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Silwek![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Transfert inattendu(par Silwek)J’enfilais mon legging de sport néon, mon débardeur rose flashy et mes baskets assorties. — Voilà , j’ai tout ! Après un dernier verre d’eau, je sortis de chez moi en tâtant mon unique poche. — Merde. J’ai fait demi-tour et retourné Pourquoi je m’inflige ça ? pensais-je après seulement dix minutes de course en forêt. Mon souffle ne suivait plus et je sentais le point de côté préparer son entrée. Je me résignais à passer en marche rapide, aidée par le rythme rapide dans mes oreilles. Je replaçais mon bandeau qui avait glissé et fit tomber un écouteur dans le tapis feuillu sous les arbres. — Merde, jurais-je à nouveau. Pourquoi ils sont si petits ces trucs ? En fouillant le sous-bois, je tombais sur une belle plume aux couleurs vives tout près de l’objet de ma recherche. Je la glissai dans ma poche et réinsérai l’écouteur dans mon oreille avec précaution. Au bout d’un kilomètre, je dus contourner une large blanche bloquant le chemin et sauter par-dessus un étroit filet d’eau coulant vers le lac en contrebas. Quand mon pied toucha le sol, un craquement sourd me surprit. Craignant d’avoir posé le pied au mauvais endroit, je bondis de côté et tombais. Mais au lieu de m’affaler sur l’humus moite, j’eus l’impression de flotter dans les airs dans une lumière aveuglante. Mon pouls s’accéléra sous le coup de la panique et ma gorge était si serrée qu’aucun cri n’en sortit. Et je tombais toujours. Ou bien je montais. Impossible à dire. À mesure que les minutes s’écoulaient. Ma tétanie s’estompait et ma vue s’adaptait à l’intense lumière. Je parvenais à distinguer les couleurs mouvantes qui n’aidaient en rien à me repérer, mais qui étaient si belles et hypnotiques que cette interminable chute en devenait presque agréable. L’atterrissage le fit beaucoup moins.
Je m’affalai sans grâce, mangeant une pleine poignée de sable. Mes autres sens furent pris d’assaut à leur tour. Une affreuse odeur de soufre me saisit les narines et la chaleur étouffante me fit immédiatement suffoquer. Mes pauvres poumons étaient à l’agonie. Puis, quand ma vue distingua enfin les alentours, c’était pour se retrouver confronter à un désert immense surplombé par un ciel vert sans nuage. Je me redressais péniblement, observant autour de moi pour comprendre ce qui venait de se produire. En vain. Des idées me venaient à l’esprit, toutes aussi absurdes les unes que les autres. J’étais complètement perdue et j’avais de plus en plus chaud. Les rares brises me lacéraient les visages et collaient un peu plus de sable sur ma peau moite. Et j’avais soif, terriblement soif. Je choisis une dune au hasard et débutai ma pénible marche en direction de celle-ci. Rapidement, mes jambes déjà fatiguées peinaient à se soulever. Mais je continuais à progresser, dirigeant mes pensées vers mon étrange chute. Il y avait trop de détails familiers, mais je ne pouvais pas accepter ce que cela signifiait. C’était tout bonnement impossible.
— Halte ! Je crus d’abord rêver cette voix. À la seconde interpellation, je m’arrêtai et cherchai à travers ma vision floue celui qui l’avait prononcée. C’était une haute silhouette d’ocre et de brun. Derrière lui, une masse rocheuse se distinguait au loin. Il s’avança, la main à la ceinture. — Qui êtes-vous et que venez-vous faire ici ? demanda-t-il d’un accent claquant. Il était suffisamment près pour que je distingue l’épée contre sa cuisse. J’ouvris la bouche, mais aucun mot n’en sortit. Je ne pouvais détourner le regard de la main posée sur la garde de l’arme, je l’imaginais déjà la tirer pour foncer sur moi. C’en était trop. Je paniquai. Mon cœur frappa si fort qu’il résonna dans mon crâne. Je me sentis alors vaciller, puis le néant m’engloutit avant même que je ne touche le sol.
