L'Académie de Lu





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Défi de Schrödinger 2 (aléatoire)

Schrödinger Timeline 3


À la recherche du Volte-Lune, première partie

(par Schrödinger)
(Thème : Histoire alĂ©atoire)



– C'est un meurtre, M. Watson.

— AssurĂ©ment, M. Wattson.

— Strangulation par une corde en chanvre, ayant entraĂ®nĂ© la mort par asphyxie, selon toute vraisemblance.

— Vous croyez? Pour ma part, j'opterais plutĂ´t pour une mort par suffocation, engendrĂ©e par un Ă©tranglement brutal Ă  l'aide d'un lien en fibre vĂ©gĂ©tale.

— Hmm-hmm…

— Bien mystĂ©rieux que tout ceci…

Sous les yeux de la foule miséreuse agglutinée autour de la scène, MM. Watson et Wattson se redressèrent dans un bel ensemble, l'un lissant sa redingote, l'autre ajustant son beau chapeau, tous deux ignorant avec superbe le poignard planté dans le cœur de la malheureuse victime, cause évidente du décès. Une volte-face de concert, deux grands pas en avant, et les voilà sous les regards, souvent curieux, parfois intéressés, de l'hétéroclite faune locale. Dissimulé derrière ses besicles fumées, le regard félin de M. Wattson parcourut leur public avec attention. À la recherche d'indices, sans doute. Sûrement, deux enquêteurs si réputés pouvaient résoudre une telle affaire d'un simple coup d'œil…

Raté. Constatant l'échec de son camarade, M. Watson s'avança d'un nouveau pas, pipe aux lèvres, lissant sa belle moustache, et s'adressa à la foule:

— Mesdames…

— Messieurs…

— Indigents de tous bords…

— Cette nuit, un horrible crime fut commis en ces lieux!

S'écartant l'un de l'autre, les deux compères désignèrent d'un même geste la demeure délabrée, comme éventrée par la charge d'un troupeau de gyrodons, au milieu de laquelle gisait la dépouille de feu le baronnet d'Adohk, noble désargenté. Comme on pouvait s'y attendre, les atours encore luxueux de l'aristocrate fraîchement décédé attirèrent les convoitises des nécessiteux rassemblés là, et la grogne les gagna lorsque MM. Watson et Wattson reprirent leur position d'origine.

— Naturellement, nous nous sommes donc dĂ©placĂ©s jusqu'ici pour mener l'enquĂŞte.

— Par malheur, nous ne relevons que très peu d'indices sur la scène elle-mĂŞme…

— Ce pourquoi nous requerrons votre assistance pour nous aider Ă  faire la lumière sur cette affaire.

— Contre rĂ©munĂ©ration, bien entendu… conclut M. Wattson en sortant une bourse tintante d'une poche de son manteau.

AussitĂ´t, l'attention se focalisa sur lui, lui arrachant un fin sourire.

— Bien, en ordre, s'il vous plaĂ®t! Il va de soi que votre rĂ©compense sera Ă  l'aune de l'utilitĂ© de vos dĂ©cla-

Le malheureux ne put finir sa phrase; car ce qui restait de la charpente, jusque-là encore dressée comme par miracle, sembla enfin se décider à suivre les lois de la physique et s'effondra sur les deux hommes dans un craquement de fin du monde. La foule des gueux, voleurs et mendiants recula en catastrophe, aveuglée par le nuage de poussière qui s'ensuivit, sans pour autant trop s'éloigner, l'escarcelle renflée encore très présente dans l'esprit de chacun. Il ne fallut ainsi guère longtemps aux plus hardis d'entre eux pour se rapprocher des décombres immobiles; sitôt la poussière retombée, une dizaine de ces démunis entoura la ruine, prêts à défendre bec et ongle leur part du butin.

