L'Académie de Lu





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Un Kangourou Ă  New-Maguamia

(par Malkym)
(Thème : MĂ©lilĂ©mots 1)



Comme à son implacable habitude, une pluie acide s’effondrait sur les toits plats des hauts immeubles de New-Maguamia. Les rares plantes qui eurent la chance de survivre sous le goudron et le métal, sortant après une lente ascension de leur funeste tombe, n’étaient donc accueillies que par ce poison acidulé qui, fatalement, les reconduisait à cette tombe.

Le dĂ©luge, quasi-permanent, frappait ingĂ©nieusement aux carreaux, toujours Ă  la recherche de victimes. Le bruit assourdissant qu’il causait pas ici avait le don de rĂ©veiller plus d’un dormeur. De nombreuses personnes s’étaient plaintes. Une pluie incessante et dangereuse, tombant de nuit comme de jour, avec les technologies dont disposaient les dirigeants Ă  cette Ă©poque, c’était inacceptable ! Pourtant, rien n’y fit. L’acide continuait inexorablement Ă  tomber sur le bitume et le goudron, de nuit comme de jour, n’en dĂ©plaise aux plaignants.

Cependant, nuit et jour ne voulaient plus dire grand-chose. Depuis que le Soleil, il y a quelques dizaines d’années, perdit grandement de sa superbe, la lumière du jour n’était plus qu’artificielle. Quant à la nuit, seule la fermeture de certains commerces indiquait vraiment sa présence. Les cycles naturels, tels que celui-ci, n’avait plus court depuis longtemps, en ce bas monde. Aussi, les gens se référaient-ils à des choses plus synthétiques, plus exacts parfois, ou bien ils abandonnaient simplement l’idée d’un cycle défini, ne comptaient plus que sur leurs envies pour les alerter de leurs besoins. Bien qu’elle ne soit pas des meilleures pour la santé, cette dernière méthode était certainement l’une des plus appliquées de la ville, soit à environ 34,8 millions d’habitants. Un nombre bien vaste de personnes, entassées dans des pavés de métal et de ciment par la crise (aussi bien économique que démographique).

L’incessante nuée de gouttelettes frappant avec hardeur aux vitres fit une nouvelle victime de son bruit pesant, parfois effrayant. En effet, Sill avait d’habitude le sommeil lourd, mais une vicieuse combinaison de facteurs la poussait à sortir de son repos. Premièrement, un bruit assourdissant d’acide projeté à sa fenêtre. Deuxièmement, une certaine forme de conscience professionnelle. Troisièmement, une lumière violacée de l’un de ces écrans de publicité accrochés aux immeubles. Et quatrièmement, bien plus important, un besoin naturel et commun à la quasitotalité de l’humanité à combler au plus vite.

Elle avait peut-être la motivation et la force suffisante pour s’extirper de son lit douillet, mais pas assez pour lui permettre d’ouvrir les yeux. La jeune femme s’aida donc de ses habitudes pour se guider à travers son appartement. Cependant, consciente des risques que pouvait présenter le sol d’une maison mal rangée telle la sienne, elle s’enquit tout d’abord d’enfiler ses pantoufles, ce qu’elle fit rapidement pour ne pas prendre froid. Elle traîna ses jambes dans la pièce afin de finalement atteindre la salle d’eau. Mais, à mi-chemin, un miaulement éreinté, métallique, se fit entendre. Sill sentit le frottement de poils synthétiques contre ses mollets suivi d’un ronronnement semblable à ceux qu’émettaient les vieilles cafetières. La créature robotique, imitant le comportement des chats, avait déjà bien plus que fait son temps. La fille le savait bien, mais elle ne pouvait s’empêcher d’apprécier ce petit côté rétro, qui fit le charme de ses plus jeunes années. Ne se souciant pas plus que cela de l’animal, Sill continua son périple.

La porte de la salle d’eau s’ouvrit Ă  son approche et des nĂ©ons s’allumèrent alors lentement, diffusant une lumière rosĂ©e Ă  travers la pièce, se reflĂ©tant dans un miroir encastrĂ© dans un mur. Les pieds se mirent de nouveau Ă  traĂ®ner sur le carrelage pour atteindre le lavabo. Un petit jingle de clochettes se fit entendre dans la pièce, suivit par une voix fĂ©minine, que l’on reconnaissait informatique, mais qui Ă©tait de bien meilleure qualitĂ© que ne l’était celle du « chat » :

« Bonjour, Sill. Souhaites-tu que j’allume un peu plus la lumière ? Interrogea la voix.

— Juste un peu, histoire de me voir dans la glace, au moins.

