L'Académie de Lu





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Le Marchand de RĂŞves


(par Malkym)
(Thème : MĂ©lange : self-insert / projet)



Suite Ă  l’incident de l’AcadĂ©mie, j’avais trouvĂ© refuge dans un lieu discret. Un endroit si peu dĂ©veloppĂ© dans mes textes que nul, pas mĂŞme mes camarades, ne saurait m’y retrouver. Si peu dĂ©veloppĂ©, que je n’en avais mĂŞme jamais créé de vĂ©ritables personnages. J’avais Ă©tabli mon commerce dans la mĂ©gapole de New-Maguamia. Avant d’installer la boutique, je m’étais tout-demĂŞme questionnĂ©. Si j’avais pris place dans les plus bas fonds, les clients auraient certes Ă©tĂ© nombreux, mais les bĂ©nĂ©fices moindres. Et pour ce qui est des plus hauts quartiers, malgrĂ© les impressionnants profits possibles, j’aurais Ă©tĂ© pris pour un arnaqueur et on m’aurait probablement tabassĂ© Ă  mort. La dure loi des riches. Aussi, j’avais trouvĂ© refuge dans un quartier sympathique. C’était si typique ! On pouvait y trouver de charmants bars et de jolis cadavres d’androĂŻdes.

Les affaires ne tournaient pas si mal, par ici. Il fallait avouer que les malheurs des habitants de cette ville Ă©taient nombreux. Cela m’arrangeait bien. Entre les androĂŻdes, les humains et les cyborgs, les conflits Ă©taient si frĂ©quents que je recevais chaque jour deux ou trois clients intolĂ©rants. Autant dire qu’ils n’étaient pas bien difficiles Ă  contenter. « Je veux plus jamais voir un de ces putains d’androĂŻdes ! » Pouf ! Le type perdait ses yeux. « J’aimerais tellement pouvoir me payer des membres robotiques, comme ces privilĂ©giĂ©s d’hybrides ! » Paf ! Le voilĂ  changĂ© en toaster. Mais un soir, j’ai rencontrĂ© un client… inattendu. Laissez-moi vous en faire le rĂ©cit.


Comme je l’ai dit, nous étions le soir. Ce qui, au fond, ne voulait pas dire grand-chose, désormais. La nuit était constante depuis l’affaiblissement du Soleil. Il avait été remplacé par ces néons colorés qui faisaient la joie des univers dystopiques des vieilles fictions. Elles avaient vu juste, il faut croire. Ou était-ce simplement le fait que je fus alors dans l’une de mes fictions. Plus probable, en effet. Il régnait dans mon bureau comme un parfum boisé. Une note sucrée qui ravivait toujours mes clients. Je faisais affaire avec l’une d’entre elle. Installé derrière mon bureau, j’écoutais patiemment la demande de cette jeune femme.

Elle Ă©tait alors sur le point de me prĂ©ciser sa demande, une Ă©tape cruciale du procĂ©dĂ©. ÉclairĂ©s de nĂ©ons orangers, nous papotions ainsi depuis une bonne dizaine de minutes maintenant. Je n’étais pas pressĂ©, loin de lĂ , mais il fallait avouer que cette pauvre âme Ă©tait des plus ennuyeuses. Ce qu’elle m’expliquait n’avait rien de très… intĂ©ressant. Un baragouinage d’utopiste qui n’avait pas encore compris que sa planète Ă©tait fichue depuis bien longtemps. Derrière mon ordinateur, je n’aurai su dĂ©crire l’ennui complet que me procurait son discours alors que ma rĂ©serve de Scotch baissait Ă  vue d’œil (aussi vite que l’âge lĂ©gal de sa consommation ne l’avait dĂ©jĂ  fait).« … Vous comprenez ? J’en ai juste assez de voir que notre sociĂ©tĂ© est incapable de se rendre compte de la misère environnementale dans laquelle est s’est mise ! Et moi, bah, je veux sortir de ce carcan instaurĂ© par les grandes puissances !

— Je comprends, je comprends… Mais qu’est-ce que vous voulez, concrètement ? Lançais-je pour la quatrième fois, lassĂ© de son rĂ©pĂ©titif discours.

— Ok. Alors, moi ce que je veux vraiment…

— Oui ? Insistai-je alors qu’elle rĂ©flĂ©chissait.

— Je veux retourner Ă  la Terre, en fait. »

À l’entente de cette réponse, mes doigts filèrent sur les touches holographiques. En quelques instants, ses conditions étaient notées sur son contrat. Ce dernier sortit quasi-instantanément d’une jolie imprimante, à mes côtés. Je lui confiais afin qu’elle y appose d’elle-même sa signature. Je lui prêtai mon stylo avec lequel elle fit perler quelques gouttes d’or sur le papier.