L'amas de poutres et de pierre remua d'une saccade brutale, faisant hésiter les moins sots. Une seconde trépidation délogea quelques cailloux qui roulèrent aux pieds de certains, les incitant à une sage retraite. Une troisième secousse convainquit les plus récalcitrants du bien-fondé du repli stratégique. Tous, sauf un, trop impatient, désespéré ou stupide pour abandonner. Serrant un long poignard de fortune dans sa main famélique, il attendit la bonne occasion, passant une langue nerveuse sur ses lèvres. L'opportunité convoitée ne se fit pas attendre: un mouvement ébranlant le monticule lui désigna sa cible, et il plongea, dague en avant.

Bien mal lui en prit; un bras écailleux sortant d'une manche de manteau déchirée le saisit au vol, l'interceptant en plein élan et le renvoyant à terre si fort qu'il manqua de se briser la nuque. L'assemblée recula prudemment tandis que deux silhouettes émergèrent du tas dans un nouveau nuage de poussière, s'époussetant d'un air ennuyé. M. Watson en particulier semblait chagriné d'avoir abîmé son si beau manteau, tandis que M. Wattson rajustait son chapeau légèrement aplati sur sa chevelure blanchie par le plâtre.

— Vous conviendrez, M. Watson, que ceci ressemblait fort Ă  une tentative d'assassinat.

— En effet, M. Wattson, je dirais mĂŞme plus: une tentative Ă©hontĂ©e de meurtre sur nos personnes.

— Votre moustache est de guingois, M. Watson.

— Vos binocles sont fendues, M. Wattson.

— Il va donc nous falloir prendre congĂ© tantĂ´t.

Rajustant leur mise, tous deux descendirent d'un même pas la pile instable, ignorant superbement le traîne-patins au sol.

— Nous disions donc: si vous avez connaissance d'Ă©lĂ©ments pertinents concernant cette affaire, veuillez vous avancer, je vous prie.

S'il y eut un mouvement dans la ruelle, c'en fut un de recul. La curiosité engendrée par la visite de ces étranges gentlemen avait laissé place à une prudence mâtinée de crainte, que seul l'appât du gain parvenait à combattre. M. Wattson s'avança d'un pas, faisant tinter sa bourse:

— Alors? Rien?

Seul lui répondit un miaulement allègre qui prit tout le monde au dépourvu. Baissant les yeux, M. Watson eut la surprise de découvrir le chat à trois pattes d'un jaune intense qui se frottait en ronronnant à sa jambe, sa longue queue annelée de cercles bleus venant chatouiller son poignet. Le matou tripode miaula à nouveau, heureux, et la foule s'égailla en moins de temps qu'il n'en aurait fallu pour dire "Diantre!". Les deux compères se regardèrent. Là où il y avait des Chats du Voleur, il y avait la Milice…

— Halte!

Un regard à l'entrée de la ruelle leur confirma l'arrivée d'un peloton de la garde. Les deux complices ne perdirent pas de temps à parlementer; la fuite était ici la seule solution, malgré le succès moins que probant de leur entreprise. Il était après tout impensable que les très respectables MM. Watson et Wattson attirent tant l'attention de ces félins amateurs d'escrocs en tous genre. La fuite fut brève, mais intense, MM. Watson et Wattson — qui ne s'appelaient, bien entendu, ni Watson, ni Wattson, pas plus qu'ils n'étaient détectives — possédant une remarquable connaissance des lieux doublée d'aptitudes dépassant de bien loin les meilleurs efforts des garants de la loi.

Aussi ne mirent-ils guère de temps à rejoindre l'un de leurs refuges provisoires, dans les soupentes de l'hôtel particulier abritant pour l'heure les deux éminents enquêteurs — les vrais, cette fois —, après avoir bien pris soin de brouiller leur piste. «M. Wattson», de son vrai nom Lepta, entra le premier avec un grognement las, et ne perdit pas une seconde pour se débarrasser de son déguisement avant de s'atteler à une toilette rapide. Au fiasco de l'opération nocturne s'était ajouté cet effondrement suspect, et il avait hâte de se débarrasser de la saleté des rues poussiéreuses de ces quartiers aussi pauvres qu'insalubres. Pour sa part, son acolyte, répondant au patronyme d'Adrun — du moins, en ce moment et pour encore quelques mois —, contemplait d'un air désolé les deux trous ornant désormais le dos de sa redingote, résultat de l'émergence brutale de ses ailes.

