L'Académie de Lu





Pas encore inscrit ? /


Lien d'invitation discord : https://discord.gg/5GEqPrwCEY


Tous les thèmes
Rechercher dans le texte ou le titre
Expression exacte
Rechercher par auteur
Rechercher par type de défi
Tous les textes


PseudoMot de passe

Mot de passe perdu ?


Jouer avec le Feu

(par Malkym)
(Thèmes : DĂ©fi surprise mĂ©lilĂ©mots / MĂ©lilĂ©mots 4)



Certains moments de votre vie ont la faculté de se graver au centre de votre tête, et de vous hanter chaque jour comme le vieux refrain d’un sonnet perfide. Quand ils reviennent en vous, vous ne pouvez que les subir et fermer les yeux, en priant les uniques pour qu’ils s’effacent enfin une bonne fois pour toutes de votre esprit, et cessent de vous tourmenter.

Longtemps, j’ai prié. Longtemps, je me suis, chaque jour, rendu dans les temples de granit pour implorer la miséricorde des tout-puissants. Longtemps, j’ai porté des montagnes jusqu’aux totems d’Irpra, Mendir et Suptop. Longtemps, j’ai joint mains et gestes pour être entendu. Mais prirent-ils un jour la peine d’écouter mes suppliques, de faire disparaître ces souvenirs funestes de mon esprit ? Jamais. Et ainsi, à chaque lever de soleil qu’Irpra m’accordait était une nouvelle apparition de ce moment, déchirant, torturant, brûlant et infernal. Tout n’avait pourtant pas commencé ainsi…

***

C’était une fin de Mendas des plus communes. Aux abords des quais de la cité, la soirée était d’une douce fraîcheur automnale. Je la contemplais, près de ma fenêtre ouverte, les yeux rivés sur l’océan qui faisait face à notre maison. Le bois sec des fondations et de la fenêtre contrastait merveilleusement avec l’air iodé des fragrances marinières, émaillée de fortes odeurs de rhum, sans doute l’apanage des débardeurs. Non loin, près de la rive, j’observais un oiseau, une mésange me sembla-t-il, rentrer à son nid, le bec serti de quelques brindilles, tiges sèches et petits bois. De quoi sans doute étoffer un peu l’abri douillet, où quelques créatures duveteuses semblaient gazouiller une interminable mélodie, réclamant à être biberonnés.

Mon père, un homme haut et droit aux traits sévères, ferma la fenêtre, qui fit paraître une étrange lumière violacée, et tapa du doigt les pages jaunies de son dantesque ouvrage. Un barbant recueil de lois aussi passionnantes que celle concernant le contrôle de l’étiquetage du transport de la viande bovine dans les pays germains, ou encore la double règle des non-dit des combats clandestins dans les ruelles et sous-sol de moins de quarante-deux mètres carrés. Et, fils d’aristocrate à la place enviée, il était évidemment de mon devoir d’en apprendre la moindre page, au mot près, à la plus petite virgule visible. C’était d’un ennui tout bonnement mortel.

« Allez, Donatien. Cesse un peu de bayer aux corneilles et…

— Aux mĂ©sanges, le repris-je distraitement.

— … de bayer aux mĂ©sanges, et mets-toi un peu au travail !

— Maman n’a pas encore prĂ©parĂ© le dĂ®ner ?

— Non, pas encore, mais ne change pas de…

— Oh, s’il-te-plaĂ®t ! Laisse-moi faire Ă  manger, Papa ! En plus, tu dis toujours que je serais digne des cuisines du Roi lui-mĂŞme, insistai-je.

— Mmmh… mĂ©dita-t-il dans sa maigre barbe. Très bien, très bien ! Lis ce paragraphe— ci, et tu seras libre de mijoter notre festin de ce soir, d’accord ?