« Je vous remercie d’avoir cru bon de faire appel à mon expertise, mademoiselle. Au fait… très mauvais choix de mots, affirmais-je en esquissant une grimace déçue. »

Elle n’eut le temps que de montrer une mine surprise avant de se changer en un tas de poussière, rejoignant celle dorée que devint également le contrat. Alors que je m’amusais à citer la Bible tout balayant les restes de ma cliente jusqu’à l’extérieur, il me prit l’envie d’un dernier verre. Peu raisonnable, certes. Mais assez peu raisonné, je m’en retournai tout-de-même à ma bouteille de Scotch. Misère. Cette écolo avait été si chiante qu’elle m’en avait fait vider ma dernière bouteille. Je n’avais plus qu’à faire une croix sur l’envie d’oublier ce palpable ennui. J’enfilai ma veste, tirai mon parapluie et sortis de la boutique. L’acide tombant continuellement du ciel s’abattait en quantité sur le tissu imprégné de mon accessoire alors que je passais la clé magnétique dans la serrure. Et oui, même dans le futur, clé et serrure sont toujours de mise. Après avoir fermé la boutique, je pris la route vers le quartier voisin. Il est impressionnant que je n’ai pas réussi à trouver d’habitations plus proches. Mon bureau lui-même est surmonté de nombreux logis, mais pas un de libre. D’ailleurs, les cris de la folle qui logeait l’un d’eux n’avaient de cesse de me le rappeler.

Je prenais un chemin bien dĂ©fini pour rentrer chez moi. Non pas que l’originalitĂ© me dĂ©rangeait, mais j’avais Ă©crit cet univers. En consĂ©quence, je savais pertinemment que certaines rues n’étaient pas bonnes pour la santĂ©. Aussi, je me contentais de marcher mĂ©caniquement sur le pavĂ© acidulĂ© des rues du quartier. Je mettais habituellement une petite trentaine de minutes pour retourner jusqu’à ma porte (une quarantaine lorsque l’ascenseur faisait des siennes). Mais au bout d’à peine dix, mon trajet machinal fut interrompu par un membre de la BPM, pour Brigade de Police Maguamienne, parfois renommĂ©e sous l’appellation de Bande de Poivrots MĂ©diocres. Le grand type baraquĂ© braqua sa main gantĂ©e devant mon visage. Je levai la tĂŞte, interrogatif, pour apercevoir ses yeux, cachĂ©s d’une visière. Il rĂ©pondit avant mĂŞme d’entendre ma question :

« On passe pas. Une dangereuse cyber-terroriste est barricadée dans cet immeuble. Pour éviter tout problème, je vous conseille vivement d’emprunter un autre itinéraire.

— Je ne rentre que par ici, tentai-je.

— Écoute-moi bien, le mioche, dit-il en posant la main sur le pistolet Ă  sa ceinture. Je te l’ai demandĂ© bien gentiment. Mais il est tard, et avec la fatigue, j’pourrais bien te faire une bavure, lĂ , tout-desuite. Alors, toi et ton parapluie, vous allez faire demi-tour. »

Alors qu’il me disait ça, je vis une fenêtre s’ouvrir dans l’immeuble dans lequel la brigade intervenait. C’était déjà surprenant par ce temps. Mais ce le fut d’autant plus lorsqu’une fille vêtue d’un kangourou rose passa à travers, criant quelques instants avant de s’effondrer sur le pavé, mêlant de rouge la pluie violacée. L’agent s’était retourné dès que le hurlement eut retentit. Il se tourna à nouveau vers moi.

« DĂ©gage ! Me brailla-t-il.

— J’allais y aller. »

Je m’en retournai à pas plus pressés vers une rue voisine. Il ne fallut pas longtemps pour observer la misère du paysage. Les sans-abris étaient monnaie courante à New-Maguamia. Ils avaient même bénéficié d’un statut social tout particulier. Leur vie ne valait littéralement plus rien. Leur mort était considérée comme… Disons que tuer une fourmi en lui marchant dessus vous vaudrait autant de problèmes que de provoquer le décès de l’une de ces pauvres âmes. J’avais appris à ne plus les prendre en pitié. En éprouver à leur égard est une chose dangereuse dans ce nouveau monde, dans lequel un sentiment est une faille. Une des rues que je dus emprunter était jonchée de ces infortunés. Ils se débattaient avec et le froid et l’acide comme ils le pouvaient. J’en vis plus d’un se couvrir de vieille affiches d’élections, de publicités et de propagande. Ce genre d’affiches se faisait pourtant de plus en plus rares de nos jours. Je pus croiser un des rares androïdes mendiant sur les pavés. La plupart étaient emmenés pour être démantelés ou réutilisés après leur formatage.

