Erik soupira. Le stress montait depuis plusieurs minutes en lui, et il fut soudain content de ne pas avoir mangé depuis le matin même. Les céréales du petit-déjeuner lui semblaient loin, mais au moins, le stress ne se ressentait pas dans ses intestins. Il sentait ses mains moites dans ses gants serrés autour des poignées de son guidon, et une désagréable sueur froide coulait le long de sa colonne vertébrale. Réprimant une brutale envie de faire demi-tour avant même d’avoir atteint la première piste du circuit de course, il préféra jeter un coup d’œil autour de lui.

Ses concurrents étaient nombreux, rendant le challenge encore plus difficile. Garder sa place serait compliqué. Des Allemands discutaient tout en vérifiant les derniers réglages de leurs bécanes. Une Italienne s’était assise à côté de sa moto et semblait méditer, à moins qu’elle ne dormît – choix étonnant de méthode contre le trac. Tout en astiquant la carrosserie de sa machine, un Brésilien fredonnait un air qu’Erik ne reconnut pas, mais qui l’apaisa légèrement. Très légèrement, mais ce fut suffisant pour lui donner la force de surmonter sa peur et il carra ses épaules pour se redonner contenance.

Son regard tomba ensuite sur les deux concurrents anglais, qui semblaient plus participer pour eux-mêmes que pour leur pays, vus les regards meurtriers qu’ils s’échangeaient. Ils étaient en compétition internationale, mais ils apportaient leurs conflits internes. Voilà qui arrangeait les choses pour Erik. Si ses adversaires étaient trop occupés à se battre entre eux, ils ne se préoccuperaient pas de lui.

Le stress revint soudainement lorsqu’il aperçut une chevelure de feu. Eileen Carragh, la coureuse australienne, détentrice du titre de championne du monde de vitesse sur piste depuis trois ans, s’avançait au milieu des motards, son casque sous le bras. Son arrivée ne passa pas inaperçue. Les Allemands la suivirent des yeux, fascinés sans doute par les courbes qu’on pouvait facilement deviner sous sa combinaison. Les Anglais interrompirent leur dispute pour lui lancer le même regard meurtrier qu’ils s’adressaient quelques secondes plus tôt. Le Brésilien transforma sa mélodie en un sifflement admiratif. Il ne devait pas vraiment connaître Eileen s’il pensait qu’elle apprécierait d’être sifflée ainsi. Erik connaissait plusieurs coureurs qui s’étaient retrouvés avec leur propre casque enfilé sur la tête, mais pas de la bonne manière. Vue la manière dont ses sourcils se froncèrent, le Brésilien devait passer assez près de sa punition préférée. Au lieu de cela, elle resserra son casque aux autocollants de kangourou sous son bras, passa devant l’Italienne qui sembla soudain très réveillée, et s’arrêta devant Erik.

Dans un français parfait, ponctué d’un léger accent, elle lâcha dédaigneusement :

— Et voici donc l’éternel second, Erik Larose. Bonne chance pour garder la face à la fin de la course !

Erik resta impassible. Mais son sang se mit à bouillir en lui et ses poings se serrèrent davantage sur son guidon. Il inspira, expira.

— J’espère que tu es préparée à descendre de ton piédestal, parce que cette course aura un effet radical sur ton classement, Carragh.

La jeune femme ne se départit pas de son sourire orgueilleux et fit un petit signe de la main ‘Cause toujours, tu m’intéresses !’ avant de faire demi-tour pour rejoindre sa moto, une machine magnifique, bijou de mécanique et d’esthétique.

Une nouvelle résolution avait saisi Erik. Il n’allait pas laisser ses paroles sans effet. Depuis trop longtemps elle le narguait du haut de son trône, semblant indestituable de son statut de championne. Erik l’observa s’éloigner, et une flamme nouvelle brûla en lui. Il voulait cette première place. Et cette fois-ci, il n’avait pas le choix : il allait devoir la renverser.