— Oh merci, Papa ! L’embrassai-je, dĂ©butant une lecture, bien trop hâtive, des quelques lignes ennuyeuses. »

Sitôt cette bribe d’apprentissage terminée, je galopai sur le vieux plancher tapissé jusqu’à notre grande table de repas, non loin de notre cheminée froide. J’y jetai quelques nuages de farine avant d’aller chercher le faisan salé que mon père avait laissé à la cave, une semaine auparavant. Je le récupérai dans un gros tonneau de sel, quand mes narines furent intriguées par la forte odeur d’alcool qui émanait de quelques draps au centre de la pièce. Papa ne se laissait pourtant que bien rarement tenté par la boisson, mais je supposai que c’était sans doute là le cadeau d’un de ses amis haut placés, que l’on recevait de temps à autre, et m’en retournai à ma cuisine.

Je roulai la viande salée dans la poudre blanchâtre et fis glisser avec adresse la cruche d’huile dans mes mains pour en asperger un plat, laissant par mégarde quelques filets gras imbiber le plancher sec. Rien de bien grave sans doute, j’espérais alors simplement que Maman ne me tirerai pas les oreilles pour cette maladresse. Mais c’est quand on parle du loup qu’il accoure, et ainsi, ma mère et ma sœur rentrèrent en trombe dans la maison. Elles revenaient d’un petit tour en ville, et Maman posa un pain croustillant sur la table de bois farineuse. Jester courut de derrière ses jupons jusqu’à moi et failli me faire basculer de mon tabouret en me secouant en tous sens pour que je l’écoute.

« Dona’, Dona’, Dona’, Dona’, Donaaa’ !! Me répéta-t-elle à tue-tête.

— Quoi, quoi, quoi, quoi, quoooi ?

— Regarde ce que j’ai trouvĂ© avec Maman en marchant près des quais !

— Oooh… Mais c’est une très jolie Ă©toile de mer, ça ! Tu sais qu’on dit que c’est le puissant Suptop lui-mĂŞme qui les dĂ©tacherait du ciel pour nous les offrir ? Lui contai-je en approchant le plat huilĂ© de la cheminĂ©e.

— Ne lui raconte pas ce genre d’idioties, Donatien, me demanda ma mère.

— Quoi ? Les histoires et les lĂ©gendes doivent bien ĂŞtre transmises quand-mĂŞme, souris-je en tentant d’allumer le bois, humidifiĂ© par je-ne-sais-quoi.

— Elles n’ont plus lieu d’être, contredit mon père. Les Ă©toiles de mer sont des animaux marins, Jester. Rien Ă  voir avec les Ă©toiles des cieux, qui sont chacune un lien Ă©troit liant un ĂŞtre humain aux divins par la foi que l’on leur porte.

— Dans ce cas, puissent les divins m’aider Ă  allumer ce fichu petit bois... »

Et pour une fois dans ma vie, sans doute la seule, les uniques semblèrent m’écouter. Une étincelle jaillit de mes allumettes, tomba sur le bois qui s’embrasa immédiatement d’un puissant feu, presque surnaturel ! Les flammes me jaillirent au visage, me brûlèrent et fondirent toute la partie gauche du crâne. Avec un hurlement, le plat d’huile désormais bouillant m’échappa des mains et le liquide gras s’embrasa au sol, dévorant le plancher, le trouant jusqu’à laisser entrevoir la cave !

Ma mère prit immédiatement Jester dans ses bras et fonça jusqu’à la porte d’entrée pour tenter de fuir notre maison, devenue un véritable four. Pourtant, elle eut beau pousser, frapper, hurler à la porte de bois, celle-ci ne bougea pas d’un pouce, bloquée de l’extérieur par qui ou quoi ! Mon père s’empara de mes épaules pour me conduire jusqu’à la fenêtre, les dents serrées en voyant le visage défiguré, calciné et fondu de son héritage. D’un puissant coup de coude, il s’attaqua au verre des carreaux qui sembla alors absolument incassable. À chaque coup qu’il tenta de lui porter, une onde violette longea notre fenêtre qui s’embua, tant la chaleur de la maison était insoutenable ! De la magie !

Bientôt, les flammes se répandirent partout dans la pièce, détruisant bibliothèques, tables, chaises et poutres de bois, léchant trop vite les murs, les grimpant en fragilisant la structure de notre nid en décomposition. Le bois craqua de toute part dans les murs, au plafond, les poutres de ce dernier se fracassèrent au sol, transperçant le plancher, emplissant notre cave de débris, de braises ardentes ! Mon père entrevit alors la pile de draps imbibés d’alcool, sous le sol. Ses yeux s’écarquillèrent et, ce n’est qu’à ce moment que je le compris… Piégés. Nous avions été piégés dans notre propre demeure !

