L'Acad�mie de Lu





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Défi de Faucheuse (Survivre à tout prix)


Les Fleurs Hantées

(par Chouette Insomniaque)
(Thème : Défi de Faucheuse)




Léabella : Mais il n’y a rien sur ce bout de terre !

Pourquoi risquer des vies dans cette guerre ?

Le Chavalier : Pour la gloire. Je suppose…


Xsss xsss… J’ai vu les bateaux des hommes arriver sur les Terres Émergées, depuis le promontoire dominant la mer. Xsss. Ma gardienne m’a donné l’hibiscus et j’ai mastiqué puis recraché la pâte dans la cartouche d’herbe. Elle l’a refermée, puis divisée en quatre libellules : une pour chaque chef de clan à qui nous devons rendre compte. Elles sont parties comme des flèches et l’odeur du message qu’elles transportent à envahit la brume. Il atteindra aussi la plage, à la vitesse du vent. Mais le nez des hommes n’est pas assez performant pour y déceler plus qu’un léger parfum fruité se mêlant aux embruns.


Le sable crisse sous mes pattes, c’est plutôt agréable. La traversée fut longue. Il flotte dans les airs comme une pensée fugace, une alerte dénombrant avec précision l’étendue des troupes ainsi que notre position. Je ne traduirais pas, le capitaine n’avait qu’à pas sermonner Vémon.

Le voilà, justement, qui débarque. Il me voit, sourit et me fait signe. J’approche. Ils sont tout un bataillon de félins comme lui, les première lignes. Avec leur capitaine, ils se savent promis au pire de ce que la guerre charrie. Et pourtant, ils sont là, bêtes et disciplinés. Prêts à se faire saigner au nom des rêves de grandeur de l’empereur.


Notre cible est repérée. Xssss… Le dragon télépathe au plumage doré qui l’accompagne nous a facilité la tache : ces petites créatures ont une odeur harmonieuse unique, discrète et polie à la fois. La fragrance de ce dragon-là est un peu plus rude qu’à l’ordinaire, ce doit être un spécimen avec un sale caractère. Xsss xsss. Ça me plaît. Je n’aurais pas aimé donner la chasse à un duo mollasson prêts à courber l’échine à la première adversité. Xssss ! J’abaisse mes antennes jusqu’à mes mandibules et je crache un « bonjour et bienvenu en enfer » aussi amène que possible. Je les dresse dans le vent et laisse la brise faire le reste.


Le camp se dresse à même la plage, couvé par les canons des navires de guerre. Des escadrons ont étés envoyés sécuriser la zone, quoi que cela puisse vouloir dire puisqu’il n’y a aucune présence réellement hostile dans les environs. Mais le capitaine ne veut pas me croire, et, puisque nous sommes si malins, il nous envoie en éclaireurs. Ça me convient bien, tant je déteste devoir traduire leurs patois abscons quand ils montent les tourelles mobiles. Ils s’insultent en continu, pour une obscure raison. Moi, j’aime la collaboration, intelligente et pragmatique. Leur bordel débile me sort par les yeux…

— Tout va bien, Léabella ?

C’est très exactement ce que j’aime chez mon gars : il se soucie de moi. Il m’estime. Il comprend mon importance !

— Tout va bien. Quelqu’un vient de nous dire : bonjour et bienvenu en enfer, sur un ton plutôt sympa.

La main de Vémon s’approche de mon museau pour me gratifier d’une grattouille. Définitivement, je préfère être seule avec lui : au moins mes efforts sont récompensés à leur juste valeur. Je lui retourne un petit grognement d’aise en m’avachissant un peu plus entre ses oreilles de félin. De tous les compagnons que j’ai pu avoir, le Chavalier est de très loin celui dont la tête est la plus confortable.