J’ouvris les yeux sur une épaisse toile brune. Aussitôt, je me redressai pour réaliser que mes poignets et mes chevilles étaient entravés. — Ah ! grogna une voix féminine. Elle appartenait à une femme aux allures masculines avec ses larges épaules musclées, ses mains calleuses et son air sévère. Quand elle se leva de son tabouret, sa tête frôlait la toile tendue. Elle souleva un pan de cette dernière pour s’adresser à quelqu’un à l’extérieur. — Va prévenir que l’intruse est consciente. Je la fixais. Elle était effrayante, mais aussi familière. La soif et la chaleur, quoique moins étouffante qu’auparavant, confirmaient que ce que je voyais était réel. Quand ils entrèrent, mes derniers doutes s’envolèrent. — Sérieusement ?! marmonnais-je. Le commandant Négar entra, suivi par Talik dans sa tenue noire et or, mais aussi par Dent de Tigre qui claudiquait sur sa jambe droite. Et c’était bien Sameera qui m’avait surveillé jusqu’ici. Sans pouvoir l’expliquer, je me trouvais dans l’Oasis sur la planète Télèk, un monde tout droit sorti de mon imagination et à présent totalement vivant. — Sameera, va chercher un siège pour le lieutenant, ordonna Négar avant de se tourner vers moi. J’espère ne pas perdre mon temps avec toi. Parle. Que fais-tu ici ? Négar s’installa sur l’unique tabouret laissé par Sameera, Talik se glissa immédiatement dans son dos. Le lieutenant Dent de Tigre se planta devant l’entrée, cachant sa douleur avec un masque froid et un port raide. Je ne pouvais m’empêcher de les détailler. Des milliers de fois, je les avais imaginés, mais les voir en chair et en os était une expérience incroyable. Négar s’impatienta. Il soupira bruyamment et se pencha en avant, les mains jointes. J’étais dans le repère secret des foudres noires ! Je réalisais enfin ce que cela signifiait véritablement. — Je… commençais-je avant de racler ma gorge sèche. Je me suis perdue. J’étais calme en apparence, mais mon stress était tel que tous mes muscles s’étaient figés. — Oh ? Tiens, la pauvre chose c’est perdu ? dit Négar avec sarcasme en se tournant vers Dent de Tigre. Entends-tu ça, mon ami ? Que dirais-tu de lui offrir le pain et l’eau ? — Je vous assure que c’est la vérité. Depuis que je suis tombé dans ce désert je me pose la même question que vous. Aidez-moi à rentrer chez moi et vous pourrez oublier jusqu’à mon existence. — Ou je m’exécute sur le champ et je laisse les chacals nettoyer tes os. Ça revient au même pour moi. Je le savais parfaitement sérieux malgré son sourire dérangeant. Je devais penser et vite. Ce qui n’était pas mon fort. Je me tournais vers Talik. Elle avait senti mon arrivée. Si tout était conforme à mon récit, elle devait avoir senti le portail s’ouvrir. Mais si Dent de Tigre était là , alors… — On dit que les tribus des steppes accueillent parfois des voyageurs à l’apparence étrange et au langage incompréhensible. Après les avoir nourris et abreuvés, vous les aidez à retourner chez eux. Est-ce vrai ? Dent de Tigre qui semblait froid et distant, me regarda avec une pointe de surprise. — Vous n’êtes pas censé le savoir, dit-il. Négar pouffa en se redressant sur son siège. Il n’aimait pas être ignoré et il faisait le plus de bruit possible en changeant de position. — Tu sous-entends être l’un de ces voyageurs, femme ? — Je vous l’ai dit. Aidez-moi juste à rentrer chez moi. Je ne vous causerais pas plus d’ennui. — Je ne suis pas chaman, annonça finalement Dent de Tigre. Je n’ai jamais appris ce que vous attendez de moi. — Je sais comment combler vos lacunes. J’avais piqué la curiosité de Dent de Tigre et Négar l’avait remarqué. Ce dernier se leva vivement, le visage crispé. Talik le suivit comme son ombre. — Dans ma tente, dit le commandant à son lieutenant avant de partir sans attendre de réponse. Dent de Tigre me regarda une dernière fois, je décelai presque un sourire au coin de ses lèvres. Après une brève agitation autour de la tente, tout devint calme et je pus enfin respirer normalement. Mes muscles étaient douloureux et mes doigts tremblaient.