— J'aimais beaucoup ce manteau…

— C'Ă©tait lui ou nous, rappela, Ă  juste titre, le blond entre deux coups de peigne. Merci pour ça, d'ailleurs! Quand on aura rĂ©cupĂ©rĂ© le bijou, je t'en offrirai un autre, parole!

Avec un soupir, le demi-dragon laissa tomber le pardessus et entreprit de se défaire de l'apparence de M. Watson. La moustache postiche fut arrachée, la fausse bedaine tomba, révélant un abdomen sculpté, la corpulente silhouette s'affina et rétrécit pour adopter un gabarit plus approprié aux activités de monte-en-l'air. Un seau d'eau froide plus tard, et ses cheveux avaient récupéré leur belle couleur carmin.

— Du coup on fait quoi? On s'est fait doubler en beautĂ©, cette nuit. Adohk dĂ©jĂ  mort, le Volte-Lune disparu, zĂ©ro piste… On a mĂŞme aucune idĂ©e d'oĂą ils se trouvent, en ce moment!

— Aucune, vraiment? rĂ©pondit Lepta, triomphal.

— Quoi, tu as devinĂ© oĂą ils se cachent?!

— ÉlĂ©mentaire, mon cher Watson! L'effondrement du toit sur nos tĂŞtes n'avait rien d'un accident. Ceux qui nous ont devancĂ© Ă©taient donc encore lĂ  pour nous tendre un piège. Par chance, on avait plein de tĂ©moins. Donc…

Un sourire féroce éclaira le visage d'Adrun.

— Donc on va pouvoir les retrouver. MĂŞme pas besoin de tĂ©moins, leur odeur doit encore ĂŞtre prĂ©sente. On va leur montrer ce qu'il en coĂ»te de s'en prendre Ă  la mĂŞme cible que nous!

— Ou alors je peux vous dire oĂą les trouver, gnihi! rĂ©sonna une voix grinçante Ă  l'autre bout de la pièce, faisant sursauter les deux comparses.

Lepta jaillit de la pièce voisine, un poignard dans une main, les griffes de l'autre sorties. Son regard perçant, héritage de son ascendance mêlant Elfes et Félynes, fouilla l'obscurité et s'arrêta sur le frêle vieillard assis dans l'un des rares sièges de la mansarde. Adrun fut moins subtil: une gerbe de flammes vives vint éclairer la scène, sans parvenir à faire trembler le mystérieux visiteur.

— Gnihihi, pas besoin d'ĂŞtre autant sur la dĂ©fensive, les jeunes!

Son visage hâve se fendit d'un sourire édenté, tout sauf rassurant.

— Je suis juste lĂ  pour vous guider sur la bonne voie. Ce serait dommage que deux jeunes gens aussi prometteurs que vous Ă©chouent Ă  une tâche aussi simple…

— On n'a pas Ă©chouĂ©! rĂ©pliqua Adrun, vexĂ©. Et d'ajouter avec une certaine mauvaise foi: On a juste un passage Ă  vide momentanĂ©, c'est tout.

— Gnihihihi, un passage Ă  vide après avoir espionnĂ© Adohk pendant des jours, s'ĂŞtre dĂ©guisĂ© en dĂ©tectives, pour ne pas rĂ©ussir Ă  rĂ©cupĂ©rer votre cible et presque mourir dans un effondrement?

Le demi-elfe plissa les yeux, méfiant.