J’avançais sans prêter attention à ces gens de misère. Certains crachaient sur mon passage. C’était bien là leur droit le plus strict. L’un des derniers qu’il leur restait. Je continuais mon chemin. Je n’avais jamais pris la peine d’explorer les rues plus profondes de la mégapole. Et pourtant, on pouvait y trouver des petites choses intéressantes. Je découvris qu’un magasin de r?men était situé à moins d’une quinzaine de minutes de mon bureau, qu’il était possible de se procurer des modèles réduits d’arbres ayant réellement existé, et ce pour un prix ne dépassant pas les 1300 crédits terriens, qu’une fontaine tarie trônait en plein milieu d’une ruelle (je dus d’ailleurs l’enjamber pour accéder à l’autre côté de la rue) et… plus important pour ce soir, qu’un bar que je ne connaissais nullement était installé dans ces ruelles.

Il n’avait pas une allure impressionnante, mais lorsque l’on a soif, on ne fait pas la fine bouche. J’examinai quelques instants la devanture. C’était un Ă©tablissement semi-enterrĂ©, dont une enseigne de nĂ©ons grĂ©sillants m’informa du nom : « ». De ses vitres Ă©manaient des lumières rosĂ©es. D’habitude, trop de lumière rose m’aurait dissuadĂ© d’y mettre un pied, mais comme je l’ai dit, j’avais soif. Aussi, sans plus d’attente, je passais la porte du bar.

J’y dĂ©couvris une ambiance… spĂ©ciale. Des banquettes Ă  l’allure confortable, un comptoir Ă  peu près propre, des lampes roses, qui ne m’aveuglèrent pas autant que je ne l’aurai supposĂ© de l’extĂ©rieur, et mĂŞme un vieux juke-box des annĂ©es 2000 qui passait des musiques calmes, qui m’évoquèrent un bon visual-novel. Il n’y avait pas foule. Je ne comptais pas plus de quatre personnes dans la salle, moi compris. Une gamine aux cheveux bleus assise sur une banquette, au fond du bar. Elle mâchouillait une sucette tout en jouant Ă  un jeu vidĂ©o. Une barmaid aux cheveux courts discutait avec une cliente tout en prĂ©parant un verre. Elle me fit un geste de la tĂŞte sans interrompre sa discussion. Enfin, il y avait la cliente. Des cheveux bordeaux, des taches de rousseur, un petit nez Ă©clairĂ© d’yeux roses. Et ce bras… mĂ©tallique. J’étais certain de l’avoir dĂ©jĂ  vu quelque part. Mais oĂą ? Je gardai mes soupçons et m’installai au bar. Je pus entendre la fin d’une intĂ©ressante conversation sur les risques des pluies d’acide sur la ville avant que la barmaid me prĂŞte attention :

« Bonjour jeune homme, et bienvenue au  ! Qu’est-ce que je peux te servir ?

— Un Scotch, rĂ©pondis-je aussitĂ´t.

— Tu vas ĂŞtre déçue, j’en ai peur.

— Vraiment ?

— Si tu veux t’en prendre Ă  quelqu’un, demande lui donc oĂą sont passĂ©es les bouteilles, m’informa-telle en dĂ©signant la cliente au bras de mĂ©tal.

— Oh ! Ça va ! J’ai eu une longue journĂ©e !

— Comme tous les soirs, ajouta la petite fille bleutĂ©e, sans quitter son Ă©cran des yeux.

— Ferme-la, Dynamo. »

Je constatais que j’avais affaire à des habitués. La jeune femme qui me rappelait quelque chose commanda une autre boisson. Une bière. Rien de bien original, mais il faut croire que les breuvages de tradition ont la peau dure.

« Et toi ? M’interrogea la barmaid. J’ai peut-ĂŞtre plus de Scotch, mais mes cocktails sont dĂ©licieux.

— Je confirme ! Ajouta la gamine en levant un verre contenant un breuvage colorĂ©.

— Eh bien… je n’ai pas l’habitude de l’originalitĂ©. Peut-ĂŞtre quelque chose de sucrĂ©, pas trop fort.

