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Défi de Schrödinger (trois images)
Silwek
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![]() ![]() Métamorphose(par Silwek)Il était 16h45 au tableau de bord quand j’ai ressenti les premières bouffées de chaleur. La maison de mon oncle n’était qu’à une dizaine de kilomètres, j’avais perdu déjà trop de temps avec le moteur capricieux de ma voiture. Je pris une grande inspiration. Pas question de tomber malade. Pas maintenant. J’allais rencontrer quelqu’un de ma famille, ma famille biologique, pour la première fois. J’avais reçu un étrange coup de fil d’un soi-disant oncle qui attendit ma venue, j’avais pensé à un canular jusqu’à ce que j’en parle à ma mère. Elle m’avoua que cet oncle existait bien et qu’elle avait reçu une lettre de sa part le jour même. Cette lettre expliquait que mon oncle était prêt à me rencontrer et à répondre à mes questions le jour de mes vingt-et-un ans, indiquant l’endroit exact à plusieurs centaines de kilomètres de chez moi.
Le GPS me fit tourner plusieurs fois sur des chemins tout juste praticables, parsemés de crevasses et bordés d’arbres denses. J’émergeai enfin à découvert sur une étroite allée soigneusement pavée. Tout au bout, un vieux château de pierres recouvert de mousse et de lierre. Ses nombreuses tours étaient en ruine pour la plupart, si bien qu’il semblait abandonné. Je vérifiais le GPS. J’étais bien au bon endroit. Je garai la voiture dans la cour et savourais un peu d’air frais pour me clarifier les idées. Un homme poussa une lourde porte en bois et descendit la volée de marche qui menait à la cour. — Bonjour, vous êtes monsieur Der-ko-mai ? demandais-je en butant sur la prononciation de son nom. Je suis Rose. Navrée pour le retard, j’ai eu un petit souci de voiture. Mon cœur bondit. Il y avait un air de famille, c’était indéniable. Les mêmes cheveux bruns, les mêmes pommettes hautes et ses yeux avaient le même reflet doré que les miens. Je souris bêtement à l’idée que cet homme soit bien de ma famille. J’en oubliais un instant mon malaise. Il inclina dignement la tête. — Derko-ma-ï, répéta-t-il d’une voix profonde. Tout à fait. Bienvenue chez toi, ma nièce. Tu dois être fatiguée, j’ai fait préparer des boissons fraîches à l’intérieur. Entre.
Je le suivis dans un immense vestibule à demi écroulé, parcouru d’une brise légère et agréable. Je pénétrai ensuite avec surprise dans un petit salon raffiné sans le moindre gramme de poussière. D’autres personnes m’y attendaient et m’accueillirent chaleureusement. Mon sourire ne me quitta pas tant j’étais émue de voir autant de visages se ressemblant, me ressemblant. Ils m’installèrent avec une précaution étrange dans un confortable fauteuil et me glissèrent un verre d’eau glacé entre les mains. Je bus avec soulagement, oubliant mes appréhensions. Avaient-ils remarqué mon début de fièvre ? Tant de sympathie me faisait un bien fou. — Vous… vous êtes tous de ma famille ? C’est bien ça ? Un enthousiasme contenu les fit frémir. Avec un sourire encore plus grand, mon oncle prit la parole. — Nous sommes ta famille, Rose. Nous avions hâte de te rencontrer. (Il regarda sa montre et son sourire s’estompa.) Aujourd’hui, tu vas connaître tes origines. Pour cela, tu dois devenir toi. C’est désagréable, n’est-ce pas ? Les autres me couvaient d’un regard plein de compassion, la fièvre n’en fut que plus forte. Je déglutis. — De quoi parlez-vous ? m’inquiétai-je. — Nous sommes tous passés par là , répondit mon oncle, le regard fixé à sa montre. Helena, aide-la à se changer pour ce soir. Nous ne devons pas prendre plus de retard. Une femme s’avança, je me levais, prise de panique. — Que… Mes jambes lâchèrent et plusieurs mains me rattrapèrent. — Elle est déjà brûlante ! s’étonna Helena. — C’est parce qu’il est 17h31, dit monsieur Derkomaï. Nous devons nous hâter pour ne pas prolonger sa souffrance. Je ne comprenais pas ce qu’il comptait faire de moi, mais mon état n’était pas une surprise pour eux. Je voulus protester quand ils me soulevèrent, mais ma gorge était aussi sèche que si elle était emplie de braises incandescentes. Comme le reste de mon corps. La sueur coulait sur mon front et je baignais dans la moiteur de mes vêtements. Ce fut un soulagement quand, dans l’intimité d’une petite chambre, Helena les retira pour me glisser dans une longue robe légère. — Ce n’est pas grand-chose, dit-elle. Mais ça rend la transition plus supportable. J’étais aussi faible qu’un nouveau-né. J’avais mille questions, mais toute ma volonté me servait à simplement respirer quelques goulées d’air frais tout en luttant contre mon estomac aussi douloureux que si j’avais avalé un bol entier de piments. On frappa à la porte. — 19h23, elle est prête à descendre ? fit la voix de mon oncle. — Plus que prête, Patriarche, répondit Helena. Ça me fait de la peine de la voir dans cet état, la pauvre enfant. Deux autres membres de la famille entrèrent dans la chambre avec une civière, la toile était luisante comme enduit d’une substance visqueuse. Ils m’y glissèrent et me soulevèrent de terre. Helena prit aussitôt ma main et la tapota avec sympathie. — Tout va bien se passer, Rose.