— Comment vous savez tout ça, vous? Impossible que vous nous ayez suivis pendant tout ce temps. On vous aurait vu…et senti, ajouta-t-il en fronçant le nez, dĂ©goĂ»tĂ©.

— Oh, je ne suis qu'un humble messager… Mon employeur a le bras long, des oreilles partout, et connaĂ®t beaucoup, beaucoup de choses, gnihihi!

Les deux partenaires de crimes s'entre-regardèrent, et baissèrent leur garde en un accord tacite.

— Le Vieux Cafard, hein? soupira Lepta. J'ai la dĂ©sagrĂ©able sensation de m'ĂŞtre fait avoir.

— Gnihihi, vous venez d'arriver sur son domaine, vous auriez dĂ» savoir Ă  quoi vous attendre. Maintenant, si vous ne voulez plus de ce contrat, je peux comprendre… glissa sournoisement le vieillard en se levant. Je m'en vais donc prendre congĂ©. Sur ce…

Un bras puissant s'enroula autour de ses frêles épaules en une étreinte amicale, et Adrun l'installa de force avec lui sur le confortable canapé rembourré de plumes trônant contre l'un des murs inclinés du repaire.

— Vous n'allez pas nous quitter comme ça, voyons! Et si nous parlions un peu de cette histoire de cachette? Lepta! Ă€ boire et Ă  manger pour notre invitĂ©!


La nuit était tombée depuis bien longtemps lorsque deux silhouettes furtives découvrirent enfin l'entrée du réseau de cavernes servant de cachette à la bande rivale. Il était temps. La conversation avec l'envoyé n'avait peut-être pas duré très longtemps, mais sortir de la Ville-Frontière sans se faire repérer pour ensuite parcourir plusieurs kilomètres jusqu'au point indiqué n'avait pas été aussi rapide. Le duo d'escrocs ne s'en était cependant pas plaint, bien au contraire. Se faufiler entre les guérites sans se faire prendre, sillonner la campagne hors de cette ville étouffante, laisser de côté ces déguisements encombrants pour la première fois depuis des jours, tout ça leur avait fait oublier les désagréments de ces dernières semaines.

Les deux amis avaient troqué les oripeaux des détectives pour des tenues légères et pratiques, bien plus adaptées à la rapine et à leurs goûts. Libérés de leur rôle d'hommes d'âge mûr, leurs visages avaient enfin retrouvé des traits plus juvéniles, quand bien même leur âge réel ne le cédait en rien aux respectables enquêteurs. Ils progressaient en silence, éclairés seulement par l'astre lunaire; parfaitement nyctalopes, aucun d'eux n'avait cure de la faible luminosité. Au contraire, se balader dans l'obscurité quasi-complète leur procurait toujours une prodigieuse excitation, et cette fois-là ne faisait pas exception.

Tout était calme, à croire que personne ne vivait ici. Mais Lepta n'était pas dupe: de loin celui avec la meilleure vision du duo, il avait aisément remarqué les traces de passages, même dans ces conditions. Le fait qu'il n'y ait pas une sentinelle, malgré l'isolement des lieux qui ne réclamait pourtant pas tant de précautions, était plus que suspect.

— Ça m'a tout l'air d'ĂŞtre un piège. Je n'aime pas ça. On fait quoi, Ad?

— On y va quand mĂŞme! Ă€ quoi on ressemblerait, si on se dĂ©gonflait maintenant après avoir fait toute la route?

— On pourrait faire le tour. Tenter une autre approche. On ne sait mĂŞme pas combien ils sont.

Son complice lui répondit d'un sourire féroce et revanchard.

— Peu importe combien ils sont. Ils ont essayĂ© de nous tuer ce matin, il est temps de leur rendre la monnaie de leur pièce.

— On est censĂ©s ĂŞtre des cambrioleurs, pas des mercenaires. Foncer dans le tas par la grande porte, ce n'est pas vraiment notre façon de procĂ©der, lui rĂ©torqua Lepta, un sourire dĂ©mentant son ton de reproche.

