Dans le cimetière
(par Lu' Directrice)(Thème : Halloween)
Georges regardait fixement ses mains entre ses jambes. Assis sur une tombe, il n’avait aucune idée de la manière dont il était arrivé là . Il était juste… là . Présent. À cet endroit précis. Seul.
Il leva ses orbites vides vers le ciel gris. S’il avait eu des cheveux, le vent les aurait charriés. S’il avait eu de la peau, il aurait frissonné de froid. Il enfonça les os de ses orteils dans l’humus. Il ne ressentait absolument rien. Il se baissa et ramassa une feuille morte. La fit tourner entre ses doigts, la regarda fixement. Comment réussissait-il à voir quoique ce soit sans globes oculaires ?
Un bruit sur sa gauche le fit vivement se tourner. Sa prise s’échappa de sa main et partit danser dans le vent. Une fillette, de grandes couettes blondes, se cachait derrière un arbre pour le regarder. Ses grands yeux bleus ne cessaient d’aller et venir sur son squelette. Georges se contenta de lui rendre son regard. Il la trouvait très jolie. Son petit nez en trompette et quelques rares taches de rousseur lui donnait un air mutin.
— Qu’est-ce que tu fais ici toute seule ?
Surprise, la petite fille se cacha un peu plus. Elle ne devait pas avoir plus de cinq ans. Georges pencha la tête et regarda autour d’eux. Il n’y avait personne. Que pouvait bien faire une enfant dans un endroit pareil ?
— Et toi, pourquoi tu es tout seul ?
Les orbites de Georges revinrent sur la fillette.
— Je ne sais pas.
Elle fronça le nez.
— Ma maman dit qu’on doit pas rester tout seul.
D’un pas hésitant, elle se rapprocha de lui. Georges se déplaça de quelques centimètres sur la droite et tapota la pierre de ses doigts squelettiques. La fillette suivit sa main du regard puis prit place à côté de lui. Elle lissa les plis de sa jupette et commença à balancer ses jambes dans le vide. Georges se sentait hypnotisé par ce petit bout de fille.
— Maman elle dit aussi que c’est bien de se faire des amis. Elle voudrait que je m’en fasse plus. Elle n’aime pas me savoir toute seule.
Le regard perdu dans les arbres alentours, elle semblait réciter ses leçons.
— Elle dit aussi que pour dire que c’est un ami, il faut connaître son prénom. Je connais pas toujours le prénom de mes amis, et Maman elle dit que c’est pas bien.
— Georges, s’empressa de répondre le squelette.
— Ophélie.
Ophélie suivait les feuilles du regard. Le camaïeu de rouge et de jaune ressortait particulièrement dans la pénombre. Le vent se faisait de plus en plus fort, s’engouffrant entre les sépultures, faisant voler ses mèches autours de son visage. Un long silence suivit sa déclaration.
Inquiet, Georges regarda de nouveau autour d’eux. Il était tard, la fillette n’aurait pas dû se retrouver dans un cimetière toute seule. Il n’était pas exactement une compagnie digne de ce nom.
— Tu ne devrais pas rentrer chez toi ?
Elle haussa les épaules sans répondre. Puis, après un long silence.
— Y a jamais personne ici d’habitude.
S’il avait eu des paupières, Georges les aurait clignées plusieurs fois.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Elle tourna ses grands yeux bleus vers son nouvel ami.
— Je suis toujours toute seule ici.
Sa voix tremblait. Ses yeux devinrent humides, accélérant un cœur fantôme qui ne pouvait pas se trouver dans la cage thoracique du squelette. Il tendit les doigts vers elle.
— Ne pleure…
Ses os passèrent au travers de sa joue. Interloqué, il regarda les gouttes d’eau salées descendre le long de ses joues, passer à travers lui, et s’évanouir dans le néant.
— … pas.
Le petit fantĂ´me renifla en sanglotant. Georges tourna la tĂŞte vers la pierre tombale.
« À Georges et Ophélie,
Mon époux et ma fille bien-aimée, partis bien trop tôt.
Puissiez-vous vous retrouver dans l’au-delà .
Sonia »