— Juste un peu, je peux faire ça, dit la machine tandis que la lumière rosĂ©e se fit juste un peu plus intense. Tu devrais faire attention, Sill : ton rythme cardiaque augmente et ton indice d’irritabilitĂ© est Ă©levĂ©. Se plus, tu sembles fatiguĂ©e. Peut-ĂŞtre devrais-tu…

— Surveiller mon alimentation ? Interrompit la fille. Mon p’tit dĂ©jeuner est toujours trop sucrĂ©, c’est vrai… sauf que, contrairement Ă  toi, j’ai du goĂ»t. Et la fadeur est la pire des sensations.

— Certainement, mais puis-je user de recommandations afin d’amĂ©liorer la qualitĂ© nutritives de ton alimentation ?

— Bien sĂ»r ! Tant que tu n’es pas trop chiante…

— J’y veillerai. »

Pendant toute la durée de la conversation, Sill n’avait cesser de fixer son visage. Elle appuyait ses joues avec ses mains, semblant tester leur élasticité. Elle tirait ses paupières comme pour voir l’intérieur de ses orbites. Autour du miroir, une bande lumineuse s’illuminait au son de la voix de l’ordinateur. De temps en temps, Sill en approchait son visage, pour en révéler les possibles imperfections. Puis elle tira sa brosse à dents, dores et déjà munie de dentifrice, d’un petit pot de plastique sur lequel une photo de l’Empereur Palpatine s’était en partie effacée et décolorée. Elle traîna enfin ses pieds jusqu’à ses toilettes, s’assit sur le siège et se brossa les dents tout en effectuant sa petite commission. Lorsqu’elle eut fini de brosser ses dents, d’un blanc discutable, elle cracha son dentifrice dans la cuvette. Il n’y avait pas de petites économie, après tout. L’eau coula d’ellemême dans les W.C. et Sill repartit en direction de sa chambre, traînant habilement ses pantoufles afin d’esquiver les quelques obstacles que pouvaient être les jouets de son chat ou les vêtements abandonnée aléatoirement sur le parquet.

Devant son lit, qui avait entre-temps Ă©tĂ© fait par quelques machineries, Sill rĂ©cupĂ©ra son kigurumi qu’elle avait laissĂ© en boule près sa table de chevet. Elle le dĂ©plia avec difficultĂ© et tendit enfin le tissus pour en rĂ©vĂ©ler son apparence de kangourou rose bonbon. Le jeune fille passa, une jambe après l’autre, le costume, avec la lenteur que l’on connaĂ®t. Puis les bras, qui lui procurèrent la chaleur Ă  laquelle elle s’attendait. La douceur du tissus synthĂ©tiques contre sa peau lui Ă©tait une sensation des plus agrĂ©ables. C’est pourquoi elle se fit moins lente Ă  refermer le costume avec quelques boutons de plastiques. Ce genre de fermetures ne se faisait plus depuis bien longtemps. Mais elle en avait trouver un exemplaire chez un vieux vendeur Ă  un prix exorbitant. Excessif, peutĂŞtre, mais qui valait le coup, selon Sill. Cependant, la jeune fille constata, avec une certaine mine dĂ©confite, qu’elle n’avait guère de mal Ă  refermer le tissus sur sa poitrine. L’ordinateur sembla le remarquer, car il affirma :

« La taille ridicule de ta poitrine semble te complexer, Sill. Je tenais donc à t’informer que M.A.T. Inc. offrait à ses utilisateurs des prix très avantageux sur la pose d’implants.

— Je… j’suis pas sensĂ© pouvoir interdire les pubs, comme celle-ci ? Fit-la jeune fille en rougissant, ne faisant que confirmer les suppositions de l’ordinateur.

— Mais bien sĂ»r ! Il te suffit pour cela d’obtenir la version premium de notre offre pour un supplĂ©ment modique.

— Évidemment… conclut Sill de lassitude. Rien que pour empĂŞcher des moments aussi gĂŞnants, j’essaierai d’y penser. »

Le kangourou s’affala alors sur son siège et se mit à son bureau. Mais d’un bureau, le meuble s’apparentait plutôt à un grand vrac d’objets divers sur lequel trônaient fièrement deux écran, liés à un clavier recouvert de mie de pain et d’autres aliments. Pour condenser cet immense amas d’objets, nous pouvons citer une paire de lunettes de soleil dont l’un des verres est porté disparu, une gamme variée de stylos vides, deux ou trois bols dont l’odeur avoisinait celle du lait caillé, un petit arbre de plastique et de tissus dont les feuilles étaient éparpillées dans la pièce, un petit sachet ouvert mais tout-de-même plein de friandises pour chat, une quantité astronomique devieux mouchoirs tournant autour d’une corbeille pleine à craquer et, enfin, une impressionnante accumulation de bouteilles de bière vides et de leur capsules respectives.