Le feu ne cessa de corrompre le bois, qui était autant de façons pour lui de se nourrir, de s’amplifier. Une poutre craquante se délogea du plafond au-dessus de ma mère ! Dans les hurlements communs de toute la famille, implorant à pleins poumons noircis l’aide d’un éventuel miracle, Maman jeta Jester à travers la pièce alors que le bois consumé s’effondra sur elle, dans plus de cris de douleur. Je la vis se consumer, hurlant sa torture et son intense souffrance, voyant ses vêtements disparaître en fumée, sa peau se rougir en fondant de sa chair ! Mon visage à moitié consumé fut pris à son tour de cris traumatisés, implorant mon père d’aller aider ma mère agonisante dans les débris ardents. Il me regarda, les larmes aux yeux, Jester entre ses bras… Il nous serra tous deux contre lui, démuni, assiégé, alors que les cris de ma mère ne se firent plus entendre dans les craquements infinis de notre nid.

Notre maison tombait en lambeaux, devenue un véritable brasier décomposé ! Une planche embrasée se détacha de nouveau du plafond et sombra dans la cave où elle vint frapper de plein fouet les draps mouillés. Une colonne de flamme tout bonnement titanesque s’en éleva en répandant une forte odeur de rhum dans la pièce, qui vint se mêler aux miasmes de chairs calcinées et de charbons ardents ! À cette odeur alcoolisée, mon père écarquilla de nouveau ses yeux avec un air de désolation. Il savait pertinemment ce qui était sur le point d’arriver. Il s’agenouilla près de nous, dos au brasier et nous protégea de son corps en pleurant toutes ses larmes, ne cessant de nous dire à quel point il nous aimait.

Enfin, les vapeurs d’alcool s’embrasèrent, éteignant dans le souffle de son explosion nos derniers et vains espoirs de vie, en décomposant tous les murs contre lesquels Jester et moi fûmes plaqués, voyant notre père disparaître dans cette dernière envolée, réduit à l’état de poussière par la toute-puissance des flammes ! Ma sœur et moi fûmes projetés à travers les quais, les débris de notre maison fumant devant nos yeux mouillés et rêvant à un cauchemar.

Je restai au sol, bouche bée, simplement incapable de faire faillir le moindre son de ma gorge, les larmes glissant inlassablement à mes joues, s’écoulant sur les pavés des quais. Puis une pensée s’empara de mon esprit. Jester ! Qu’était-il advenu de Jester ?! Je me relevais à la hâte pour m’enquérir de son état. Partout sur le quai, impossible de la retrouver ! Regardant tout autour de moi, je crus enfin l’apercevoir. Le souffle l’avait projetée plus loin, entres les débris fumants dans l’eau salée. Ce cauchemar, malgré toutes mes espérances, n’était donc pas encore terminé !

Sans aucune hésitation, je plongeai dans l’eau, rosée par les flammes des débris. Le sel me crispa les nerfs, pénétrant ma peau meurtrie, mon visage décomposé, mais je ne faiblis pas et nageai à en perdre haleine jusqu’à ma sœur immobile. Elle ne semblait pas blessée, mais restait inconsciente. Je la tirai jusque sur une plage non loin, usant de mes derniers efforts pour la placer sur le sable, loin de l’eau et des débris. Je la saisis par les épaules, la secouant pour tenter de lui refaire prendre connaissance, de m’assurer de son état.

« Jester ! Jester, réveille-toi, s’il-te-plaît ! Lui répétai-je en gardant l’espoir de sa vitalité.

— …

— Jester ! Allez, rĂ©veille-toi ! RĂ©veille-toi, rĂ©veille-toi ! S’il-te-plaĂ®t… J’ai besoin de toi, petite sĹ“ur.

— …

— J’ai besoin de toi, m’écroulai-je contre elle alors que l’espĂ©rance se faisait de plus en plus rare.