Un filet noir et chaud s’écoule devant mes mandibules pour venir tourbillonner dans la demi coloquinte que ma gardienne à placé devant moi. Mes antennes ne me trompent pas : c’est du café ! Xsss… Dans un grincement de plaisir, je laisse sortir ma langue pour aspirer le délicieux breuvage. Ma gardienne boit à même son thermos, à grandes goulées furieusement féminines, comme c’est de tradition dans le pays des brumes. Après un rôt digne d’un rugissement bestial, elle me tapote la chitine juste entre les yeux, exactement comme j’aime.

— J’me sens l’utérus d’acier, ma belle ! On va plier cette mission.

— Xsss xsss…

Ma gardienne récupère la demi coloquinte et l’essuie rapidement, avant de la remettre dans l’havresac. Puis elle remonte en selle et nous nous enfonçons dans la brume.


Les Brumes Vertes bruissent de pensées, comme si des canaux de communication s’entrecroisaient tout autour de nous. Il y a tellement de mots flottant dans les airs que je suis incapable de comprendre d’où viennent toutes ces phrases qui se répètent, indiquant en boucle toutes les directions possibles. Les vibrisses de Vémon se sont étirés vers l’avant, ses oreilles se sont ouvertes en grand, tout comme ses pupilles.

— Léabella ? Tu perçois quelque chose ?

— Là, à droite, par terre, il y a un truc qui nous parle !

Je le vois se baisser et ramasser un bidule qui ressemble à un bout d’ambre grossier.

— Ce truc là ?

— Oui ! Ce truc ! C’est plein de phéromones, ça indique un chemin.

Vémon lâche la chose dans un petit cri puis observe ses coussinets. Ses pattes sont assez sombres et les poils ne nous aident pas, mais il ne faut que quelques secondes pour que des cloques commencent à se former.

— Ce truc est corrosif !

Je sais ce qu’il me reste à faire. D’un bond habile, je me retourne et fourre ma tête dans son barda, j’en retire sa gourde ainsi qu’un mouchoir froissé maculé de khôl. Cette chose ne ressemble à rien et c’est tout l’intérêt : un artéfact à l’allure pourrie n’attire aucune convoitise. Vémon me remercie et humecte légèrement l’un des coins, avant de l’appliquer sur la blessure dans un soupir de soulagement.

— Ça guérit ?

— Oui, évidemment. Ce sont les larmes d’une déesse, Léabella. C’est très puissant.


Xsss xsss… Cet idiot de félin a ramassé la cétoine qui marque le chemin. Non content de s’être brûlé avec l’acide, il est parti dans la mauvaise direction. Xsss. S’ils continuent comme ça tout droit sur le précipice, je ne donne pas cher de leur peau.


Nous avançons sur une sorte de tapis de lianes très denses, du moins je crois. La brume ne nous permet pas de voir à plus de quelques dizaines de centimètres.

Dans ma tête, c’est aussi le brouillard le plus complet. J’ai été entraînée à trier les pensées des êtres qui vivent dans les Terres Connues, à reconnaître intuitivement et presque par réflexe celles que je devais ignorer et celles qu’il me fallait traduire en simultané. Mais là, plongée dans cet amas informe d’indications olfactives, je suis complètement paumée. Tout se confond en une bouillie verbeuse qui n’a plus aucun sens.

Parfois, j’ai l’impression qu’une phrase se détache, comme si elle nous était directement adressée. Mais c’est tellement confus… Je n’y comprends rien.