Je voulais rentrer chez moi. Mais j’avais aussi une envie de parcourir ce monde qui peuplait mon esprit depuis si longtemps. Tout était là où je l’avais imaginé et même plus, ces habitants se trouvaient à l’endroit attendu et se comportaient de la même manière. Je voulais être une petite souris pour voir leurs aventures se dérouler. Et si je restais ? pensais-je. Et si je changeais l’histoire ? Je toussais, irritant un peu plus ma gorge desséchée par la soif. Mes vêtements collaient à ma peau et j’avais du sable partout. Je rêvais d’une bonne douche et d’une agréable boisson fraîche. Je gémissais dans mon coin quand un jeune homme pénétra dans la tente. Il me fallut quelques instants pour le reconnaître. — Sarosh ? laissais-je échapper. Je relevais vainement mes mains liées devant ma bouche, priant pour qu’il ne m’ait pas entendu. — C’est pour vous, dit-il en posant devant moi un plateau avec une tasse remplie d’un liquide chaud et une sorte de morceau de pain. Le jeune homme recula d’un pas et me toisa tandis que je savourais mon maigre repas. Je n’avais jamais eu une image bien nette de son apparence, je l’avais reconnu uniquement au livre qui dépassait de sa sacoche. Un épais manuel militaire que le commandant lui avait demandé d’étudier quand il a fait de lui son successeur à la tête de la compagnie. Peu avant que ça dégénère, réalisais-je. Sarosh me regardait encore, je tournais la tête, mal à l’aise. Je savais qu’il essayait d’imiter Négar, mais cela était bien plus gênant quand je pensais à la tenue que je portais. Dans les standards de Télèk, j’étais choquante en plus d’être bizarre. — Quand pourrais-je parler au lieutenant Dent de Tigre ? demandais-je sans quitter le sol des yeux. — Il ne devrait plus tarder. Ne tentez rien qui pourrait vous nuire, même si le commandant Négar ne l’accompagne pas, je n’hésiterais pas à sévir. Son ton était ferme, mais il n’avait pas l’aplomb de son premier maître. Et c’était une bonne chose. — Je sais que vous prendrez les décisions qu’il faut. Avant qu’il n’ait eu le temps d’y répondre, Dent de Tigre entrait. Il s’accroupit devant en grimaçant et me détacha sans un mot. Je lui souris en réponse. — Lieutenant, vous êtes sûr ? s’inquiéta Sarosh. — Elle n’est pas mage et n’a pas l’allure d’une guerrière. Qu’avons-nous à craindre ? Je retins une remarque vexée et conservais tout de même mon sourire. — Rien du tout, admis-je. Je n’ai pas demandé à être là . Dent de Tigre recula d’un pas et s’assit à même le tapis usé qui faisait office de sol. Il allongea sa jambe gauche avec précaution puis me regarda droit dans les yeux. — Je vous écoute, étrangère. Je pris une grande inspiration, hésitant sur la façon de débuter mon explication. Et ce que je pouvais dévoilant sans paraître trop informée. En n’en dévoile pas trop sur des maîtres-espions sans représenter un danger. — J’ai besoin d’aide pour réunir les ingrédients qui me permettront de rentrer chez moi. — Les ingrédients ? Et comment pourrions-nous les fournir ? — Grâce à vos mages, je suppose. — Vous supposez ? — Je vous l’ai dit. Je ne suis pas ici de mon plein gré, je n’ai aucune idée de la combinaison qui a ouvert le portail. Sarosh leva des sourcils surpris, mais pas le lieutenant qui ferma les yeux, pensif. — Je ne l’ai pas vu s’ouvrir, c’est donc à la fois quelque chose sur moi et quelque chose autour de moi. Hélas, je n’en sais pas. J’espérais que vous le sauriez. — Votre histoire est inattendue. Effectivement, j’ai entendu des histoires ressemblant à la vôtre autrefois. Expliquez-moi