— …

— Jester… »

Immobile, éteinte, elle fut soudainement prise d’un spasme et se mise à tousser encore et encore, ravivant ironique la flamme au fond de mes yeux. Je la pris par le bras pour l’aider à se redresser, la serrai entres les miens pour lui permettre de recracher ce qui entravait sa gorge. Enfin, quelques morceaux de bois noircis se dégagèrent de ses poumons et elle reprit pleinement conscience.

« D-Dona’, peina-t-elle entre deux toussotements. Où est Papa ? »

Mon regard se porta sur le brasier de la rue voisine, autour duquel une épaisse foule s’attroupait déjà pour tenter d’en étouffer les flammes. Je suivis la fumée noirâtre des yeux, montante jusqu’aux cieux qui se teintaient d’un sombre bleu nuit, constellé d’étoiles. Je crois que deux d’entre-elles manquaient cruellement à l’appel, ce soir… Les lèvres tremblantes, embué de larmes, je lui répondis.

« Je suis désolé, Jester. Je crois que Papa est… hum… que Suptop lui a accordé une place près de lui.

— Il n-n’est plus avec nous ? GĂ©mit-elle.

— Non. Il a quittĂ© la citĂ©, petite sĹ“ur. Il a rejoint Papy, Mamie… Maman, tremblai-je Ă  ses mots. Il ne manquera jamais plus de rien, et les uniques lui ont donnĂ© une place Ă  cĂ´tĂ© d’eux.

— Mais… qu’est-ce q-qu’on va d-devenir mainte… s’interrompit-elle pour tousser.

— On vivra tous les deux, ne t’en fais pas. Avec de la chance, l’oncle Jorrin pourra nous hĂ©berger un peu.

— Avec s-son gros chien qui b-bave ?

— Lui-mĂŞme, souris-je pour tenter de la rassurer.

— … Dona’, j’ai f-froid… grelotta-t-elle en se serrant contre moi.

— Repose-toi, Jester, lui conseillai-je en voyant quelques voisins accourir vers nous. Essaie de dormir un peu, je veillerai sur toi. »

Le vieux monsieur Bripan s’approcha de nous et nous couvrit tous deux d’une couverture de laine en nous ramenant vers les quais. Les panaches de fumée s’élevaient encore et toujours vers le ciel, ne cessant de s’assombrir, quittant bientôt son orange de soirée pour ne plus se teindre que de noir charbon.

***

Le feu, les cris, les odeurs, la mort… Ce soir lointain me hante encore, chaque jour qu’Irpra m’offre. J’aurai beau tout faire pour l’oublier, prier tout mon saoul, supplier ce moment de s’effacer à jamais de moi, au fond, je ne suis plus certain de le vouloir. Car j’ai appris une grande leçon, dans l’Enfer que fut ce piège. Ma petite sœur restera à jamais l’unique chose qui comptera à mes yeux.

FIN.














Awoken

pour "jouer avec le feu". Ton texte est très agréable à lire. Je suis rentrée très facilement dedans. Son enfer à lui c'est ce traumatisme, mais au moins il a sa sœur pour alléger ses souffrances. Bravo!


Le 02/11/2021 à 16:24:00



Zyphea

super texte ! Les descriptions sont... Waw ! On s'y croirait ! Encore une nouvelle représentation intéressante de l'enfer, heureusement qu'il aura toujours se soeur et ne se retrouve pas seul. Les mots sont bien placés, bravo !


Le 03/11/2021 à 10:56:00



JilanoAlhuin

Et bien.. quel background pour Jester, et quelle tragédie ! Cette petite famille qui subit un triste destin... L'histoire est bien écrite, et tes descriptions sont bien, et les personnages, même si on les voit brièvement, sont suffisamment décrit pour qu'on puisse bien les imager. Je ne suis cependant pas sûr par certains moments de la ponctuation, plus précisément avec les points d'exclamations (peut-être que ce n'est que moi). Mais sinon, c'est un superbe texte !


Le 04/11/2021 à 00:00:00

















© 2021 • Conditions générales d'utilisationsMentions légalesHaut de page