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Downforyears![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Une simple formalité(par Downforyears)
— Vous faites erreur ! Je ne devrais pas ĂŞtre lĂ Â ! me rĂ©criminĂ©-je en courant sur un tapis de course Ă cĂ´tĂ© d’un ancien cinquantenaire. AĂŻe ! C’est vraiment nĂ©cessaire ces piqures de guĂŞpe ? — Mon cher, si vous ĂŞtes lĂ , c’est que vous ĂŞtes un indolent. Par lâchetĂ©, vous n’avez jamais pris cause et fait. C’est ça d’être biberonnĂ© Ă la peur d’agir ... Bienvenue au Vestibule de l’Enfer ! Au fait, je suis Ponce Pilate. — Il n’y a pas moyen de sortir ? AĂŹE ! SaletĂ©s de guĂŞpes. Je suis sĂ»r que c’est une erreur de parcours ! — Il y aurait bien un moyen, mais… Oh, attendez. Au vu de vos autres pĂ©chĂ©s, il y aurait bel et bien un moyen.
Ponce Pilate me tend un badge, que je prends fébrilement en tentant d’ignorer les piqures de guêpes sur les talons. Je ne sais plus depuis combien de temps je cours sur ce tapis roulant. J’ai l’impression de servir de dynamo à moindre coût.
— Allez-voir Mezeliel, c’est un dĂ©mon qui vous aiguillera sur le bon chemin, je suppose. Huitième cercle, huitième Bolge. — Huit-huit ? — Huit-huit, vous ne pouvez pas le manquer. Et je lui envoie un mail pour l’avertir de votre arrivĂ©e.
Les larmes aux yeux et les jambes nécrosées par le venin des insectes, je remercie Ponce Pilate. Alors que je descends du tapis roulant, je me rends compte que les guêpes ont cessé de me piquer les talons, même si ceux-ci continuent de me lancer. Comment ai-je pu arriver ici ?
J’aurais pu comprendre si j’avais atterri dans les Limbes. Après tout, l’athéisme a guidé ma vie. Mais le Vestibule de l’Enfer… Perdu dans mon incompréhension, je me dirige à travers les couloirs jusqu’à un ascenseur doré, et tout en montrant mon badge à un groom en livrée pâle, lui demande de m’emmener au huitième cercle.
— Vous allez voir qui, si ce n’est pas indiscret ? me demanda le dĂ©mon dont la bouche ressemble Ă celle d’une Ă©toile de mer. — On m’a dit d’aller voir un certain Lezemiel… — Mezeliel ? — C’est ça. — Bonne chance, mĂŞme si cela n’existe pas ici.
Alors que je sors de l’ascenseur, l’immensité du huitième cercle me frappe. Dix cercles aussi grands que la ville de Paris, les Bolges, forment des terrasses circulaires et concentriques, descendant vers le neuvième cercle. Chaque fosse est une terrasse séparée de la suivante par un mur d’enceinte garni de titanesques pointes de roche, de bois ou de métal. Les cris d’une infinité de damnés heurtent ce qu’il reste de mes tympans, et je sens le sang couler sur les pavillons de mes oreilles. Les grincements de milliards de dents reprennent les arpèges des cordes vocales qui se déchirent et se reconstituent, les sanglots s’accordent aux râles d’agonie, les déchirures des âmes se ressentent dans l’air ambiant.
La chaleur des lieux est suffocante, brûlante, et craquèle mon esprit comme la peau sur un bucher. Les odeurs de putréfaction, d’excréments, de sang et de chair brûlée composent un bouquet qui m’amène le gout de la bile dans la gorge et sur mon palais. Quel que soit l’endroit où se pose mon regard, je ne peux percevoir que tortures, souffrance et châtiments. La cruauté des lieux est inimaginable.
Dans chacune des dix fosses, des millions de personnes se font torturer selon leur crime commis avant leur mort. Les séducteurs, les casanovas, les Dom Juan courent en tous sens, lacérés par les knouts hérissés de pointes de verre et de métal rouillé de démons tous plus hideux les uns que les autres. J’y reconnais de nombreuses célébrités, des actrices à la filmographie sulfureuse, ainsi que plusieurs entremetteurs célèbres, jugés de leur vivants et condamnés après leur décès.
Les adulateurs, les flatteurs, les agents de stars et de sportifs pataugent dans les excréments de la deuxième Bolge, leur corps engloutis jusqu’à la taille dans cet immonde boue à la couleur et à l’odeur insupportables.