maintenant, pourquoi vous parlez si bien notre langue et comment connaissez-vous mon peuple si votre venue est accidentelle ? — Parce qu’elle ment, évidemment ! Qu’attendais-tu d’une femme, Dent de Tigre ? Un mage flamboyant fit irruption dans la tente, tenant mon téléphone devant lui comme une preuve de ce qu’il avance. Il n’y avait qu’un seul mage à ma connaissance à avoir cette attitude et cette allure. Et quelle allure ! J’avais imaginé Ysmir très extravagant, mais j’avais oublié à quel point. Je ne pus m’empêcher de pouffer devant sa tenue tout en plumes et fioritures, parfaitement inadaptée au combat. Il se gonfla comme un coq et jeta le téléphone à mes pieds. Mon rire mourut aussitôt. — Non, non, non ! Mon téléphone ! Je me jetais dessus par réflexe, vérifiant son état. Il était rayé par endroit, mais il semblait fonctionnel. Je l’allumais pour voir qu’il n’avait presque plus de batterie. J’appuyais longtemps sur le bouton pour l’éteindre. — Cet artefact est magique. Il est fait de telle sorte à cacher son but, annonça Ysmir. Vous n’êtes pas là par hasard. — Ce n’est pas un artefact, c’est un téléphone. Ça sert à communiquer et il est parfaitement inutile ici. Je n’explique pas pourquoi je parle votre langue et si je vous disais comment je connais les nomades, vous ne me croiriez pas. Le mage s’avança et se pencha sur moi. — Essaie pour voir, me défia-t-il. Je serrais les dents, incapable de trouver une répartie. Je pensais un instant à leur montrer mes écrits sur la mémoire de mon téléphone, mais leur alphabet était bien différent du mien. Et, au mieux, on me prendrait pour une sorcière, ce qui n’était pas l’idéal. Heureusement, Dent de Tigre vint à ma rescousse. — Si nous réunissons tous les ingrédients, comment retrouver l’endroit exact dans le désert ? — Grâce à … Je me retins juste à temps de mentionner Talik. Si elle est parmi la compagnie, c’est que sa véritable nature est encore cachée, pensais-je. — Grâce à ? insista Ysmir qui s’était redressé pour me toiser de toute sa hauteur. — Grâce à … Oh ! Mes écouteurs ! (Je posais la main à mes oreilles.) Je n’avais rien dans les oreilles quand vous m’avez emmené, n’est-ce pas ? — Que serions-nous allés chercher dans vos minuscules oreilles ? grimaça Ysmir. — Ils ont dû tomber quand j’ai atterri ! Je peux les retrouver avec mon téléphone pour peu qu’on s’approche de l’endroit ! — Avec ça ? dit le mage en désignant mon smartphone. — Il n’a plus beaucoup de batteries, je veux dire d’énergie, mais ça peut fonctionner. Le mage le prit brusquement de mes mains. — Hé, attention ! C’est fragile ! — Je vais le conserver en attendant, c’est plus sûr. Il siffla entre ses dents et vira Sarosh du tabouret pour prendre sa place. — Ce détail étant réglé, décrivez-moi ce qu’il y avait autour de vous avant votre voyage ? demanda calmement Dent de Tigre.
Je lui expliquais la forêt, le ruisseau, le soleil et ce que je faisais au moment du saut dans le portail. Ce n’était pas aisé et j’avais la bouche sèche à force de parler. Ysmir était resté à grommeler tandis que Sarosh écoutait attentivement. Dent de Tigre ne laissa rien paraître de son état d’esprit, mais je savais que cela réveillait en lui une part de son passé. — Et comment trouverons-nous un mage de l’eau ? s’exclama Ysmir. — Je ne pense pas qu’un mage soit nécessaire, répondis-je. — Et qu’est-ce que vous y connaissez en magie ? cracha-t-il. — Elle a raison, ce n’est pas indispensable si nous apportons suffisamment d’eau. Il siffla à nouveau et me pointa du menton. — Nous