Mon enfer personnel
(par Lu' Directrice)(Thème : MĂ©lilĂ©mots 4)
Il fait sombre. Je n’ose pas ouvrir les yeux. Un frisson me parcourt tout entière. Je passe une main tremblante sur ma peau nue. L’eau est glaciale. J’ai froid. J’ai peur. Je ne sais plus quoi faire. Un léger courant fait bouger mes cheveux. La sortie de la grotte n’est pas loin, je le sais. Je peux entendre la clameur au-dehors. Mais je suis incapable d’en sortir.
Je sers ma queue contre mon ventre. Les écailles s’impriment dans mon épiderme, dures. Je tremble. Des bulles viennent me chatouiller le flanc. D’une main mal assurée, je tâtonne à côté de moi. Mes doigts rencontre une surface longue est rugueuse. Elle s’échappe. Je ramène mon bras contre moi. L’étoile de mer est curieuse, mais craintive par nature. Elle ne restera pas me tenir compagnie. Je resterai seule. Terriblement seule.
Une longue plainte s’échappe de ma bouche. Mon cœur est serré à m’en faire mal. Je le vois, lui, souriant, riant. Je le vois me regarder de ses yeux clairs, me tendre la main. Je me mords la lèvre. Fort. Je sais qu’il ne le fera plus jamais.
Des larmes perlent à mes yeux, aussitôt emportées par l’océan. Une goutte d’eau salée parmi tant d’autres. Je me recroqueville un peu plus. Les images défilent devant mes yeux, tellement vite que je parviens à peine à les saisir. Il est là , tout le temps là . Il m’obsède. Je pense à lui nuit et jour, incapable de m’en défaire. Je ne sais pas l’oublier. Je n’y arrive pas.
Quoi que je fasse, je sais que je ne le mérite pas. Je ne l’ai jamais mérité. Quand, enfant, on a été biberonné à l’idée que l’on ne vaut rien, on ne peut croire mériter quoi que ce soit à l’âge adulte. Le gouffre dans ma poitrine semble s’ouvrir un peu plus à cette pensée. Et ces images de lui qui ne cessent de m’envahir…
Je pousse un hurlement de désespoir. Je voudrais que cela cesse, je voudrais qu’il disparaisse, je voudrais qu’il n’ait jamais existé. Tous ces souvenirs, qu’est-ce que je suis censée en faire ? Ils m’envahissent, ne me laissent aucun répit. Ils m’épuisent, me hantent. Je déploie des efforts titanesques pour les tenir à distance, tout ça pour quoi ? Pour qu’ils reviennent, toujours plus forts, m’ensevelissent sous le manque de tout ce que je ne retrouverai plus.
Je tente de prendre une profonde inspiration. L’eau s’engouffre dans ma bouche, dépose juste ce qu’il faut d’oxygène dans mes poumons, reflue. Je manque m’étouffer. Le cœur battant à tout rompre, je ferme plus fort les yeux, tente de chasser les images qui me viennent. Je repense aux poèmes que j’ai écrits, dans l’espoir de me vider la tête de sa présence. Il y en a que je connais par cœur. Chaque paragraphe, chaque phrase, chaque mot. Je les souffle du bout des lèvres.
Parfois j’arrive à l’accepter,
Parfois j’ai mal à en crever,
Je change cent fois d’avis,
Étouffe ou laisse libre cours à mes envies,
Parfois c’est oui,
Parfois c’est non,
Je laisse sortir mes sentiments enfouis
Et je hurle ton nom,
Mais j’étouffe mes émotions
En acceptant ta décision.
Je ne sais pas arrĂŞter
Le flux de mes pensées,
Pourtant j’aimerais juste oublier
À quel point je peux t’aimer,
Retrouver un peu de paix
Pour enfin arrĂŞter de pleurer.
Lorsque le dernier mot s’envole, un sanglot m’étrangle. Jamais je n’arriverai à le sortir de ma tête. Sa peau, ses regards, ses mots. Sa voix résonne dans mon esprit. Toutes ces choses qu’il m’a dites, ces choses que j’ai voulu croire de toute mes forces. Ces choses qu’il a oubliées aussitôt après me les avoir dites. Et pourtant, je suis incapable de lui en vouloir, incapable de m’éloigner de lui.
Je jouerai à tous ses jeux, selon ses règles. Je ferai tout ce qu’il me demandera, parce que c’est le seul moyen pour moi de rester auprès de lui. Je serai l’amie, je serai l’amante, je serai l’étrangère, je serai tout ce qu’il voudra.
Au loin, je sens l’eau qui s’agite. Quelqu’un qui s’approche. J’ouvre brusquement les yeux, me redonne une contenance. Inutile s’essuyer mes joues, l’océan a déjà emporté toute trace de mes larmes. Comme un robot, je dessine un sourire sur mes lèvres. Je quitte ma position recroquevillée, passe rapidement mes doigts sur le sol et récupère la première chose qui me tombe sous la main. Un petit objet en bois, long et gravé.
— Mira ? Tu es là  ?
Sa voix manque me faire défaillir. C’est lui qui vient me chercher, évidemment.
— J’arrive !
Ma voix tremble dangereusement. Je donne un coup de nageoire pour venir à sa rencontre. J’ai à peine le temps de freiner pour ne pas lui rentrer dedans. Son torse n’est qu’à quelques centimètres de ma poitrine, son visage tout proche du mien. Ses yeux bleus sont plongés dans les miens, un léger sourire flotte sur ses lèvres.
— Qu’est-ce que tu faisais ici ?
Mon cœur tambourine, il me fait souffrir le martyre. Je lui tends le petit totem qu’il prend dans sa main en s’éloignant de moi pour le regarder. Je ne peux m’empêcher d’être déçue. J’aime tellement cette proximité, cette ambiguïté. Cet espoir idiot.
Nos doigts se sont frôlés, il n’en faut pas plus pour que mon esprit s’emballe. Les images ne cessent de se superposer devant mes yeux. Je voudrais le toucher, qu’il me regarde comme avant. Il se tourne de nouveau vers moi, et je crois voir le fantôme de notre relation dans son regard. Je ne sais toujours pas quoi croire. Espoir et désespoir se mêlent en moi.
Il est mon enfer personnel.