— SucrĂ© et pas trop fort, c’est dans mes cordes, m’annonça la serveuse avec un sourire. »

Elle sortit quelques ingrĂ©dients de sous le comptoir. Je reconnus de la liqueur de cerise, un sirop de dremmelin et de la vĂ©xine. Mais je n’étais pas assez douĂ© pour identifier les quatre autres bouteilles qu’elle fit voler au-dessus de sa tĂŞte pour en verser quelques gouttes dans un shaker. Durant l’agile manipulation, je faisais causette :

« Donc… la petite bleue, c’est Dynamo, c’est ça ?

— AD800 Dynamo, pour te servir ! Cria-t-elle de nouveau depuis le fond de son siège.

— Oh. Un androĂŻde… Je ne m’y attendais pas. Enfin, tu as l’air tellement…

— Humaine ? Oui ! M.A.T. Inc. s’amĂ©liore de jour en jour !

— Et quelle est ta… fonction, si je puis dire.

— Pas besoin de telles pincettes ! Ma fonction première est de…

— Satisfaire les fĂ©tiches Ă©tranges des tarĂ©s de la ville, l’interrompit l’autre cliente en ricanant.

— … jouer le rĂ´le d’une petite fille chez ceux dans un besoin sentimental, rectifia Dynamo en lançant un regard noir Ă  la cliente. Des gens tels que toi. »

Elle ne répondit pas et se contenta de boire une gorgée de sa pinte.

« Et donc AD, c’est sûrement pour…

— Adoptive Daughter, me coupa la serveuse en posant un verre devant moi. Et un pour le jeune homme ! Tu rĂ©gleras en sortant.

— RĂŞve de Soie ?

— Un mĂ©lange fruitĂ©, aux saveurs acidulĂ©s qui mettent en valeur le sucrĂ© de la cerise et du dremmelin. La vĂ©xine apporte le caractère qui pourrait lui manquer, que j’ai doublĂ© de gerprin pour adoucir le cocktail ! Le tout servi tiède avec sa traditionnelle rondelle de dremmelin !

— Impressionnant ! Vous connaissez votre mĂ©tier, c’est certain !

— Eh oui… soupira-t-elle avec un air déçu.

— C’est dĂ©licieux ! M’exclamai-je en sirotant le cocktail. Vous ĂŞtes une As, madame…

— Appelle-moi May.

— Très bien, May. Donc… Dynamo, May et… vous ? Interrogeai-je en dĂ©signant la jeune femme au cheveux bordeaux.


— Djavy. D-j-a-v-y J’insiste sur le D, rĂ©pondit-elle tranquillement.

— C’est une rĂ©fĂ©rence Ă  un film ?

— Quoi ?

— Non, rien… Et vous faites quoi dans la vie, Djavy ?

— … Taxi.

— Ah… Et c’est une bonne situation ça, taxi ?

— La plupart du temps, je n’ai pas Ă  me plaindre. C’est juste… profondĂ©ment fatiguant. »

Une pensée me vint alors que je prenais quelques gorgées de mon . Je n’avais pas vraiment développé cet univers, ce qui était très pratique pour se cacher de tous. Mais cette jeune femme, Djavy. Enfin… des cheveux colorés mais ternes, un boulot neutre et fatiguant, un bras métallique, un caractère bien trempé mais cynique dans une époque futuriste dystopique… elle avait tout d’un personnage principal. Il ne me semblait pourtant n’en avoir écrit que des bribes. Je n’avais fait que réfléchir à un univers, qui m’était passé par la tête au travers d’un défi de l’Académie, rien de plus. Mais elle avait pourtant tout l’air d’une protagoniste, peut-être même un peu clichée.

« Et toi ? Interrompit-elle ma pensĂ©e en ravalant une gorgĂ©e de sa bière, comment tu te payes ton costard et ton Scotch ? Tu dilapides vraiment tout l’argent de poche de Papa et Maman, lĂ -dedans ?

— Je rĂ©alise les rĂŞves de mes clients, dis-je en croquant dans la rondelle de dremmelin. »

…

Un silence plana Ă  l’entente de cette rĂ©ponse. J’entendis un cinglant sortir de la console de Dynamo. La bouteille de vĂ©xine de May lui Ă©chappa des mains pour venir rebondir au sol. Djavy resta la mousse de bière aux lèvres. MĂŞme le juke-box s’interrompit quelques instants. La barmaid me fit part de sa curiositĂ© :

« Tu… rĂ©alises des rĂŞves ? Genre… La nuit, quand je vole dans le ciel, au-dessus de l’acide, pour rejoindre la chambre de ma patronne et lui…

— Non, non, non ! Pas ce genre de rĂŞve, riais-je en posant mon verre sur le comptoir. Disons que j’exauce plutĂ´t les vĹ“ux des gens.

— Donc techniquement, tu peux quand-mĂŞme m’arranger une nuit avec ma patronne.

