(par Melakyn)(Thème : MĂ©lilĂ©mots 1)
Les acclamations de la foule en furie envahirent le ciel gris et le grondement furieux de l’orage retentit en écho sombre. Alors il leva haut son bras, toussant lourdement, baigné d’euphorie. Il tenta, porté par les huées folles et chaotiques, d’ignorer son cœur battant la chamade et son ventre hurlant sa faim. Les gradins noirs de monde, surplombant la piste, et les projecteurs clignotaient, aveuglants.
— Escolta, escolta ! Prepareu-vos, fer les apostes ! Commença la Cursa !
Il se rassit brutalement, abaissa la visière crade de son casque, referma le cockpit de son bolide brinquebalant. Le tonnerre gronda encore, mais s’éleva dans le brouhaha fou, des émetteurs rouillés bordant le circuit, une musique entraînante, particulière à la Course : il la connaissait désormais par cœur, chaque note, chaque souffle, chaque instrument qui la composaient.
Il appuya, de toutes ses forces sur la pédale, faisant gronder le moteur huileux, et alors que le véhicule se mettait en branle, il tripota encore, le souffle court, suspendu, les réglages des suspenseurs antigravitationnels, alors, dans un vrombissement inquiétant, la vieille caisse de métal s’éleva au-dessus du sable.
Il avait peur, terriblement peur. Et faim, surtout, et si peut-être une chose l’aider à surmonter son angoisse, c’était d’imaginer le bonheur de son frère lorsqu’il rentrerai, les bras chargés de sacs de céréales, suffisamment pour se nourrir quelques semaines, dans les rues sombres et malfamées de la banlieue. Il aurait à manger, alors, au moins jusqu’à la prochaine Course…
Alors il esquissa un sourire, essuya du poing l’avant de son casque, s’assurant que son emblème, symbole brun, y était bien visible, puis serra ses doigts couverts de suie sur le volant, redressant la tête.
— La sortida és a prop, senyors ! Sobreviuran tots ?
Non, non… Il eut un rire nerveux, saccadé, parce que non. Tous ne survivraient pas à la course, et c’était bien le principe… Mais l’instinct de survie brouilla ses pensées et le focalisa sur la piste, alors que s’allumaient, un à un, les feux de départ.
La foule hurlait. Il toussa, encore, bruyamment, jaugea les autres véhicules sur le terrain… Il y avait une personne, une seule, qu’il redoutait. Cette fille, narquoise, les bras tendus, prête à réagir. Ses cheveux, noirs, nattés sur sa nuque, volaient doucement avec la poussière, et retombaient sur son épaule moite de sueur, tatouée d’un kangourou.
Quelques fois, déjà , elle avait remportée la Course, alors, quelques jours, il avait dû arrêter de manger. Mais maintenant, c’était, différent. Cette fois, son frère l’attendait. Elle ne devait plus se mettre en travers de sa route, et c’était à lui d’agir. Agir, de manière radicale, sans retour. Alors il serra les lèvres, se figea, les yeux agrippés aux lueurs rouges qui s’illuminaient sous l’orage. Le présentateur, sous la bruine et les huées folles, lança enfin, à s’en arracher la gorge :
— TREURE !
Les moteurs rugirent, le ciel tonna. Cette fois-ci, il n’avait pas le choix : il allait devoir la renverser.