Le semi-dragon émergea à son tour du relief derrière lequel les deux espions s'étaient dissimulés, avant de se diriger à pas silencieux vers l'entrée de la grotte, confiant.

— Tu n'as qu'Ă  rester derrière moi, si tu as trop peur!

L'accès aux profondeurs semblait, comme l'avait indiqué Lepta, désert. Ils entrèrent, redoublant de prudence, dans l'attente d'une attaque qui ne vint jamais. Plus perturbant encore, aucun passage ne paraissait mener dans les entrailles de la terre, où devait les attendre leur butin. Adrun fut le premier à baisser sa garde.

— Bah, personne? On s'est trompĂ©s de grotte?

— Non, le contredit son camarade. Regarde.

Du doigt, il pointa ce qui, de prime abord, n'évoqua à Adrun rien de plus qu'un rocher de forme inhabituelle. Ce fut seulement lorsqu'il en arriva à quelque pas qu'il discerna devant la concrétion rocheuse la silhouette d'un homme au visage recouvert d'une capuche, assis en tailleur, une crosse en équilibre sur ses genoux. Immobile, émacié, il semblait en transe, et seul l'imperceptible mouvement de sa cage thoracique indiquait qu'il appartenait toujours au monde des vivants.

— …Un ascète retirĂ© hors du monde, dans cette grotte? Ils nous prennent pour des idiots, pas vrai?

— Ou alors, ça fait partie de leur tactique habituelle. Celui qui entre ne voit qu'un ermite inoffensif en pleine mĂ©ditation, ne se mĂ©fie pas. Au mieux, croit qu'il n'y a rien de valeur, et s'en va sans entrer plus avant. Au pire, s'approche trop du leurre et tombe dans le piège tendu autour.

Adrun prit une grande inspiration et grimaça, comme incommodé par une forte odeur désagréable.

— Pouah! Ce type pue la magie Ă  vingt pieds! C'est sĂ»rement lui qui dissimule les tunnels qui mènent Ă  l'intĂ©rieur. (Il renifla Ă  nouveau.) Tu avais raison, comme toujours. C'est un piège. La zone dans les trois coudĂ©es autour de lui sent encore plus fort que le reste. Un pas de plus et on Ă©tait pris dedans. Qu'est-ce qu'on fait, on l'ignore?

— On pourrait l'abattre d'ici, remarqua le blond en levant une arbalète miniature de facture excellente, petit Ă -cĂ´tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ© lors d'un contrat particulièrement lucratif. Si c'est un mage, ce peut ĂŞtre lui qui a tentĂ© d'enterrer MM. Watson et Wattson, ce matin.

— Tu as raison, ce serait plus sĂ»r, mais sans doute pas de très bon goĂ»t… On devrait le rĂ©veiller, avant, pour lui donner une chance. Soyons un peu beaux joueurs: je le rĂ©veille avec une pierre, tu menaces de lui ficher un carreau dans le col s'il tente quoi que ce soit, il nous rĂ©vèle le chemin jusqu’au Volte-Lune, et on l'estourbit pour la forme. Propre, simple, effic-

— Ne vous donnez pas cette peine, l'interrompit une voix profonde aux accents suaves.

L'homme avait repris connaissance, à moins qu'il n'ait été lucide depuis le début. Difficile de trancher, à la vérité: sa posture restait inchangée, son souffle s'était à peine approfondi. Seuls ses yeux désormais ouverts et son sourire confiant différaient de tantôt. Malgré sa situation, il ne semblait pas inquiet pour un sou, ce qui mit sur leurs gardes les deux intrus.

