna devant la concrĂ©tion rocheuse la silhouette d'un homme au visage recouvert d'une capuche, assis en tailleur, une crosse en Ă©quilibre sur ses genoux. Immobile, Ă©maciĂ©, il semblait en transe, et seul l'imperceptible mouvement de sa cage thoracique indiquait qu'il appartenait toujours au monde des vivants. — …Un ascète retirĂ© hors du monde, dans cette grotte? Ils nous prennent pour des idiots, pas vrai? — Ou alors, ça fait partie de leur tactique habituelle. Celui qui entre ne voit qu'un ermite inoffensif en pleine mĂ©ditation, ne se mĂ©fie pas. Au mieux, croit qu'il n'y a rien de valeur, et s'en va sans entrer plus avant. Au pire, s'approche trop du leurre et tombe dans le piège tendu autour. Adrun prit une grande inspiration et grimaça, comme incommodĂ© par une forte odeur dĂ©sagrĂ©able. — Pouah! Ce type pue la magie Ă vingt pieds! C'est sĂ»rement lui qui dissimule les tunnels qui mènent Ă l'intĂ©rieur. (Il renifla Ă nouveau.) Tu avais raison, comme toujours. C'est un piège. La zone dans les trois coudĂ©es autour de lui sent encore plus fort que le reste. Un pas de plus et on Ă©tait pris dedans. Qu'est-ce qu'on fait, on l'ignore? — On pourrait l'abattre d'ici, remarqua le blond en levant une arbalète miniature de facture excellente, petit Ă -cĂ´tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ© lors d'un contrat particulièrement lucratif. Si c'est un mage, ce peut ĂŞtre lui qui a tentĂ© d'enterrer MM. Watson et Wattson, ce matin. — Tu as raison, ce serait plus sĂ»r, mais sans doute pas de très bon goĂ»t… On devrait le rĂ©veiller, avant, pour lui donner une chance. Soyons un peu beaux joueurs: je le rĂ©veille avec une pierre, tu menaces de lui ficher un carreau dans le col s'il tente quoi que ce soit, il nous rĂ©vèle le chemin jusqu’au Volte-Lune, et on l'estourbit pour la forme. Propre, simple, effic- — Ne vous donnez pas cette peine, l'interrompit une voix profonde aux accents suaves. L'homme avait repris connaissance, Ă moins qu'il n'ait Ă©tĂ© lucide depuis le dĂ©but. Difficile de trancher, Ă la vĂ©ritĂ©: sa posture restait inchangĂ©e, son souffle s'Ă©tait Ă peine approfondi. Seuls ses yeux dĂ©sormais ouverts et son sourire confiant diffĂ©raient de tantĂ´t. MalgrĂ© sa situation, il ne semblait pas inquiet pour un sou, ce qui mit sur leurs gardes les deux intrus. — Je dois avouer vous avoir sous-estimĂ©s. Bravo pour avoir dĂ©tectĂ© mon sort! Oh, bien sĂ»r, ce petit Ă©clat n'est en rien Ă mĂŞme de retourner la situation Ă votre avantage… Un simple geste de la main. C'est tout ce qu'il lui fallut pour reprendre l'ascendant. L'instant d'avant, Lepta aurait pu jurer qu'ils n'Ă©taient que trois dans la caverne. DĂ©sormais, son compagnon et lui se retrouvaient entourĂ©s d'une dizaine d'hommes masquĂ©s, apparus de nulle part, pointant sur eux arbalètes et poignards. — …mais il est tout de mĂŞme Ă porter Ă votre crĂ©dit. L'ensorceleur se releva, lissa sa tunique, et s'accouda nĂ©gligemment Ă sa crosse, un sourire joueur aux lèvres. Il semblait avoir repris quelques livres et centimètres, et paraissait dĂ©sormais en bien bonne santĂ©, quoique toujours un peu fin. — Vous me plaisez, vous savez? Vous avez du cran. De l’astuce. De la prĂ©sence d’esprit. Alors je vais vous faire une offre. ConsidĂ©rez-la bien, je ne vous la ferai qu'une seule fois: que diriez-vous de vous joindre Ă nous? Nous sommes toujours prĂŞts Ă accueillir de jeunes talents dans nos rangs, tout le monde en profite! Bien entendu, vous aurez droits Ă des avantages. Il commença Ă compter sur ses doigts, dĂ©contractĂ©. — Une position Ă©levĂ©e dans la hiĂ©rarchie, une part non nĂ©gligeable de nos revenus, l'accès Ă notre rĂ©seau d'informations, l'assurance d'avoir toujours quelqu'un vers qui vous tourner en cas de contretemps… Qu'oublie-je? Oh, bien sĂ»r, l'exclusivitĂ© sur toutes vos "dĂ©couvertes" hors contrat, naturellement! Qu'en dites-vous? conclut-il, affable. Pas une mauvaise affaire, n'est-ce pas? Le duo se consulta du regard, l'espace d'un instant. Finalement, Lepta baissa son arbalète et tous deux s'inclinèrent poliment, flĂ©chissant leur buste en un bel ensemble. — Nous vous remercions pour cette proposition des plus allĂ©chante… commença Lepta. — Nous prendrons le temps d'y rĂ©flĂ©chir une fois le Volte-Lune remis Ă notre client, acheva Adrun. Ă€ ces mots, ce dernier se mit Ă grandir, grandir, la peau de ses bras et de son dos se couvrant d'Ă©cailles rosĂ©es, sa tunique Ă©lastique en cuir