— Je suppose, oui ! Lui souris-je.

— Ouais… T’es surtout un bel arnaqueur, gamin ! affirma Djavy.

— T’es pas la première Ă  le penser. Mais je suis certain de pouvoir te convaincre. Attends un peu. »

Je sortis mon petit calepin et mon stylo et lui demandai :

« Alors, qu’est-ce que tu voudrais, lĂ , maintenant ?

— Je ne sais… Si ! Une autre bière.

— Je te fais ça ! Dit mĂ©caniquement la barmaid.

— Non, non ! Je m’en charge, affirmai-je en notant sa condition. Pour ma part, j’aimerais que tu me promettes… ta veste. Dès que la bière sera en ta possession, ta veste sera en la mienne, d’accord ?

— Tu me la rendras, hein.

— Oui, bien sĂ»r ! Tu n’as qu’à signer ici. »

Dynamo s’était approchée pour voir ce qui allait se passer. May s’était quant à elle accoudée au comptoir, devant nous. Djavy prit le stylo dans sa main métallique et apposa sa signature dorée sur le papier. La feuille disparut sous nos yeux dans un nuage de poussière dorée. Au même instant, la pinte vide se remplit à nouveau entièrement devant la cliente surprise, tandis que sa veste se dématérialisa de ses épaules pour venir recouvrir les miennes. Toutes les trois semblèrent soudain très impressionnée par cet étonnant tour de magie.

« May ? C’est toi qui as rĂ©-rempli la pinte de bière ? Pendant que je regardais ailleurs, je sais pas ?

— Non ! Je te jure. Elle est juste… apparue !

— Je suis certaine que c’est de la technologie de pointe ! S’exclama Dynamo.

— Rien de technologique lĂ -dedans. Rien que de la magie ! La corrigeai-je. »

Djavy but quelques gorgĂ©es de sa pinte, comme pour s’assurer de sa vĂ©racitĂ©. Elle regarda May bizarrement avant de lui avouer :

« Elle est meilleure que les tiennes.

— Hey !

— Bon, je te l’accorde. C’est particulièrement impressionnant ! Rends-moi ma veste, maintenant.

— D’accord. Mais d’abord, je voudrais m’assurer que tu eus profitĂ© au maximum de cette bière. Je ne voudrais pas que tu te sentes lĂ©sĂ©e !

— Bien sĂ»r, rĂ©pondit-elle après quelques gorgĂ©e. Pourquoi ça ? »

Ceci confirmĂ©, je dĂ©chirai la page de calepin sur lequel le contrait Ă©tait marquĂ©e. AussitĂ´t, la veste se changea en poussière dorĂ©e pour rĂ©apparaĂ®tre sur les Ă©paules de Djavy. Quant-Ă -elle, elle fut soudain prise d’une expression Ă©trange. Elle grimaça avant de m’assurer :

« Ta bière n’a plus aucun goût en bouche… C’est très frustrant.

— Et ta pinte vient de se vider, fit remarquer Dynamo.

— Tr… très impressionnant.

— Heureux que vous me croyiez dĂ©sormais.

— Et tu gagnes ta vie comme ça ? En Ă©changeant ta magie contre les affaires des autres, interrogea la barmaid.

— Oui… Des affaires, des promesses, des informations, des services… Les moyens de me payer sont nombreux. La plupart du temps, mes clients n’ont pas autant de chance que vous.

— Pas autant de chance ? Qu’est-ce que tu peux bien leur prendre qui puisse ĂŞtre si horrible ? Leurs chaussures ? Leurs portes-monnaie, peut-ĂŞtre ?

— Leurs vies, parfois. »

…

Je m’appuyai sur le comptoir en poussant un soupir. Une fois de plus, j’avais créé le silence. Je crois bien avoir le chic, pour ça. Dynamo s’approcha et retira la sucette de sa bouche.

« Tu sais… Tu ne serais pas le premier à venir ici en ayant du sang sur les mains.

— Ă€ quinze ans ?! S’exclama May que je sentis presque rĂ©pugnĂ©e. C’est pas un chasseur de primes qui a vu la mort toute sa vie, lĂ  ! C’est un gamin arnaqueur et un meurtrier !

— Pourquoi tu fais ça, gamin ? Avec… ta magie, lĂ , m’interrogea Djavy. Tu pourrais pas l’utiliser pour aider les gens ?

— J’ai dĂ©jĂ  essayĂ©, dis-je en jouant avec mon verre. Mais ça n’avait rien d’intĂ©ressant. Aider les gens… c’était si ennuyeux.

— Tu t’ennuies moins maintenant ? Me demanda la bleue.