— Je crois que quelqu’un a dit : n’allez pas par là bande d’abrutis. Mais je ne suis pas sûre…

Une secousse me fait sauter et je me retrouve en l’air, voyant avec horreur au-dessous de moi Vémon s’enfoncer dans le sol. L’une des jambes, puis l’autre, sont passées au travers du tapis de lianes. Il reste ainsi suspendu, retenu par la taille, alors que je tombe comme au ralenti. Je le vois étendre ses pattes pour me rattraper, me voilà à leur contact, il encaisse le choc et amorti ma chute dans un grand crac…

Les lianes qui le retenaient ont cédé et nous tombons, enlacés, sous la canopée…


Les chances qu’ils aient survécu à une chute pareille sont faibles, mais pas nulles. Xsss… Ma gardienne récite tout un éventail de jurons traditionnels tandis que j’accélère. Il faut trouver un trou pour passer sous les lianes et voilà justement une cétoine toute proche qui indique un emplacement. Je sens sur mes flancs ma gardienne qui s’assure pour rester en selle, elle est prête. Je plonge tête la première dans l’ouverture et je me faufile pour me retrouver suspendue à l’envers, les crochets solidement ancrées dans le tissu végétal. Je dresse mes antennes, je repère nos cibles et je m’élance vers l’arbre le plus proche.


Quelque chose nous a attrapé au vol, s’est étiré puis à cédé, pour nous lâcher sur une chose molle qui a amorti notre chute. J’ouvre les yeux mais ne distingue rien, sinon les filaments de toile d’araignée qui s’agglutinent sur le pelage de Vémon. C’est collant et épais, il peine à s’en dépêtrer.

Un peu au-dessus de nous se trouve un cocon, assez gros pour contenir un chien. Ça ne me plaît pas. Avec la brume qui nous entoure, il est impossible de distinguer quoi que ce soit mais pourtant la toile sur laquelle nous sommes piégés vibre avec régularité, comme si quelque chose d’assez massif s’avançait doucement vers nous.

Je crois que je n’ai pas le choix. Je pousse un peu pour positionner mes pattes de sorte à écarter les bras de Vémon. Il m’enserrait dans notre chute et les filins de l’araignée l’ont entravé dans cette position protectrice. Je le vois grimacer sous mes efforts, il gigote, essaye de m’offrir une ouverture. Après un ultime effort, je parvient enfin à étendre mon cou.


Les vibration de la toile augmentent et je n’ai rien trouvé de mieux que manger le fil à ma portée. C’est assez insipide au goût mais plutôt efficace pour dépêtrer Vémon. Il retrouve un semblant de liberté et je peux enfin me dégager.

La propriétaire de la toile est sans doute tout près de nous, à présent. Et je n’ai pas trouvé de meilleure idée pour nous dégager. Je tente donc ce pari, prends une grande inspiration et souffle de toutes mes forces une flamme précise pour cramer les points d’ancrage. C’est un véritable succès !

Nous tombons de nouveau…


Xsss ! Ce dragon télépathe à de la ressource ! Ils devraient atterrir dans la mangrove. Elle n’est pas très profonde ici, mais la couche de vase est sans doute suffisante pour leur épargner les désagréments d’une blessure sérieuse… Il nous faut les rejoindre et le plus court chemin passe par ce palétuvier, que je descend à la verticale aussi vite que possible.

Nous arrivons à hauteur des racines, nos cibles sont à une petite centaine de mètres en contrebas. Je prends le temps d’un nouveau message, il s’agirait qu’ils restent en place s’il veulent survivre… Xsss xsss. J’espère que le dragon est capable de me comprendre.


Nous sommes dans une eau chaude, bourbeuse et salée, entourés d’entrelacs curieux et toujours noyés dans cette fichue Brume Verte. Vémon se débarrasse des filins aisément grâce à cette sorte de tourbe liquide dans laquelle nous avons atterrit. L’eau à collé ses poils et son regard piteux en dit assez pour que je me retienne de rire de son allure. Il me décroche avec prévenance de sa taille et me pose sur ses épaules avant de remonter sur un coin de terre qui semble à peu près ferme. C’est évidement un bien grand mot, tout est spongieux et mousseux sous nos pattes.

Même les héros doivent ménager leurs forces. J’avise une pierre et suggère une halte. Le Chavalier s’ébroue puis s’assoit un peu lourdement. Je me mets en devoir de nettoyer sa tête des dernières trace de notre passage dans les filins de l’araignée des brumes. Et je perçois de nouveau un message de la créature.