Les hommes de religion connus pour avoir vendu de prétendues places pour le paradis, les anciens gourous de sectes et les agents immobiliers sont plongés dans des trous de la troisième Bolge, la tête vers le bas, comme autant de totems ridicules, leurs jambes se convulsant au rythme de leur étouffement sans fin.
Les devins, les voyants et autres starlettes de la météo errent dans la quatrième Bolge, leur visage pleurant en regardant leur dos. Leurs mains tentent de couvrir leurs yeux afin qu’ils ne puissent plus voir cet horrible ballet chaotique, mais se retirent aussitôt, brûlés par les charbons ardents que sont leurs pupilles. Fin de partie pour eux je suppose.
Dans la cinquième Bolge, les hommes d’Etat qui n’ont accepté une charge et des responsabilités que par attrait de l’argent ou de la gloire sont enfoncés dans une poix bouillante par de nombreux démons à coup de fourche ensanglantées. Eux qui s’enfonçaient dans l’inaction s’enfoncent maintenant dans ce liquide corrosif et brûlant, qui me force à couvrir mes narines.
Les hypocrites errent dans la sixième, portant de lourdes masses de plomb qui font craquer sinistrement leurs vertèbres et leurs omoplates, alors que les voleurs dans la septième fuient des nuées d’insectes et de reptiles venimeux. Les cobras, tarentules, essaims de guêpes et mygales dont la course avec des serpents-corail, des crotales et des mambas. En mon for intérieur, je ne peux que m’interroger sur le réel courage d’un braqueur qui doit fuir devant un petit lézard, jusqu’à ce que le reptile le morde, et le transforme en poussière.
Après ce qui me parait être une éternité de marche entre chacun de ces spectacles d’horreur, j’arrive enfin à la huitième Bolge. Chaque pêcheur y est enveloppé d’une flamme intense. Les banquiers malhonnêtes qui ont conseillé de leur vivant de mauvais placements, les instigateurs de la crise des subprimes, ceux qui ont poussé à la trahison, ou à la perfidie, tout ceux-là flambent comme ils ont flambé l’argent et les possessions qui n’étaient pas à eux. Une odeur de porc grillé envahit mes narines, et malgré les cris de douleur des damnés, j’entends un grincement sardonique.
A côté de moi, un homme en costume-cravate vient d’apparaitre, une valise à la main. Il a… une allure de banquier malhonnête.
— DamnĂ© numĂ©ro 8654-AT-87, je suis Mezeliel, se prĂ©sente-t-il après avoir lu mon matricule. D’après ce cher Ponce, vous souhaitiez une entrevue ?
J’hésite quelques instants. Sa mâchoire carrée, son sourire franc et ses longs cheveux noirs me font perdre le fil.
— Je crois que je ne devrais pas ĂŞtre en Enfer, dis-je enfin après avoir retrouvĂ© mon courage. — Si le patron vous a fait venir ici, c’est que vous le mĂ©ritez. Procrastination et paresse, luxure et adultère, orgueil et flatterie, gourmandise, je vois mĂŞme notĂ©e boulimie, envie et jalousie, colère et envies de meurtre, il ne vous manque que l’avarice. Mais vous ĂŞtes un sacrĂ© cumulard. Je confirme, vous ĂŞtes bien Ă votre place. — Mais Ponce a dit qu’il y avait peut-ĂŞtre un autre moyen. — Oui, tout simplement parce que vous le faisiez suer depuis dĂ©jĂ quatre Ă©ons, et qu’il en avait marre de vos jĂ©rĂ©miades. — Je suis lĂ depuis si longtemps ? — Oh oui ! Bon, vous m’êtes particulièrement sympathique, donc je vais vous donner un moyen d’échapper Ă votre condition de mortel. Comme stipulĂ© au paragraphe 666-5BT-60846, alinĂ©a 4, sous alinĂ©a 7, sous-sous-alinĂ©a 8B, vous pouvez cesser d’être un damnĂ©. Pour cela, il vous faudra remplir une simple formalitĂ©.
Je souris, et oubliant l’inscription à la porte, reprends espoir. Si une simple formalité peut me permettre d’échapper à la damnation éternelle…
— Il y a un formulaire, qu’il faut me ramener complĂ©tĂ© et signĂ©, conclut le dĂ©mon Mezeliel. Le formulaire A38.
Sans savoir pourquoi, le numéro de ce formulaire me fait crier. Pendant quelques secondes, mon chant rejoint l’orchestre de l’Enfer.
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