— Bien sĂ»r, affirmai-je en replongeant mes lèvres dans le cocktail. Ruiner les vies des gens, c’est tellement plus distrayant, plus variĂ© !

— Mais t’entends ce que tu dis ?! S’indigna la barmaid.

— Ouais… »

…

Djavy me prit par la manche en me faisant renverser mon verre. Elle ouvrit mon parapluie, me conduisit dehors et attendit. Je la regardai quelques instants. Le rose de ses yeux était parcouru d’une telle énergie. Elle qui semblait il y a encore quelques instants à la limite de l’évanouissement. Elle me fit monter dans son taxi, à côté de la place conducteur. L’acide tambourinait sur le parebrise. Le siège était confortable. Une odeur de sapin de voiture me semblait presque agréable, pour une fois. Je m’endormais presque, installé sur le cuir, bercé par la pluie et le morceau de juke-box qui continuait de se jouer inlassablement dans ma tête. Djavy ferma mon parapluie, le déposa à l’arrière et prit place au volant. Elle démarra le contact et nous partîmes.

« OĂą tu m’emmènes ? Demandai-je après un baillement.

— Nul part. T’as juste besoin… d’un peu de repos. Et May n’aurait pas arrangĂ© la situation.

— Pourquoi tu fais tout ça ? Tu m’connais pas, que je sache.

— J’étais un peu comme toi, dans ma jeunesse et…

— Ah bon ? La coupai-je. Il me semble pourtant pas l’avoir d’jĂ  Ă©crite.

— … et je sais qu’un trajet en voiture peut rĂ©gler beaucoup de choses. »

La route, malgrĂ© cette heure tardive, n’était pas dĂ©nuĂ©e de conducteurs. Le passage des voitures Ă©tait pourtant hypnotisant. Les klaxons berçants. Les phares rassurants. Elle reprit :

« Tu vois… Ces gens, lĂ . Ils sont nombreux, pas vrai ? Ce sont tous dĂ©jĂ  des tueurs, Ă  leur Ă©chelle.

— N’importe quoi.

— Mais si. Qu’ils le veuillent ou non, ils contribuent Ă  la pollution qui ravage notre planète depuis des siècles. Ă€ la surpopulation qui condamne des milliers de gens Ă  dormir sous l’acide. Et puis, Ă  cette heure-ci, si la moitiĂ© n’est pas des dealers de drogue, je serai Ă©tonnĂ©e, sourit-elle.

— Ouais, ris-je Ă  sa blague bataillant pour ne pas m’endormir. Mais je ne vois pas bien le rapport avec ma situation.

— Certains en sont conscients. Ils agissent en consĂ©quence. Ce gars qui marche sous son parapluie avec ses sacs de course, il a peut-ĂŞtre pensĂ© Ă  la planète.

— … ou au prix d’un plein.

— Non… Tu comprends pas. Avoir tuĂ©, c’est le problème. Mais notre sociĂ©tĂ© entière a du sang sur les mains. Le tout, c’est de s’en rendre compte. Et… de se laver les mains, en quelques sortes.

— Mais… je gagne ma vie sur le malheur des gens ! Depuis des annĂ©es ! M’énervai-je. Je peux pas faire autrement. C’est juste… un fait.


— Le rĂ©pète pas Ă  Dynamo, mais j’étais pas taxi, avant.

— Ah non ?

— Non. J’étais agent de la BPM.

— La Bande de Poivrots MĂ©diocres ?

— Ceux-lĂ  mĂŞme, gamin. D’ailleurs, j’y ai perdu mon bras.

— C’était pas juste pour suivre la mode ?

— Non… C’était dans une opĂ©ration qui a très mal tournĂ©. On Ă©tait partis pour dĂ©manteler un trafic d’armement qui sĂ©vissait dans un mĂ©tro dĂ©saffectĂ©. Un massacre. Une boucherie.

— Ton escouade s’est faite dĂ©cimĂ©e ?

— Au contraire. On les a tous massacrĂ©s. Sauf un type, que j’avais rĂ©ussi Ă  mettre au sol. C’était un petit gars, pas bien costaud, qui Ă©tait chargĂ© de porter un tas de petites caisses.

— Ouais… Classique.

— Non. Il pleurait. Il pleurait face Ă  l’horreur que mes collègues et moi, on avait causĂ©. Il pleurait Ă  cause de la douleur qui lui traversait la jambe. Il pleurait Ă  la pensĂ©e du sort qu’il savait imminent. Mais il avait beau ĂŞtre un criminel, un mafieux, un dur de dur… il pleurait comme un gamin.

— Très rĂ©confortant. Tu t’rends compte que tu parles Ă  un gosse de quinze ans.