Elle ne me lâcha pas tandis que nous déambulions dans les couloirs jusqu’à déboucher dans une tour au toit éventré laissant apparaitre le ciel crépusculaire et ses premières étoiles. La mousse avait presque entièrement recouvert les fines arcades de pierre qui bordaient l’escalier qui tournait avec le mur extérieur, s’enfonçant au fond de la tour. Mes porteurs entamèrent la descente et Helena se mit à chanter dans une langue inconnue. Notre procession étrange fut rejointe par d’autres chanteurs tenant des torches. La brûlure se fit plus dévorante et avait gagné tout mon ventre, je fermais les yeux dans l’espoir vain de l’apaiser.
Après ce qui me parut une éternité, mes pieds se redressèrent. Nous avions atteint le fond. J’entrevis entre mes paupières lasses une colossale cave grossièrement circulaire à la paroi noircie. Des braseros marquaient les quatre directions, je pouvais sentir leur chaleur d’ici, comme s’ils alimentaient mon propre feu intérieur. La procession quitta mon sillage, Helena lâcha ma main à regret. Ils se placèrent autour d’un large dessin fait de sable multicolore sur le sol de la grotte. Mon oncle leva le poignet, puis regarda le ciel. — 20h37. Il est temps de commencer. Mes porteurs posèrent la civière et me mirent debout avec douceur face à mon oncle. — Rose. N’ait pas peur. Tu vas enfin savoir qui tu es. Laisse simplement les étoiles te guider. Il lève les bras au ciel, aussitôt imité par les autres.
Je sentis les mains me supportant se retirer. Je basculais sans force en arrière, imaginant déjà mon crâne se briser sur le sol. Pourtant, je fus accueillie avec douceur dans le sable qui jaillit autour de moi dans une explosion de couleurs merveilleuses. Au-dessus de moi, quatre étoiles se détachaient sur le rond lointain du ciel. Elles semblaient pulser au rythme de mon cœur affolé. Puis la poussière s’embrasa, m’entourant tout à fait. Étonnamment, les flammes n’étaient pas aussi dévorantes que le feu couvant sous ma peau jusqu’à la déchirer. Ma robe avait fondu et ma chair comme mes os semblaient se tordre. Je n’avais plus la force de hurler, mes poumons s’emplissaient de feu. La douleur s’estompait en même temps que la peur. J’étais surprise d’être encore consciente. Je pouvais voir les flammes danser et, à travers elle, d’immenses yeux dorés m’observaient là où se trouvaient les membres de ma famille. Ils chantaient toujours, d’une voix plus joyeuse. La caverne me parut de plus en plus étroite, comme si elle rétrécissait. Puis un cri perçant et puissant sortit de ma gorge, en même temps qu’une large boule de feu que je crachais comme on se débarrasse d’une chose encombrante. Je basculais sur le côté et me figeais en voyant ce qui avait été mes mains. À la place, les flammes se reflétaient sur des écailles brunes et des griffes aussi longues que des couteaux. Deux yeux dorés au-dessus d’une gueule carnassière traversèrent mon bûcher, s’adressant à moi dans cette langue claquante et sifflante. — 20h41. Bienvenue chez toi.
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