de scylla traitĂ© tentant vaille que vaille de suivre le mouvement. Deux ailes membraneuses et une queue cuirassĂ©e Ă©mergèrent des ouvertures prĂ©vues Ă cet effet, tandis que sa chevelure cinabre se paraĂ®t de cornes sombres. Pour lui laisser la place, son ami s'Ă©loigna d'un pas; les hommes qui les encerclaient reculèrent de mĂŞme, peu rassurĂ©s. Ă€ l'inverse, les yeux du mage ennemi pĂ©tillèrent sous sa capuche, et il se campa fermement au centre de son cercle, galvanisĂ© Ă l'idĂ©e de terrasser un semi-dragon. — Vous me plaisez de plus en plus! Voyons voir qui de nous deux a mĂ©sestimĂ© l'autre…! OubliĂ© de tous, Lepta promena son regard sur les parois, Ă la recherche de l'ouverture menant Ă la parure. Il ne lui fallut ainsi guère de temps pour discerner l'infime chatoiement du voile Ă©rigĂ© autour du passage, et Ă peine plus pour confirmer qu'il s'agissait ici de la seule protection Ă©difiĂ©e. Un coup d'Ĺ“il rapide Ă la scène lui apprit tout ce qu'il y avait Ă savoir, et il s'avança vers le goulet non protĂ©gĂ© en toute discrĂ©tion. Son partenaire s'en sortirait, comme toujours. Au semi-elfe de subtiliser le Volte-Lune pendant que l'attention Ă©tait occupĂ©e ici et Ă mettre les voiles avec le bijou en poche. Deux Ă©vĂ©nements, l'un dĂ©coulant directement de l'autre, l'empĂŞchèrent d'atteindre son but. Il fallait d'abord savoir que, si les yeux de lynx de son collègue excellaient Ă dĂ©nicher les cachettes les plus improbables et les butins les plus prĂ©cieux, Adrun, lui, n'avait pas son pareil pour dĂ©tecter les sorts et autres artifices destinĂ©s Ă punir les dĂ©trousseurs de son espèce. Cet odorat aussi particulier que salutaire les avait sortis de bien des mauvais pas, mais s'accompagnait d'une faiblesse cruciale. Le demi-dragon Ă©tait allergique Ă la foudre. Or, c'Ă©tait prĂ©cisĂ©ment cet Ă©lĂ©ment qu'avait choisi de canaliser le mage adverse, ayant usĂ© de son cercle occulte pour concentrer et amplifier son malĂ©fice durant de longues heures de mĂ©ditation. L'air crĂ©pitant d'Ă©lectricitĂ© vint chatouiller les narines d'Adrun, qui sentit avec alarme poindre une crise d'Ă©ternuements. — A…A…Aaa…! Atchoum! L'Ă©norme silhouette du demi-dragon fut secouĂ©e d'un spasme alors que jaillissait une colonne de flammes de ses naseaux fumants. Au mĂŞme moment, l'Ă©clair jaillit du bâton du magicien, droit vers la tĂŞte de son adversaire. Feu et foudre se rencontrèrent Ă mi-chemin en une dĂ©bauche d'Ă©nergie, et ce qui devait arriver arriva: une explosion tonitruante secoua la caverne, projetant Ă terre tous ceux prĂ©sents. Des fissures apparurent sur le sol et les parois de la grotte, se rĂ©pandirent dans le rĂ©seau de tunnels, fragilisèrent l'intĂ©gralitĂ© de la structure. Rendu aveugle et Ă moitiĂ© sourd par la dĂ©flagration, Adrun fut tout de mĂŞme le premier Ă comprendre. La caverne, et une bonne partie du labyrinthe, allait s'effondre sur eux. DĂ©jĂ , de gros rochers se dĂ©tachaient du plafond autour de lui, manquant de l'Ă©craser. L'odeur de Lepta Ă©manait d'un peu plus loin, mĂŞlĂ©e au parfum entĂŞtant du sang. Serrant les dents, son collègue se redressa avec effort. Vacilla, encore hĂ©bĂ©tĂ© par le choc. Retomba Ă quatre pattes et jugea bon de rester dans cette position plutĂ´t que de tenter de se lever. Sa silhouette grandit, s'affina, changea encore, dĂ©sormais totalement draconique, et il s'Ă©lança Ă l'aveugle, droit vers son ami inconscient, assommĂ© par une pierre, qu'il saisit dĂ©licatement entre ses crocs. Un bloc se dĂ©tacha du plafond alors qu'il passait en-dessous; la douleur explosa dans son aile, mais il ne lâcha qu'un juron mental. Le temps pressait: il fallait trouver une issue, n'importe laquelle. Un courant d'air providentiel chatouilla le flanc du dragon. La dernière chance. Faisant fi de toute prudence, il s'Ă©lança derechef, sinuant entre les dĂ©bris. Il distinguait dĂ©sormais clairement un filet de vent venir de ce qu'il imaginait ĂŞtre un tunnel Ă©croulĂ©. L'endroit n'Ă©tait pas grand; quelques pas encore et ils seraient moins exposĂ©s. Il allait y arriver, il allait… Une secousse plus violente que la prĂ©cĂ©dente fit trembler le sol. Tout un pan du plafond s'effondra devant Adrun, qui eut un mouvement de recul. Le flux d'air s'Ă©tait Ă©vanoui. Un nouveau tremblement agita la roche. Et la grotte tout entière se disloqua sur eux.
Ă€ suivre Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !
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