— Je dois avouer vous avoir sous-estimĂ©s. Bravo pour avoir dĂ©tectĂ© mon sort! Oh, bien sĂ»r, ce petit Ă©clat n'est en rien Ă  mĂŞme de retourner la situation Ă  votre avantage…

Un simple geste de la main. C'est tout ce qu'il lui fallut pour reprendre l'ascendant. L'instant d'avant, Lepta aurait pu jurer qu'ils n'étaient que trois dans la caverne. Désormais, son compagnon et lui se retrouvaient entourés d'une dizaine d'hommes masqués, apparus de nulle part, pointant sur eux arbalètes et poignards.

— …mais il est tout de mĂŞme Ă  porter Ă  votre crĂ©dit.

L'ensorceleur se releva, lissa sa tunique, et s'accouda négligemment à sa crosse, un sourire joueur aux lèvres. Il semblait avoir repris quelques livres et centimètres, et paraissait désormais en bien bonne santé, quoique toujours un peu fin.

— Vous me plaisez, vous savez? Vous avez du cran. De l’astuce. De la prĂ©sence d’esprit. Alors je vais vous faire une offre. ConsidĂ©rez-la bien, je ne vous la ferai qu'une seule fois: que diriez-vous de vous joindre Ă  nous? Nous sommes toujours prĂŞts Ă  accueillir de jeunes talents dans nos rangs, tout le monde en profite! Bien entendu, vous aurez droits Ă  des avantages.

Il commença à compter sur ses doigts, décontracté.

— Une position Ă©levĂ©e dans la hiĂ©rarchie, une part non nĂ©gligeable de nos revenus, l'accès Ă  notre rĂ©seau d'informations, l'assurance d'avoir toujours quelqu'un vers qui vous tourner en cas de contretemps… Qu'oublie-je? Oh, bien sĂ»r, l'exclusivitĂ© sur toutes vos "dĂ©couvertes" hors contrat, naturellement! Qu'en dites-vous? conclut-il, affable. Pas une mauvaise affaire, n'est-ce pas?

Le duo se consulta du regard, l'espace d'un instant. Finalement, Lepta baissa son arbalète et tous deux s'inclinèrent poliment, fléchissant leur buste en un bel ensemble.

— Nous vous remercions pour cette proposition des plus allĂ©chante… commença Lepta.

— Nous prendrons le temps d'y rĂ©flĂ©chir une fois le Volte-Lune remis Ă  notre client, acheva Adrun.

À ces mots, ce dernier se mit à grandir, grandir, la peau de ses bras et de son dos se couvrant d'écailles rosées, sa tunique élastique en cuir de scylla traité tentant vaille que vaille de suivre le mouvement. Deux ailes membraneuses et une queue cuirassée émergèrent des ouvertures prévues à cet effet, tandis que sa chevelure cinabre se paraît de cornes sombres. Pour lui laisser la place, son ami s'éloigna d'un pas; les hommes qui les encerclaient reculèrent de même, peu rassurés. À l'inverse, les yeux du mage ennemi pétillèrent sous sa capuche, et il se campa fermement au centre de son cercle, galvanisé à l'idée de terrasser un semi-dragon.

— Vous me plaisez de plus en plus! Voyons voir qui de nous deux a mĂ©sestimĂ© l'autre…!

Oublié de tous, Lepta promena son regard sur les parois, à la recherche de l'ouverture menant à la parure. Il ne lui fallut ainsi guère de temps pour discerner l'infime chatoiement du voile érigé autour du passage, et à peine plus pour confirmer qu'il s'agissait ici de la seule protection édifiée. Un coup d'œil rapide à la scène lui apprit tout ce qu'il y avait à savoir, et il s'avança vers le goulet non protégé en toute discrétion. Son partenaire s'en sortirait, comme toujours. Au semi-elfe de subtiliser le Volte-Lune pendant que l'attention était occupée ici et à mettre les voiles avec le bijou en poche.