— J’m’en fiche bien. Le truc qu’il faut retenir, c’est qu’il s’est rendu, lui. Pas ses petits camarades.

— Je crois comprendre. Il lui est rien arrivĂ© de pire et il a Ă©tĂ© remis sur le droit chemin par notre excellent système judiciaire, c’est ça ?

— Non. Quand je me suis approchĂ©e, prise en pitiĂ© par son malheur, je lui ai tendu la main. Il a appuyĂ© sur une mine, près de lui, et s’est fait exploser. J’ai Ă©tĂ© grièvement blessĂ©e dans l’explosion. J’ai perdu mon bras et plusieurs de mes cĂ´tes se sont briser dans le souffle de l’explosion. Sa chaleur a aussi fait fondre une partie de mon casque et a brĂ»lĂ© mon visage.

— Ouais… J’ai failli connaĂ®tre cet effet, une fois. Ça explique tes yeux roses, je suppose.

— Non, ça se sont les miracles de l’eugĂ©nisme. D’ailleurs, mon prĂ©nom complet, c’est Djaverance. Tout ça pour dire que mes parents avaient de sacrĂ©s goĂ»ts de merde. Mais c’est pas le sujet.

— Ouais, ça et les cheveux bordeaux. »

Elle semblait vexĂ©e de cette remarque. Je compris alors que c’était certainement lĂ  un choix personnel, qu’elle avait dĂ» faire. Quel maladroit. Encore une erreur que j’aurai pu ne pas commettre si j’avais un peu plus dĂ©veloppĂ© cet univers avant d’y entrer. Au bout d’un moment, alors que nous traversions un immense pont, elle reprit :

« Tout ça pour te dire… C’est pas mon histoire qui importe. C’est celle de ce type. Pour lui, c’était juste une activité comme une autre. Un moyen de gagner sa vie. Mais dans le même temps, il ruinait la vie de beaucoup d’autres. Notre société est d’un égoïsme monstrueux. La pitié que j’ai eue envers lui a été une faiblesse qu’il a exploitée, comme tu le fais en exploitant les vœux des gens. Je ne pourrais pas t’empêcher de continuer à faire tes deals meurtriers ou de ruiner les vies de tes clients. Mais… pense à ce gars. Pense aux conséquences de ce que tu vas faire. Pense à ce que ce type a récolté en profitant de ma faiblesse.

— …

— Suite Ă  cet incident, j’ai quittĂ© la BPM et je suis devenue taxi. D’ailleurs… le trajet va te coĂ»ter une blinde, plaisanta-t-elle. »

Je ne répondis pas. Je ne rigolai pas. Je ne soupirai pas. Je ne dis pas. Je ne fis pas. Je restais juste dans la voiture, somnolant, la tête sur le dossier du siège, écoutant et réfléchissant à la fois.

« Allez… On retourne au , annonça Djavy en faisant demi-tour. Je pense que cette petite virée en voiture t’aura été utile, pas vrai?

— ArrĂŞte-toi ici, s’il-te-plaĂ®t.

— Quoi ? LĂ  ? Au milieu du pont ?

— Oui, rĂ©pondis-je en saisissant mon parapluie. Je vais rentrer Ă  pieds.

— Tu es sĂ»r ? MĂŞme avec ton parapluie, ça ne sera pas des plus agrĂ©ables.

— Ne t’inquiète pas. J’ai l’habitude de marcher longtemps, lui affirmai-je en me collant un sourire pour la rassurer.

— Avant de partir, j’aimerais te dire une chose, gamin. Tu… non attends… T’es visiblement un peu plus qu’un gamin, j’ai l’impression. C’est quoi ton nom ?

— Malkym.

— Eh bien, j’aimerais te dire une chose, Malkym. Ce type, qui s’est fait pĂ©ter, n’oublie pas qu’avant de rĂ©duire mon bras en charpie, il s’était rendu. Que tout aurait pu s’arrĂŞter lĂ , mais qu’il n’a pas saisi cette chance.

— Et… ?

— Saisi cette chance, Malkym. Saisi-la avant qu’elle ne t’explose au visage.

— Je… j’y songerai, affirmai-je moyennement convaincu par sa mĂ©taphore.

— Promets-le moi, Malkym.

— Je te le promets, dis-je mollement.