— Je crois que quelqu’un nous suit, Vémon. Quelqu’un qui nous a souhaité la bienvenu en enfer, puis qui nous a dit de ne pas aller par là juste avant le ravin.

— Ça ne ressemble pas à une présence hostile.

— Ce quelqu’un nous dit, je crois, de rester où nous sommes pignoufs si vous ne voulez pas crever la gueule ouverte comme des merdes.

Vémon prend quelques instants pour réfléchir. Je le sens soucieux, mais pas vraiment effrayé.

— Si ce quelqu’un qui nous suit connaît le terrain, il nous rattrapera. Essayer de le distancer ne ferait qu’ajouter du risque au risque…

— Tu proposes donc de l’attendre ?

— Oui. À part si tu as une meilleure idée…

Je n’en ai pas et donc j’acquisse. Mais autant que la créature le sache. Je rassemble mes forces, me concentre et lance un tonitruant appel à l’aide dans sa direction… Je ne sais si elle le percevra, mais je ne perds rien à essayer.


Xsss xsss… Le petit dragon vient d’appeler à l’aide. Il comprends donc sans doute notre langue, mais ce n’est pas la chose la plus maligne qu’il pouvait faire. J’avise une racine et j’en mâchonne un bout, que je crache dans leur direction. Il faut à présent qu’il se taise, xsss… Ou il vont encore s’attirer des ennuis.


Des sortes de bubons émergent tout autour de nous et le tapis de sphaigne où nous nous reposons se couvre peu à peu de cloques. Elles enflent démesurément puis explosent, libérant le passage à des amas de petits bougeons fichés sur des tiges qui s’étendent et se développent avec une rapidité stupéfiante. Nous sommes bientôt entourés par ces plantes curieuses et je commence à ressentir comme une impression de malaise. Les bourgeons ont donné des boutons et les boutons ont désormais des yeux ainsi qu’une petite bouche. Sur le sommet de chacune de ces horribles petites têtes, un nouveau bubon grossit : je crois qu’elles vont fleurir.

— Vémon, je n’aime pas ça. Je n’aime pas du tout ça ! Il faut qu’on parte…

— Accroche-toi.

Le Chavalier s’est redressé dans un bond, le voilà qui grimpe au palétuvier à la force de ses griffes. En dessous de nous, les boutons explosent, libérant des couronnes de pétales dans une odeur vireuse à la fois infecte et enivrante. Vémon progresse sur une branche, saute et se réceptionne habillement sur le palétuvier suivant. Les fleurs hantées nous ont suivies, ou bien de nouvelles ont poussé, je ne sais pas. Vémon tremble légèrement, comme s’il était mal assuré.

— J’ai la tête qui tourne. C’est cette odeur… Ces trucs.

De nouvelles fleurs s’ouvrent, exhalant à leur tour cette puanteur de mort. Mon regard vacille mais je me reprends de justesse, pour ne pas tomber. Il ne faut pas que je lâche prise. Le sang bat dans mes tempes et sous mes oreilles, si fort que j’ai l’impression que ma tête va exploser. Le paysage se brouille et s’étire en hauteur comme s’il défilait…

J’ai l’impression de tomber et pourtant je tiens bon, en enfonçant mes griffes dans le barda de Vémon. Je suis accroché comme une tique et pourtant le sol se rapproche ! Nous heurtons la mousse qui s’enfonce sous notre poids. Vémon suffoque, il se tord lamentablement au sol. Je voudrais crier mais je n’ai plus de voix tant mes poumons sont en feu. Je vais perdre connaissance, si je ne fais rien… Ces horribles fleurs nous dévisagent. Elles nous sourient.