n’allons pas gaspiller de l’eau pour ça, tout de même. Ma capacité à encaisser ses remarques était limitée. — J’en sais sûrement plus que vous ! Et si monsieur le mage ne se sent pas capable, d’autres pourront très bien le faire. En fait, je ne suis même pas sûr qu’on ait besoin d’un silvien. Je l’avais piqué au vif, j’allais le regretter, mais ça devait sortir. Il a sauté ses deux pieds, les yeux bouillant de rage, le mage était à deux doigts de me cracher dessus. — Je propose qu’on la jette dans le désert et qu’elle se démerde ! — Comme le lâche que vous êtes. Toujours à fanfaronner, jamais là pour assumer. Je m’écartais à temps pour éviter son crachat. — Assumer quoi ? Tu n’es rien. — Et ça me convient. Je veux juste partir avant… Je me tus brusquement, mes yeux déviant malgré moi vers Dent de Tigre dont je connaissais le triste avenir. — Avant quoi ? Le commandant Négar fit son entrée, suivi de Talik, éternellement dans son sillage. Sarosh se raidit instinctivement et salua d’un geste son supérieur et mentor. L’atmosphère dans la tente se fit plus lourde, plus angoissante. Il y avait trop de monde. Trop d’idées ayant pris vie, trop de personnes que j’avais torturées dans mon esprit et qui allaient subir mille souffrances par faute. Ou bien n’ai-je rien à voir dans tout cela ? Peut-être n’avais-je reçu que des bribes du passé et de l’avenir, comme un écho du destin dialoguant avec la fatalité que mon esprit aurait perçu inconsciemment. Je devais en être sûre. — Talik, as-tu tes aiguilles ? — Des aiguilles ? Quelles aiguilles ? s’étonna Ysmir. Je tapotais ma poitrine, juste au-dessus de mon cœur, là où devait se trouver la poche de Talik. Confuse, elle eut un imperceptible mouvement de main. — Vous voulez dire, celle-ci ? dit Négar. Montre-lui. Il se tourna vers la magicienne et hocha la tête. — Bien, commandant. J’eus un frisson malgré moi en entendant pour la première fois la voix masculine de ma pauvre créature. Et comme attendu, elle fit jaillir plusieurs aiguilles de métal hors d’une poche discrète de son épais manteau noir et or en les accompagnant d’un mouvement de main. — Maintenant, dois-je ordonner à mon oiseau de les envoyer à travers votre crâne ? Qu’en pensent mes camarades ? demanda Négar. Ysmir fixait les aiguilles avec une grimace craintive, mais son visage était tourné vers moi. — Cette femme est définitivement un danger, elle en sait trop. Rien que sa présence est un danger pour tous ceux qui vivent à l’Oasis. Que Talik la tue, qu’on en finisse avec cette histoire agaçante.— Nous devrions la ramener chez elle, rétorqua Dent de Tigre dans le plus grand calme. — Hmm. Et toi, Sarosh ? Qu’en penses-tu ? — On ne peut pas la laisser partir, et si ce qu’elle dit est vrai… Nous devrions l’interroger plus longuement. Négar hochait la tête, frottant sa courte barbe en feignant une mine pensive. Dent de Tigre se leva bien trop vite pour son état. Talik se crispa et baissa les yeux, toujours emplie de culpabilité. Elle se sentait coupable et ce n’était que le début. Mon cœur se serra à l’idée des malheurs qui suivraient inévitablement. Pouvais-je y faire quelque chose ? Peut-être, mais pour quelles conséquences ? En avais-je seulement le droit ? Une boule d’émotions se coinça dans ma gorge, mais je tâchais de faire bonne figure. — Elle n’est pas à sa place ici, Négar. Nous n’avons rien à gagner à lui faire du mal. Négar se ferma. — Nous ne faisons pas dans la charité, mon frère. Dis-moi exactement ce qu’elle t’a dit. Dent de Tigre soupira avec lassitude, mais s’exécuta.
