L'Académie de Lu





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Le vol


Comme je me manque

(par Lu' Directrice)
(Thème : Le vol)
(dernière modification : 28/04/2022)



ELLE, s’avançant sur l’estrade, regardant tour à tour chacun des membres de son public, puis d’une voix douce qui montera petit à petit


Ă”, comme je me manque.


Non que je sois narcissique au point de m’aimer d’un amour romantique, ne vous y trompez pas. Il ne s’agit pas ici de l’amour que l’on éprouve pour une autre personne. Il s’agit d’un amour autrement plus profond, un amour qui vous secoue de l’intérieur, un amour qui vous suit toute votre vie. L’amour de soi.


Ă”, comme je me manque.


OĂą sont allĂ©es les belles couleurs qui me composaient il y a maintenant quelques annĂ©es ? OĂą sont allĂ©es ces couleurs qui m’accompagnaient dans chacun des moments de ma vie ? Les avez-vous vues, ces couleurs qui explosent comme autant de feux d’artifices ? Les avez-vous vues, ces couleurs qui chatoient mĂŞme dans l’obscuritĂ© ?


Ă”, comme je me manque.


Connaissez-vous ce rouge passion, avec ses nuances aussi nombreuses qu’il y a d’amours sur cette Terre ? Connaissez-vous ce rouge passion qui vous consume tout entier, rĂ©duisant la moindre de vos pensĂ©es Ă  cet ĂŞtre que vous dĂ©sirez si ardemment ? Oui, ce rouge qui prend toute la place dans votre vie lorsqu’il s’allume, ce rouge qui vous convainc que cette personne est la seule et l’unique, celle qui doit partager votre vie, pour toujours ou l’espace d’un instant. Ce rouge qui vous enflamme jusque dans les moindres recoins de votre ĂŞtre. Il y a bien longtemps que je ne l’ai pas vu.


Ă”, comme je me manque.


Lorsque le rouge s’allume, le vert n’est jamais très loin. On l’apprécie peu, mais il a l’art de vous montrer les choses auxquelles vous tenez. Ce vert jalousie qui aide à connaître ses envies, il guide vers ce que l’on aimerait pour l’avenir, il est un conseiller trop souvent négligé. On tente de le chasser à peine arrivé, tant il est mal vu et mal venu, on ne souhaite pas ressentir cette envie, on ne souhaite pas se rendre compte de ce que l’on n’a pas. La pilule est amère lorsqu’il s’agit de le faire passer, mais il faut bien l’écouter avant de le laisser s’en aller. Il y a bien longtemps que je ne l’ai pas vu.


Ă”, comme je me manque.


Elle est une version moins reluisante de la passion, et pourtant, elle permet de dĂ©placer des montagnes lorsque cela est nĂ©cessaire, tant elle donne de force. Le violet de la colère est une couleur puissante qu’il faut savoir manier avec prudence : elle peut ĂŞtre aussi dĂ©sastreuse que salvatrice, vous sortir de ces moments qui vous pourrissent de l’intĂ©rieur ou vous y plonger. Elle est un Ă©clair au milieu des autres, une poussĂ©e aussi fugace qu’impressionnante. Il y a bien longtemps que je ne l’ai pas vue.


Ă”, comme je me manque.


Il n’y a rien de plus éclatant que le jaune de la joie, celui qui vous fait vibrer de l’intérieur et exploser de rire. Il est la couleur des jours heureux, de ces moments entre amis, du sourire d’un enfant, d’une brise dans les cheveux ou encore d’une réussite que l’on célèbre. Ce jaune si communicatif, ce jaune que l’on aimerait ne jamais quitter, ce jaune qui rend les choses si lumineuses. Il y a bien longtemps que je ne l’ai pas vu.


Ă”, comme je me manque.


Vous souvenez-vous de ce bleu, celui qui vous fait frissonner d’angoisse, celui qui vous fait vous rendre compte de l’importance de la place de chaque chose ? Ce bleu de peur qui vous empĂŞche de dormir la nuit, qui vous paralyse lorsque vous devez faire face Ă  un choix, ce bleu qui ternit tout, tout en donnant cet Ă©clat si particulier ? Compère du vert jalousie, il vous fait prendre conscience de ce que vous voulez dans votre vie. Il vous accompagne dans les manèges Ă  sensations, dans vos plus grandes dĂ©cisions, ne s’en allant jamais vraiment. Il y a longtemps que je ne l’ai pas vu.


Ă”, comme je me manque.


Il en reste une que personne ne veut voir. Cette couleur qui assombrit toutes les autres, qui les engloutit sans état d’âme pour n’en laisser que des miettes, cette couleur qui vous fait plonger dans un abîme de solitude et qui vous submerge. Le noir tristesse, souvent considéré comme un ennemi, est pourtant la couleur qui permet à toutes les autres de briller d’autant plus fort lorsqu’elles prennent leur place. Ce noir qui vous fait pleurer, ce noir qui vous fait mal, c’est aussi le contraste nécessaire aux autres. Celui-ci, je le connais bien.


Ă”, comme je me manque.


Il y a bien d’autres couleurs que je ne saurais dĂ©crire ici, tellement d’autres nuances qu’il faut vivre pour apprĂ©cier pleinement la vie. Je suis une explosion de couleurs. Du moins, je l’étais. OĂą sont donc passĂ©es toutes ces lumières, ces vibrations qui me maintenaient en vie et me faisaient apprĂ©cier mon existence ?


La vĂ©ritĂ©, mes chers amis, c’est qu’on me les a volĂ©es. Oh, je vous vois venir, et je vous arrĂŞte tout de suite : ne vous en veuillez pas. Sachez que chaque petit bout que vous avez pu me voler, vous n’avez pu le faire que parce que je le voulais bien. C’était un vol consenti, en quelque sorte. Il n’y a rien que vous n’auriez pu faire pour changer cela. Je suis la victime consentante et le bourreau. La seule personne Ă  blâmer pour ce vol, c’est moi-mĂŞme, moi et moi seule. J’ai laissĂ© s’éparpiller ces petits bouts de moi, je ne me suis pas retournĂ©e pour les chercher, je n’ai mĂŞme pas fait attention Ă  ce que je semais rĂ©ellement. Lorsque l’on se plie aux autres, lorsque l’on s’adapte si fort pour se faire accepter, lorsque l’on essaie d’être quelqu’un d’autre que soi, on finit forcĂ©ment par se faire voler des petits bouts de nous.


Ce soir, mes amis, je vous laisse les couleurs que je vous ai données. Ce soir, je vous demande d’en prendre soin, de les mélanger avec les vôtres, de les faire vôtres. Ce soir et tous les jours qui suivront, je m’en fabriquerai de nombreuses autres, j’apprendrai à les garder précieusement, mais je continuerai à en partager. Au moins un peu.


Ô, comme je me suis manquée, ô, comme j’aime à me retrouver enfin.


(Le sourire aux lèvres, elle s’éloigne sans un bruit, laissant l’assemblée affreusement silencieuse.)




























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