Je puise dans mes dernières forces pour me fourrer dans le barda, je tire le mouchoir avec ma bouche. Il est humide et salé, et boueux… Et pourtant son contact sur ma langue a quelque chose d’apaisant. Mes yeux s’ouvrent de nouveau, la langueur se dissipe, mon esprit redevient clair.

Vémon s’est recroquevillé, il dit des choses qui n’ont plus aucun sens. Je lui saute au visage, il se débat mais ses gestes sont patauds. J’avise ses babines et je lui fourre d’autorité le mouchoir entre les crocs. Il se calme immédiatement, me regarde, hoquette, se tourne et se met à vomir.


L’odeur des salendulas à envahi la mangrove. Xsss… Le dragon télépathe a du les réveiller… Ma gardienne ajuste son masque à gaz, je suis déjà parée. Xsss Xsss. Je m’attends à retrouver deux cadavres, aucun vertébré terrestre ne peut survivre longtemps dans cette poisse nauséabonde.

Des bubons ont explosé et fleurit un peu partout. Je crache sans état d’âme mon acide pour nous frayer un passage, dessinant un sillage carbonisé ocre et gris en ligne droite vers nos cibles. Xsss… Si nous voulons avoir la moindre chance de les sauver, je ne peux pas faire dans la dentelle.


Vémon a mis un coup de dent dans le mouchoir et l’a déchiré en deux. Nous en avons à présent chacun un bout dans la bouche. L’odeur de ces choses est toujours atroce, mais nous ne suffoquons plus. Elles nous regardent intensément et je crois deviner qu’elles sont scandalisées par notre survie…

Des sortes de limaces énormes sont apparues aux pieds de l’arbre contre lequel Vémon a vomi et ça grouille de plus en plus. Elles sont tellement voraces qu’elles se dévorent aussi entre elles et commencent à attaquer l’arbre. Certaines rampent dans notre direction et je n’aime pas ça. Je prends une grande inspiration, je vise et je les crame. La chaleur les fait gonfler et elles explosent dans un bruit lamentable…


Je n’aurais pas dû.

Elles se sont senties attaquées et à présent, elles ripostent. Tout l’amas grouillant se désintéresse du vomi pour ramper vers nous. Vémon m’attrape et bondit sur l’arbre le plus proche, il grimpe en quatrième vitesse alors que les limaces s’activent à sa base. Elles sont en train de ronger le tronc, et elles sont fichtrement rapides !

Vémon avise la première branche praticable et s’élance tandis que l’arbre vacille. Il saute, je m’accroche de toutes mes forces, il se rattrape in-extremis.

Nous avons changé d’arbre, mais les limaces n’ont pas abandonné la partie et il en sort de plus en plus des tréfonds de la boue…


Xsssss ! Ils sont toujours en vie ! En très mauvaise posture, mais toujours en vie. J’accélère le pas, plus qu’une petite dizaine de mètres. Quelques trioplastes grouillent encore, se délectant de leurs congénères rôtis vifs par le dragon télépathe. Je les arrose d’acide pour nettoyer la zone, les rares survivants se replient devant leur prédateur naturel. Xsss xsss… J’en aurais bien boulotté quelques uns, mais ce n’est vraiment pas le bon moment.

Ils sont toujours poursuivis, mais ils sont rapides : le félin saute d’arbre en arbre à une vitesse stupéfiante, pour quelqu’un qui ne sait pas s’orienter dans les Brumes. Xsss… Mais ils ne vont pas du tout dans la bonne direction et les trioplastes ne les lâcheront pas comme ça. Ces saloperies n’auront aucun mal à remonter leur piste, je dois les exterminer.