— Non. C’est pas assez pour m’y faire croire, songea-t-elle. Je veux pouvoir en ĂŞtre certaine, tu vois ? Tiens ! Sors ton petit calepin et ton stylo. »

Je lui prĂŞtai mes effets. Elle Ă©crivit sur l’une des pages un petit texte que je n’arrivai pas Ă  lire, fatiguĂ©, et le signa d’or avant de le plier en deux et de le glisser dans la poche de mon manteau. Elle y rangea le stylo et le calepin avant de m’expliquer :

« Ne le signe pas tout-de-suite. Simplement, quand tu songeras à arrêter de briser les vies des gens, lis-le. Et si les conditions te paraissent acceptables, tu n’auras qu’à le signer.

— …

— T’es pas une mauvaise personne, Malkym. T’as pas besoin de trouver ta joie dans le malheur. Pas besoin de prendre la vie des autres pour rendre la tienne plus excitante.

— …

— T’as juste besoin de t’échapper.

— …

— Allez, bonne nuit, gamin. Et un jour, si l’envie t’en prend, repasse au  !

— Bonne soirĂ©e Djavy, et salut May et Dynamo pour moi, conclu-je en fermant la portière jaune derrière moi. »

Le taxi repartit alors que la jeune femme me faisait de grands gestes d’adieu de son bras métallique. Pour ma part, je ne lui fis qu’un simple signe de tête avant d’ouvrir mon parapluie. Cette soirée avait été plus longue que prévue, et s’était terminée au milieu d’un pont et de nul part, à des kilomètres de chez moi, sous la pluie d’acide.

Alors que la voiture s’éloignait, rejoignant la masse de phares et de klaxons de la route, je prenais le chemin de mon immeuble. Je ne savais plus où j’étais. Mais si mes souvenirs sont bons, j’ai dû prendre environ deux heures pour regagner ma porte. Deux heures et dix minutes, si l’ascenseur avait fait des siennes.


Imaginez-vous quelques instants toute l’absurditĂ© de cette histoire ! J’avais rencontrĂ© les personnages d’un univers que je n’avais mĂŞme pas Ă©crit, Ă©tais parti boire dans un bar dont l’existence mĂŞme m’était inconnue et, saoul comme fatiguĂ©, j’avais fait une virĂ©e en voiture avec ma personnage principale (dont la Back Story est d’ailleurs si clichĂ©e et mauvaise que je la réécrirai certainement) qui, comble de l’absolu, m’a fait une leçon de morale et qui a elle-mĂŞme rempli l’un de mes contrats ! Autant vous dire que ce genre de soirĂ©e n’était pas monnaie courante ! On nageait en plein dĂ©lire ! Et tout ça pour un dernier verre de Scotch que je n’ai, au final, mĂŞme pas obtenu.

Non, dĂ©finitivement, cette soirĂ©e n’avait rien d’anodine. Et puis… soyons sĂ©rieux… Moi ? Moi, j’arrĂŞterai d’être le mĂ©chant ultime ? Moi, qui ai rendu aveugle et muette une simple jeune fille en dĂ©tresse, dans le seul but d’obtenir son prince de fils ? Moi, qui n’ai pas hĂ©sitĂ© Ă  abattre de sang-froid un jeune homme qui s’était mis en tĂŞte de traquer l’assassin de son roi ? Moi, qui ai rĂ©duit Ă  l’état de poussière (parfois littĂ©ralement) l’AcadĂ©mie et l’existence de nombre de pauvres âmes, pleine d’espĂ©rance, de New-Maguamia ? Et le tout pour une pauvre taxi, Ă  la vie ravagĂ©e par le sang et la violence, qui n’arrive elle-mĂŞme qu’à trouver son rĂ©confort dans le Scotch ? Ma propre personnage qui me donnerait une leçon ? Enfin… Soyons sĂ©rieux.



FIN.










Cette histoire fait partie d'un tout plus grand !











Faucheuse

Du coup, @Malkym, le Démon Exceptionnel . Texte très intéressant comme toujours. Tu as une belle plume et ton texte était inattendu.

L'idée du magicien qui peut également rentrer dans ses textes est super. Le monde est celui de ton premier mélilémots avec le mot kangourou si je ne m'abuse. Il me semble même que c'est la fin de l'histoire que tu uses. Référence à ton texte sur le défi dfes contes... Magnifique !


Le 17/05/2021 à 10:15:00



Elinor

je m'y mets enfin^^. Mieux vaut tard que jamais j'ai envie de dire. Enfin bref... J'ai adoré ton texte. Très drôle et très bien écrit. Les dessins qui l'agrémentent sont extra. La reprise de ton rôle de magicien du conte est géniale. C'est super fluide, et on s'immerge complètement dans ton univers. Jeu de mots pour le nom de ton bar très bien trouvé. Fin voilà, tout ça pour ça, mais il était vraiment super


Le 21/05/2021 à 11:48:00

















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