Après lui avoir rapporté l’essentiel de mes dires, le commandant resta muet. D’un geste, il congédia tout le monde, même Talik. Je la regardais partir avec regret. J’aurais tant voulu lui parler, lui révéler le destin qui l’attendait ou simplement lui dire que j’étais désolée pour la peine terrible qu’elle allait subir quelques jours plus tard et qui ne serait pas la plus terrible. Mais je ne pouvais pas. Si l’avenir était tel que je l’avais imaginé, d’autres choses bien plus dangereuses étaient déjà en marche, et elle devait affronter le pire pour être libre et y faire face. C’est les yeux humides que j’observais Négar tirer le tabouret pour le placer devant moi. J’étais toujours assise à même le sol, trop épuisée pour me mettre debout. Il m’étudia en silence, analysa mon attitude, mon apparence à la lumière des informations qu’il avait. J’essuyais nerveusement les quelques larmes qui s’étaient échappées le long de mes joues et tâchais de reprendre une once de contenance. C’était un misogyne, manipulateur, sadique et imbue de lui-même. Mais il était aussi perspicace et brillant, il n’aurait aucun mal à comprendre que je lui cache beaucoup de choses. Je dois lui faire comprendre qu’il vaut mieux me laisser partir, pensais-je. — Pourquoi as-tu demandé à Talik de montrer ses armes ? — Je devais être sûre. (Je soupirais.) Écoutez, je vivais tranquillement à écrire mes histoires, j’ai jamais demandé à être là . Je ne sais même pas comment c’est possible. — Tu as pourtant l’air bien lucide sur ce qui t’arrive. — Parce que ça n’aurait dû être que des histoires ! — Et que nous racontent tes histoires ? Je n’avais aucune réponse toute faite à lui donner. Devant mon silence trop long à son goût, il tira soudainement son poignard et le planta entre ses pieds, juste devant les miens. Je sursautais malgré moi. — Tu crois vraiment que je te laisserais partir sans contrepartie ? Je l’ai dit, je ne fais pas la charité. — Elles… bégayai-je. Elles me racontent que vous ne connaîtrez pas la défaite tant que Talik est à votre service. Mais… Mais si je reste ici, cela pourrait changer. Il sourit sans cacher son orgueil. — C’est bien pratique. Et pourquoi ça ? — Parce qu’elles ne parlent pas de moi ! Si je suis là , ça change tout. Si j’en révèle trop, je crains qu’un avenir pire que celui que j’ai vu ne se produise. — Dans ce cas, je te tue et le problème est réglé. Je n’aurais pas à déranger mes mages et le temps suivra son cours. Il ramassa son poignard, se redressa pour le ranger dans son étui et se leva en me jetant un dernier sourire narquois.
Il me laissa planté là , incertaine de mon destin. J’espérais de tout mon cœur que ce soit du bluff. Il n’était pas du genre à tuer gratuitement, mais il lui suffisait d’une seule bonne raison, évidente ou déviante, pour le faire. J’ai reçu un repas à peine plus fourni que le précédent. Au moins, il n’avait pas l’intention de me laisser mourir de faim. Il se passa une nuit et une journée complète où personne n’éclaira ma lanterne. Sameera me mena aux bains, mais je dus remettre mes vêtements sales pour retourner dans ma tente. C’est lors de la seconde nuit qu’on vint me chercher. — Toujours rien à dire ? Le commandant me réveilla en sursaut. Je reconnus sa voix avant de le distinguer dans l’obscurité. — Je… je veux juste rentrer chez moi. — Et vous rentrerez chez vous, dit Dent de Tigre en se glissant aux côtés de son commandant. Derrière eux suivaient Talik, la magicienne de l’air, Ysmir, le mage du feu et Jeiran, le mage de la terre. La magicienne faisait voler devant elle un tonneau que je supposais plein d’eau. Nous formions une étrange procession, traversant le désert qui teintait doucement d’orange et de vert. Après avoir rejoint le point où le patrouilleur m’a repéré, je repérai l’oasis au loin et nous prîmes la direction opposée. Après de longues minutes de marche, j’allumais le téléphone et coupais tous les services inutiles pour économiser la batterie, puis je guettais le moindre signe de mes écouteurs. En espérant qu’ils fonctionnaient encore. Mais c’était peu probable, je comptais secrètement sur Talik qui était capable de voir les portails et je guettais le moindre changement dans son attitude. Ce qui se produisit alors que le soleil était déjà au-dessus de l’horizon et après de nombreuses plaintes du mage Ysmir. — C’est ici ! Par chance, mon bandeau fluo se détachait nettement du sable qui ne l’avait que partiellement recouvert. Je cherchais mes écouteurs, en vain. Ils avaient été ensevelis depuis longtemps et étaient visiblement hors service. Guider par les conseils de Dent de Tigre, les mages entrèrent en scène. Je ne voyais rien de particulier, si ce n’était leur état de concentration intense. Puis, doucement, Dent de Tigre fit couler l’eau dans le sable. Et le miracle se produit. Un craquement et le ciel s’ouvrit sur un puits de lumière aveuglante, à un mètre du sol à peine. Tous, moi y compris, l’observions avec fascination. Mais je devais me hâter avant que Dent de Tigre ne soit à court d’eau. — Merci, dis-je avec un sourire. Et je sautais dans le portail.
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