Nous nous sommes enfoncés encore plus profondément dans la brume et les arbres se font plus rares. En quelques bons précis, le Chavalier atterrit sur la sphaigne. Derrière nous, le léger bruissement de ces horreurs se poursuit. Elles ne nous ont pas lâché…

Devant nous, une courte étendue d’eau. Vémon cherche en vain un moyen de la contourner, c’est peine perdue. Il prend son élan et saute le plus loin possible. Nous atteignons de justesse l’autre berge, qui semble être une sorte d’amas de branchages. Vémon le gravit rapidement et le bruit derrière nous s’intensifie. La berge que nous venons de quitter se met à trembler et soudain, une forme noire accompagnée d’une petite lumière vert clair surgit et se met à siffler. Une odeur acide de cramé envahit l’espace et je reconnais dans ce curieux relent l’accent de la créature dont j’ai capté les messages… Sa silhouette indistincte sautille dans tous les sens, lâchant dans toutes les directions ce que je suppose être du venin…


Je m’en donne à cœur joie pour tous les bousiller, c’est un véritable plaisir… Je me laisse emporter, ma gardienne aussi. Le palétuvier qui se trouvait là a pris cher et je ne réalise que trop tard que mon acide n’a rien arrangé. Il se penche, d’abord légèrement, puis s’effondre…


— Vémon ! L’arbre !

Les héros ont de bons réflexes. Un bond sur le côté, et nous voyons la masse inerte du tronc s’effondrer très exactement à l’endroit où nous nous trouvions il y a à peine un instant. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a à présent une sorte de pont de fortune, que nous allons pouvoir emprunter pour rejoindre notre sauveur… Et je préfère ça. Cette eau qui s’est mise à bouillonner ne me plaît pas.


Xsss. Ils ont évité l’arbre… Mais l’arbre n’a pas évité le nid du serpent des brumes !



Une forme inquiétante émerge de l’eau. Durant un court instant, nous nous dévisageons, puis c’est la débandade. Vémon s’extirpe de l’amas de branchages et se met à courir, je m’accroche fermement et lui hurle en pensée d’aller plus vite, toujours plus vite…


Pas le temps de leur mâcher de ne pas aller par là, il faut que je m’occupe de celui-là… Xsss xsss.

Je m’élance sur l’eau et la traverse, je saute sur son dos et je le mords aussi fort que je peux. Le serpent couine et se débat, je m’écarte. Tu veux encore te battre ? Non ? Très bien… Xsss… Retourne donc pourrir sous tes branchages.

Je n’ai pas un instant de plus à perdre. Cette fois, c’en est fini d’eux si nous ne les rattrapons pas.


L’endroit semble plus calme, mais je ne suis pas rassurée. Il flotte une odeur étrange, comme du méthane, et je me sens de plus en plus essoufflée. Vémon aussi faiblit, il a cessé de courir et sa respiration est de plus en plus haletante. Entre les vapeurs nauséabondes, la voix de la créature me parvient, une toute dernière fois avant l’abîme…

— Revenez ! Revenez ! N’allez pas par là !

Mes forces m’abandonnent et je m’effondre, je lâche prise. Doucement, je nous sent tomber et ma tête heurte le sol comme au ralentit. Je n’ai même plus d’énergie pour…


Ils sont là ! Ils respirent encore… Ma gardienne arrache l’havresac et le vide sans ménagements pour se saisir de la bobonne d’oxygène. Ses gestes sont précis, méthodiques. En moins de deux, deux masques sont fichés sur les museaux de nos cibles… Ils reviennent à la vie.



J’ouvre les yeux et la première chose que je vois sont les mandibules géantes d’une fourmi à trois yeux… Pourtant, je n’ai pas peur. C’est elle, j’en suis certaine, qui me parle depuis le début. Je me concentre et tente de lui envoyer une pensée,

— Bonjour…

L’humaine pas vraiment humaine qui l’accompagne s’est approchée et à tendu la main pour me gratter la tête. Vémon s’est relevé, lui aussi. Il voudrait bien parler mais les choses qu’ils nous ont mit sur le museau nous empêchent d’ouvrir la bouche correctement.

La compagne de la fourmi aide Vémon à monter en selle, sur la fourmi. Puis je suis à mon tour attrapé et mis sur ses genoux. Je me love aussi confortablement que possible et je sens les pattes familières m’entourer avec délicatesse.


