L'Académie de Lu





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Mon très cher

(par Downforyears)
(Thème : Saint-Valentin)



Qu’étais-je vraiment lorsque nous nous vîmes la première fois ? Je vivais une vie de poupée aux ordres de son père, qui ne me destinait qu’à combler le regard de nombreux prétendants. Des dizaines d’hommes qui convoitaient bien plus son entreprise que moi-même, qui ne voyaient en moi qu’un ventre destiné à produire des héritiers comme les chaines de production des usines accouchaient de machines. Je les détestais, ces regards, je les haïssais du plus profond de mon être. Et pourtant… Comment en vouloir à ces hommes de bonnes familles, à ces adonis à la moustache parfaite, à ces bourgeois endimanchés, alors que je leur imposais un égoïsme que je pensais futile ? Un égoïsme que je devais réfréner pour mon propre bien, selon mon père.


La vie ne m’était plus qu’une éternelle pièce de théâtre, une solitude teintée de douleur à laquelle je ne pouvais échapper par manque de courage. Mes nuits n’étaient plus qu’un désert sans fin, habité par le vide et le néant de ma vie sans envie, maquillée par les règles que m’imposait une bourgeoisie calibrée par les hommes. Chaque coucher n’était que le début d’un supplice seulement égalé par celui qui m’était infligé par le lever.


Après deux ans passés à jouer cette mascarade faite pour écraser mes sentiments, je sentais mon cœur lâcher et mon esprit vaciller. Je désirais que mon cœur cesse de battre, que cette machinerie en vienne à dérailler d’elle-même, plutôt que de supporter encore et toujours ces hommes qui ne me voyaient plus que comme une marchandise de luxe. J’étais devenue, au fil des mois, une femme désirée, que l’on cherchait à accaparer mais que l’on ne voulait pas comprendre.


Ce fut ce jour où j’abandonnais mon âme, où j’allais enfin capituler devant le mariage, où je deviendrais enfin une machine à faire des enfants, que je fis votre connaissance.


Je me rappelle encore cette chaleur sourde, et ce banc en bois où je vous vis vous effondrer, votre visage caché par vos mains recousues, pleurant sans vous soucier des curieux ou de la bienséance. Je me rappelle avoir ressenti votre peine, votre douleur, bien plus vraie que tous les mots que j’avais connu au fil des derniers mois. Je me rappelle ma décision de faire mes derniers pas libres vers vos sanglots si douloureux à écouter, car dans cet océan de fausseté, la vérité de votre tristesse m’était un espoir. Je me rappelle avoir senti au plus profond de moi la vibration de votre âme alors que je touchais votre épaule, et que je vous laissai ce mouchoir.


Je me rappelle votre grommellement, que je savais déjà cacher les mots les plus beaux que l’on pourrait m’offrir. Je me rappelle vos yeux, fuyant un dégout de ma part que je savais ne pas exister. Je me rappelle ces cicatrices bourgeonnant d’un impact affreux, et vos joues labourées par la pire des destructions infligées par l’Homme. Celle du corps et de l’âme. Et alors que je vous donnais ce que je pensais être mon dernier sourire, je me mis à vous aimer.


Je me rappelle vous avoir fait promettre une journée de plus, car vous imaginer quitter ce monde m’était insupportable. Je me rappelle m’être promis de rester libre une journée de plus, car je souhaitais vous revoir. Cette promesse fut pour moi la pire de celles que je me fis, car je ne savais pas comment me battre pour moi-même.


Je me rappelle le soir qui suivit. Terrible. Douloureux. Et pourtant, peu à peu, le sifflement des imprécations de mon père et le tonnerre de sa colère me parurent bien moins assourdissant. La peur qu’il m’inspirait s’éloignait à mesure que je pensais à votre présence. Et mes nuits ne furent plus jamais ce néant qui me déchirait le cœur.


Depuis ce jour, je n’eus de cesse de me battre pour vous voir. Si votre compagnie m’apportait le courage que je n’avais jamais connu, c’était bien votre esprit, si beau, qui me libérait peu à peu de mes chaines. Vous m’encouragiez et me souteniez, et la frêle demoiselle que j’étais devenait peu à peu une femme forte et pleine de convictions. Moi, qui tenait plus de la poupée que de la femme, je me transformais en cette dame se dressant face aux mille tempêtes de mon père pour pouvoir être avec vous un jour de plus. Vous deveniez le compagnon de mes jours et de mes songes. Les heures que vous me donniez, les mots que vous confiiez, firent alors fuir à jamais les peurs et les craintes qui furent autrefois mon quotidien.


Ce jour où nous nous vîmes la première fois, je n’avais plus aucune raison de ne pas abandonner. Mais par votre présence et votre confiance, vous me donniez une nouvelle raison de me battre. Vous me donniez l’espoir et les forces pour que je puisse finir cette rupture que j’avais entamé, avec les règles stupides de mon père.


Je ne veux plus jamais entendre ou lire ‘‘Hélas’’ de vous.


Le seul devoir qui m’incombait était de me battre pour nous, et je l’ai fait. Les ennuis que la vie nous apportera, nous les affronterons ensemble. Je me moque du déshonneur, puisqu’il n’y en aura jamais à vous aimer. Lorsque vous écrivez ne vouloir que ‘‘mon bonheur’’, je lis que vous craignez pour moi le malheur. Cela n’arrivera pas. Pas avec vous, car je sais votre amour pour moi, et je me suis battue pour lui.


Mon cœur n’aura de place que pour vous, et mon père devra s’y résigner. Je crois bien que c’est déjà le cas. Car lorsqu’il demanda à vous rencontrer, je vis pour la première fois de ma vie dans son regard de l’amour. Le même qui naquit en moi ce jour d’août 1921.


Je vous aime.






























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