Sill craqua ses doigts, comme pour se motiver, avant d’appuyer sur les boutons ON des écrans. Une lumière aveuglante fut projetée aux yeux de la jeune femme, mais elle semblait avoir l’habitude de ce rayonnement, car elle ne plissa pas même un œil. Un message d’accueil salua l’utilisatrice et le chat robotique, à ce son, sauta sur le bureau pour gratter l’arbre de plastique, éparpillant quelques feuilles supplémentaires dans la chambre.

Aujourd’hui, la fille avait une mission très spĂ©ciale : elle devait rĂ©ussir Ă  contourner le système de sĂ©curitĂ© de la police de New-Maguamia. Un travail corsĂ©, qui mĂ©ritait bien un petit remontant avant que l’on ne s’y attaque.

« Philly ! Fais moi mon bol de cĂ©rĂ©ales ! Ordonna Sill.

— Tout-de-suite, Sill. RĂ©pondit la voix fĂ©minine du tac-au-tac. »

Un bol, semblable Ă  ceux gisant sur le bureau, fut dĂ©posĂ© par une sorte de bras mĂ©canique sur le bureau. Il Ă©tait rempli, plus que de raison, de cĂ©rĂ©ales en forme d’anneaux assez sucrĂ©es pour Ă©paissir le sang de quiconque en deux ou trois cuillères. De plus, la quantitĂ© de lait qui y avait Ă©tĂ© ajoutĂ© Ă©tait colossale. Mais ce n’était pas pour dĂ©courager le jeune femme. Cependant, la voix de l’ordinateur reprit :

« Je te recommanderai de consommer un fruit en plus de ce bol de cĂ©rĂ©ales. Que dirais-tu d’une clĂ©mentine ?

— Ça dĂ©pend. Est-ce que si tu la presses et l’ajoutes Ă  mes cĂ©rĂ©ales, ça aura du goĂ»t ? Interrogea Sill.

— Je ne suis pas certaine de ça.

— Tant pis pour aujourd’hui, alors. Par contre, Philly, sors-moi une bière, s’il-te-plaĂ®t.

— Bien sĂ»r, acquiesça la machine en dĂ©posant une bière fraĂ®che près du bol de cĂ©rĂ©ales. J’ai une question, Sill.

— Une question ? Ça t’arrive de te questionner ?

— Je suis programmĂ©e pour ĂŞtre dotĂ©e de curiositĂ©, entre autres Ă©motions et traits de caractère.

— IntĂ©ressant. Eh bien, je t’écoute, fit Sill en engouffrant une première cuillère (Ă  soupe) de cĂ©rĂ©ales.

— Pourquoi m’avoir renommĂ© « Philly » ?

— Oh… c’est-Ă -dire que… c’est une vieille amie.

— Il n’existe pourtant aucune Philly dans tes contacts, insista l’ordinateur. »

Le silence, pesant, dura quelques instants. Sill reprit une cuillère de cĂ©rĂ©ales et tout en mâchonnant, elle rĂ©pondit :

« Elle est morte. Tabassée par des policiers suite à un quiproquo. Ils l’ont confondu avec une membre d’un gang et… ils se sont acharnés.

— Cela dut ĂŞtre une Ă©preuve très difficile Ă  surmonter. Je n’en savais rien. Toutes mes excuses, Sill.

— Je les accepte, mais ce ne sont pas des excuses qui me rendront ma Philly, affirma-t-elle sèchement avant de se recentrer. Et si je t’ai renommĂ© comme ça, c’est pour… tu sais… l’avoir Ă  mes cĂ´tĂ©s, en quelques sortes. »

La voix se tut. Peut-être s’était-elle mise dans une veille de deuil. Mais Sill pensait plutôt à un long chargement de données sur le comportement à adopter suite à une perte. Après tout, la technologie de pointe de chez M.A.T. Inc. pouvait certainement permettre une telle adaptation de leurs machines, surtout à la vue de leurs prix. Là encore, la fille avait dépensé sans compter.

Sill se remit au travail, tout en continuant son copieux petit dĂ©jeuner. Après une longue phase de dĂ©veloppement, son virus, symboliquement appelĂ© « Phi-11-y », devait fonctionner comme sur des roulettes, griller les circuits des machines de la police et lui permettre l’accès aux dĂ©tails les plus secrets de la soit-disant bavure Philly Amaria. Ce n’était plus qu’une question de courage avant que la jeune femme n’obtienne enfin ce qu’elle voulait. En effet, Sill Ă©tait des plus hĂ©sitantes. Elle avait certes passĂ© des mois Ă  confectionner ce virus, mais le mettre en marche, le voir fonctionner, peut-ĂŞtre se faire dĂ©tecter… cela pouvait totalement dĂ©truire tous les projets du kangourou rose bonbon. Elle hĂ©sita. Pendant de longues minutes, elle rĂ©flĂ©chit. Était-ce vraiment le bon moment ? En valait-ce rĂ©ellement le coĂ»t ? Elle n’en Ă©tait pas certaine. Elle n’était plus certaine de rien. Elle Ă©tait perdue.