Xsss xsss… Sauvetage réussi ! Xsss. Sitôt nos affaires récupérées, ma gardienne remonte en selle. Le félin est plus léger que ce que j’imaginais, quant au dragon télépathe, c’est un poids plume. Xssss… Je m’élance à un bon rythme à travers la brume. Le camp à beau être un peu loin, nous y serons en moins d’une heure.


Ce n’est pas tout à fait une fourmi. D’abord, il y a trop de pattes, au moins quatre de trop. Dont deux avec des pouces opposables et des doigts palmés… Et puis elle a une carapace, qui fait plus penser à un crabe voir à une tortue… Mais, surtout, il y a cette espèce de protubérance transparente à l’arrière, avec à l’intérieur une chose qui ressemble à une éponge phosphorescente. Elle émet de la lumière et des tas de bêtes s’enfuient sur son passage…

La cavalière à la peau livide, presque translucide. Ses yeux sont très clairs mais ses pupilles sont tellement dilatées qu’on dirait qu’ils sont noirs. Elle porte une cascade de tresses d’un blanc laiteux en guise de coiffure, qui jaillit d’une fente sur le haut de son casque, comme un panache. Pour le reste de son corps, je ne peux dire : elle est intégralement recouverte d’une armure en écailles, alternant les nuances de vert, quasiment indiscernable dans la Brume.

Pendant la route, elle a tiré de son havresac une demi coloquinte creusée, qui sert de bol. Dedans, elle a versé le meilleur café que je n’ai jamais bu, en nous disant qu’il allait soigner l’intoxication. Je pense que c’est vrai. En tous cas, je me sens de nouveau bien et ma tête ne me fait plus mal…


Nous arrivons au camp. Le général n’est pas bien loin, je le sens. J’avance glorieusement jusqu’à l’estrade tandis que retentit le cor de l’appel. Notre mission est accomplie !


Un cor a retentit et le peu de lumière du soleil qui transparaît au travers de la brume s’est soudainement éclipsé. Seules les petits flambeaux qui entourent le camp nous éclairent désormais, dardant leurs rayons glauques en halos tremblants tout autour de nous. Je crois que quelque chose s’approche, mais je n’en suis pas sure tant il est impossible de distinguer quoi que ce soit…

Un léger tremblement fait vibrer l’estrade sur laquelle nous nous trouvons et la cavalière se met au garde à vous. Tout le monde ici s’est tu. Plusieurs des lumières de la place se sont éteintes, il règne une atmosphère étrange. Puis le soleil revient.

Nous nous trouvons nez-à-nez avec la tête colossale d’un immense dragon.

— Bonjour, Vémon le Chavalier. Bonjour, Léabella. Bienvenu sur mes terres.

J’ouvre grand mes yeux, incapable d’articuler le moindre mot. Vémon est plus vif, il s’incline pour saluer.

— Vous êtes le Mirwanöorh, le gardien des Brumes, le dragon de la légende !

— Lui-même, jeune héros. Et nous devons parler. Je ne veux pas de cette guerre, mon peuple n’a rien à y gagner et le vôtre tout à y perdre.

— Je crains ne pas avoir une si grande influence que je puisse convaincre l’empereur de retirer ses troupes.

— On m’a narré vos exploits, Chavalier. J’entends faire de vous mon discret messager.

Vémon acquiesce et je perçois l’esquisse d’un sourire sur les lèvres gigantesques du Mirwanöorh.

— Vous avez été envoyé en éclaireur, voici ce qu’il y a à savoir : je ferai prisonnier tout soldat s’aventurant dans la Brume. Vous me croirez si je vous dis que ceux de vos compagnons qui atterriront ici seront plus en sécurité dans mes camps qu’à se perdre dans ces contrées si inhospitalières pour les humains ou les félins.