Deux événements, l'un découlant directement de l'autre, l'empêchèrent d'atteindre son but. Il fallait d'abord savoir que, si les yeux de lynx de son collègue excellaient à dénicher les cachettes les plus improbables et les butins les plus précieux, Adrun, lui, n'avait pas son pareil pour détecter les sorts et autres artifices destinés à punir les détrousseurs de son espèce. Cet odorat aussi particulier que salutaire les avait sortis de bien des mauvais pas, mais s'accompagnait d'une faiblesse cruciale.

Le demi-dragon était allergique à la foudre. Or, c'était précisément cet élément qu'avait choisi de canaliser le mage adverse, ayant usé de son cercle occulte pour concentrer et amplifier son maléfice durant de longues heures de méditation. L'air crépitant d'électricité vint chatouiller les narines d'Adrun, qui sentit avec alarme poindre une crise d'éternuements.

— A…A…Aaa…! Atchoum!

L'énorme silhouette du demi-dragon fut secouée d'un spasme alors que jaillissait une colonne de flammes de ses naseaux fumants. Au même moment, l'éclair jaillit du bâton du magicien, droit vers la tête de son adversaire. Feu et foudre se rencontrèrent à mi-chemin en une débauche d'énergie, et ce qui devait arriver arriva: une explosion tonitruante secoua la caverne, projetant à terre tous ceux présents. Des fissures apparurent sur le sol et les parois de la grotte, se répandirent dans le réseau de tunnels, fragilisèrent l'intégralité de la structure. Rendu aveugle et à moitié sourd par la déflagration, Adrun fut tout de même le premier à comprendre. La caverne, et une bonne partie du labyrinthe, allait s'effondre sur eux. Déjà, de gros rochers se détachaient du plafond autour de lui, manquant de l'écraser.

L'odeur de Lepta émanait d'un peu plus loin, mêlée au parfum entêtant du sang. Serrant les dents, son collègue se redressa avec effort. Vacilla, encore hébété par le choc. Retomba à quatre pattes et jugea bon de rester dans cette position plutôt que de tenter de se lever. Sa silhouette grandit, s'affina, changea encore, désormais totalement draconique, et il s'élança à l'aveugle, droit vers son ami inconscient, assommé par une pierre, qu'il saisit délicatement entre ses crocs. Un bloc se détacha du plafond alors qu'il passait en-dessous; la douleur explosa dans son aile, mais il ne lâcha qu'un juron mental. Le temps pressait: il fallait trouver une issue, n'importe laquelle.

Un courant d'air providentiel chatouilla le flanc du dragon. La dernière chance. Faisant fi de toute prudence, il s'élança derechef, sinuant entre les débris. Il distinguait désormais clairement un filet de vent venir de ce qu'il imaginait être un tunnel écroulé. L'endroit n'était pas grand; quelques pas encore et ils seraient moins exposés. Il allait y arriver, il allait… Une secousse plus violente que la précédente fit trembler le sol. Tout un pan du plafond s'effondra devant Adrun, qui eut un mouvement de recul. Le flux d'air s'était évanoui. Un nouveau tremblement agita la roche.

Et la grotte tout entière se disloqua sur eux.


Ă€ suivre










Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !











Sourne

oui tu as bien fait de couper ton texte en deux parties x)
J'ai bien aimé ton texte, toujours bien écrit ^^ Et les Wattson et Watson m'ont bien fait rire, avec leur complémentarité ou juste quand ils disent la même chose formulée différemment, mais traite l'autre d'idiot x) D'ailleurs, j'avais pas vu venir le retournement de situation !


Le 30/11/2021 à 21:06:00



JilanoAlhuin

Le défi au hasard que tu as concocté est très sympa ! J'ai beaucoup aimé la dose d'humour qu'avait tes deux personnages, particulièrement au début avec MM.Watson et Wattson (bien que l'on change doucement dans le texte vers une ambiance plus "sérieuse" au fil de la lecture). Le final était aussi très chouette, et cet antagoniste avait une certaine classe :smileycoolnoel: Un texte très chouette !


Le 13/12/2021 à 01:19:00

















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