Dans le doute, elle reprit une gorgée de bière et une cuillère de céréales. Peut-être entraînée par l’alcool, peut-être aussi par la quantité démesurée de sucre dans ces céréales, elle se résigna enfin à mettre en branle « Phi-11-y ». Une simple touche pressée et le monstre partit à toute allure.

Après une dizaine de minutes, et autant de gorgĂ©es de bière et de cuillères de cĂ©rĂ©ales, Sill commença Ă  s’impatienter. Elle devait dĂ©jĂ  avoir eu accès aux dossiers confidentiels de l’affaire… ça ne pouvait pas ĂŞtre qu’une banale mĂ©prise. Ces policiers s’étaient acharnĂ©s sur Philly ! Elle Ă©tait forcĂ©ment la cible ! Mais rien n’apparut Ă  l’écran. Le virus n’était-il pas au point ? La sĂ©curitĂ© des systèmes de la police de New-Maguamia avait-elle Ă©tĂ© sous-estimĂ©e ? Apparemment, oui. Sill fut immĂ©diatement prise d’une panique incontrĂ´lĂ©e. Elle se leva brusquement, faisant tomber sa bouteille de bière sur le sol, rĂ©pandant des Ă©clats de verre Ă  travers la pièce. Elle regarda Ă  travers la fenĂŞtre et Ă©touffa un cri de surprise : elle Ă©tait dĂ©couverte. Les lumières rouges et bleues se reflĂ©tèrent sur les murs des immenses immeubles voisins. DĂ©jĂ , elle voyait les silhouettes armĂ©es pĂ©nĂ©trer le bâtiment, bloquant toute issue. Le kangourou Ă©tait piĂ©gĂ©.

Elle les imaginait monter les marches quatre-à-quatre, enfoncer sa porte. Elle s’imaginait, au sol, en sang, piétinée par les agents, brutalisée de coups. Elle les imaginait détruire son chez-elle en espérant trouver une quelconque planque, frappant son chat, détruisant chaque objet, chaque souvenir de sa jeunesse, de Philly. Elle alla jusqu’à s’imaginer les pires situations possibles, dénudée, violée, tabassée, meurtrie. Elle ne voulait pas le vivre. Elle ne pourrait pas le vivre. Le kangourou réfléchit.

Tentant de retrouver la raison, de cesser sa crise de panique, elle tenta tout. Elle caressa son chat, à lui en faire perdre les poils, elle but toutes les bières qu’elle put trouver, mangea toutes les céréales qu’elle put manger. Rien n’y fit. Son calme était désormais une chose irrécupérable.

Voyant sa fin arriver, fondre sur elle, Sill repensa à l’acide battant inlassablement à sa fenêtre. Elle se mit à comparer, s’interroger sur la décision la plus logique qu’elle puisse prendre. Face à la violence dont allait faire preuve les agents de police, qu’elle entendait alors enfoncer la porte à grands coups de pieds, la délivrance d’un simple saut depuis sa fenêtre lui sembla une perspective avantageuse, une solution radicale à ses problèmes.

« Philly ! Cria-t-elle. Ouvre la fenĂŞtre.

— Sill ? Qu’est-ce qui te prend ? La pluie acide rongerai l’intĂ©rieur de la pièce. Cela pourrait ĂŞtre des plus dangereux.

— Je sais… mais crois-moi, je suis dans une impasse.

— Es-tu sĂ»r de vouloir ouvrir la fenĂŞtre ? Interrogea finalement Philly. »

La porte s’ouvrit d’un coup brusque laissant entrer une dizaine de guerriers, armes aux poings, visières baissées, un kangourou rose bonbon en joug. Sill n’hésita plus. Elle savait quel sort lui était réservé. Elle savait combien la souffrance de Philly dut être grande. Son choix était fait.

« Oui, Philly. »

Le verre coulissa rapidement sur le côté, laissant passer l’acide à travers l’entrée béante, commençant déjà à marquer le parquet et le visage de Sill, faisant face à la rue, dos aux agents.

Le chef de la brigade avait pour ordre d’éliminer la cible. Celle-ci se tenait droit devant lui, devant une fenêtre, à une quinzaine d’étages du sol. Ce n’était pas dans ces habitudes, mais, cette fois-ci, il n’avait pas le choix. Il allait devoir la renverser.


Fin.




























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