— Et quelles sont vos exigences ?

— Nous rendrons les prisonniers si votre empereur accepte de prendre sous sa gouverne le petit bout de terre sur lequel se trouve votre campement.

— Vous voulez lui donner des terres ? Mais ce n’est pas ainsi que fonctionne la guerre !

— Je ne suis pas en guerre, Vémon le Chavalier. Je veux juste conclure une alliance et en profiter pour mettre en place des échanges commerciaux qui seront profitables tant pour nous que pour vous.

Vémon se tourne vers moi et je le gratifie de grands yeux. J’ai parfaitement traduis, quel est le problème ?


Les dragons télépathes sont des créatures réellement stupéfiantes, xsss. Pour la première fois de ma vie, je comprends ce que dit un félin, avec des mots comme on en forme dans les langages de l’au-delà des Brumes. Le général est satisfait, je crois qu’ils sont parvenus à un accord.


Le Mirwanöorh ouvre sa bouche en grand et entre ses dents se dessine comme un voile irisé. Le décor de la plage apparaît, c’est le portail promis. Vémon m’attrape avec délicatesse, se concentre et bondit. Sans trop réfléchir…

Nous venons littéralement de sauter dans la gueule d’un dragon et nous atterrissons sur la plage, hors de la Brume. Le camp n’est qu’à quelques centaines de mètres, il a bien avancé. Je remonte m’installer sur la tête de Vémon et nous voilà partis, persuadés qu’il est encore trop tôt pour que notre rencontre soit prise au sérieux. « Ne vous inquiétez pas, je donnerais à l’empereur des gages de notre puissance » … La dernière phrase d’encouragement du Mirwanöorh sonne comme un mystère pour moi.

La vigie nous a repéré, des signes sont donnés. Des soldats se mettent à courir et Vémon, aussi, accélère le pas.

Ses foulées se font plus longues, nous voilà presque arrivés. Une terreur sourde à envahit la place et tous les visages se tournent vers nous, comme si nous étions des revenants. Il y a quelque chose qui ne colle pas.

Leurs barbes.

Les hommes étaient rasés de frais lorsque nous sommes partis en éclaireurs. Ils sont à présent hirsutes, comme si un mois, peut être deux, avaient passé… Ils sont moins nombreux, aussi. Le camp est loin d’être désert, mais l’armée à fondu…

— Quel jour sommes nous ?

Vémon a alpagué l’un des soldats. Ce n’est pas un, ni deux mais quatre mois qui sont passés en un éclair. Et nous sommes les premier, les seuls, à être ressorti de la Brume.














Zandra-Chan

C'est super que tu puisses illustrer tes textes ! mais... mon dieu, cette araignée de cauchemar ! Brrrr... La description des autres dangers n'est pas en reste... Je me suis vraiment sentie impliquée ! C'est avec plaisir que j'ai suivis les aventures du Chavalier (j'aime ce mot :p). Elles sont bien menées, se lisent aisément et... j'aime la richesse de ton vocabulaire. Vraiment. Un voyage à chaque texte. Merci beaucoup ! :blush: Et ce mystère qui plane à la fin... Il y aura une suite ?
Cela dit, je tiens à te féliciter (pour autre chose que ton super texte, évidemment) : pour l'instant tu es la seule dont l'animal qui observe les déboires du personne est réellement actif.


Le 23/05/2021 à 15:15:00



Elinor

je viens de lire ton texte. Il est très sympa. Tes changements de font de manière fluide, c'est très agréable à lire, on ne ressent pas de difficulté malgré la longueur de ton texte, l'écriture est jolie, les dessins qui l'agrémentent permettent d'avoir une visulation claire de ce que tu décris en plus d'être très bie' fait, et c'est très sympa de découvrir ton univers (par contre, c'était vraiment le même personnage que pour ton premier texte ?)


Le 27/05/2021 à 15:17:00

















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