Super-Choucroute Aux-Diots se réveilla en sursaut, avec l’impression désagréable d’avoir une mission importante à son actif, de type sauver le monde ou quelque chose. Lui qui, d’ordinaire, se foutait éperdument de tout tant que la perspective exquise d’une délectable choucroute aux diots le solaciait, le voilà soudainement touché, affligé même, par les misères arbitraires et les malheurs évitables qui s’abattaient à chaque instant sur la terre.

L’affliction était telle qu’il se leva pour faire autre chose qu’aller manger. Mais il ne savait pas encore quoi, vu qu’il n’avait encore jamais essayé de sauver le monde avant.

Super-Choucroute Aux-Diots se rendit jusqu’au corridor de l’entrée. La lucarne en vitraux au-dessus de la porte dardait un fin ruban de lumière sur les carreaux de ciment noirs et blancs, dessinant dans leur diagonale une ligne transversale extrêmement satisfaisante. Super-Choucroute Aux-Diots s’étendit sur le carrelage, dans l’alignement exacte des rayons solaires, de sorte à sentir leur chaleur tout le long de son dos.

C’est alors qu’il se rappela que, dans son rêve, la Pomme De Pin Divine lui avait sensément confié son pouvoir, duquel il devait prétendument faire bon usage, bien qu’il n’ait pas la moindre petite idée de la nature particulière du dit pouvoir confié. Dans le même temps, il lui apparut que sa tête lui chauffait agréablement, surtout les deux points sensibles dans le creux à la jointure des oreilles. Cette sensation étrange le rendait particulièrement détendu, si bien qu’il bailla.

Cela fit qu’il se retourna et croisa son reflet dans le miroir de l’entrée. Il se rendit alors compte qu’il rayonnait d’une lueur divine et inquiétante, tel la Pomme De Pin Divine, car il portait désormais une auréole, ce qui est pour l’époque de Super-Choucroute Aux-Diots l’équivalent de nos capes de super-héros.

— VoilĂ  donc le pouvoir qui m’a Ă©tĂ© confiĂ©, se dit-il en lui-mĂŞme, ĂŞtre chill et dĂ©tendu grâce Ă  une aurĂ©ole qui me chauffe agrĂ©ablement la tĂŞte. C’est tout Ă  fait stupĂ©fiant !

À ce moment, ses parent arrivèrent dans le corridor et le virent en train d’exister très fort dans la lumière de la diagonale des carreaux de l’entrée avec son auréole. Ils s’alignèrent à leur tour sur les rayons du soleil et le félicitèrent pour sa maîtrise parfaite de l’art puissant de la glande féline.

Super-Choucroute Aux-Diots comprit alors qu’il Ă©tait parvenu Ă  maĂ®triser une quatrième compĂ©tence essentielle aux chats : glander. Il se sentit Ă  la fois fier de lui et capable de sauver le monde. Le destin hĂ©roĂŻque prĂ©sagĂ© par la Pomme De Pin Divine commençait Ă  prendre corps.

Fort de cette nouvelle compétence, Super-Choucroute Aux-Diots sortit pour en tester la redoutable efficacité dans les buissons. Il se rendit donc sous le buis, à l’endroit même où il avait, la veille, trouvé la pomme de pin.

La pomme de pin n’y était plus, mais il y avait un hérisson.

Super-Choucroute Aux-Diots le considéra avec une neutralité toute protocolaire. Il approcha timidement la patte, tout en se méfiant des piquants. Le hérisson frétilla un peu.

— En vĂ©ritĂ©, je suis piquant, mais je ne suis pas du wasabi !

— Et qu’es-tu donc ?

— Je suis un pirate ! Ce pourquoi je n’ai pas peur de toi, chat.

— Ah hon.

Impatient de voir si ses nouvelles facultés allaient avoir leur petit effet, Super-Choucroute Aux-Diots avisa un spot, se concentra et se mit en position de glande intensive. Le hérisson le regarda faire, impressionné. Super-Choucroute Aux-Diots le remarqua, mais, modeste, il fit comme si de rien n’était et tenta d’entretenir la conversation de la façon la plus amène qui soit.

— Ce lierre enlaçant en torsades Ă©lancĂ©es les grignons de granit grenus est du plus bel effet, ne trouvez-vous pas, piquant pirate ?

— Sans vouloir paraĂ®tre abrupt, cela m’indiffère car je suis un pirate. Ta technique de glande m’intĂ©resse bien plus, s’il faut parler franc. Or je parle franc, car je suis un pirate.

— Mais que fait donc un pirate sous les buis bruissants ?

C’était une longue histoire et le hérisson était disposé à la raconter. Il n’avait pas choisi la piraterie, c’était les humains qui l’avaient forcé en souillant son domaine de cette matière noire et stérile qu’ils étendent en longs rubans, à perte de vue, et qui tue toute végétation dans son sillage. Les limaces grasses qui peuplaient jadis ses terres paradisiaques avaient étés étouffées, cuites vives sous la croûte gluante, il en restait plus rien. Le hérisson, pour survivre, avait dû sombrer dans le grand banditisme. Il conclut par ce constat tragiquement sans appel,

— Les humains ont travaillĂ© dur pour dĂ©truire mon habitat naturel, si seulement j’avais maĂ®trisĂ© la glande aussi bien que toi ! Je leur aurais montrĂ© le sens vĂ©ritable de la vie, et ils auraient glandĂ© avec moi. Rien de tout cela ne serait arrivĂ©.

— Piquant Pirate, rien n’est perdu. La Pomme de Pin divine m’a confiĂ© la mission de sauver le monde, nous allons commencer par vos terres. Le pouvoir de la glande fĂ©line est grand, il purifiera l’étendue noire et aride et bientĂ´t les pissenlits conquĂ©rant rĂ©tabliront l’ordre sacrĂ© dans le jardin.

Le hérisson était particulièrement satisfait. Super-Choucroute Aux-Diots l’invita à monter sur son dos et tous deux partirent pour la quête la plus épique qui soit.