Quatre minutes. VoilĂ  tout ce qu'il me reste. Quatre minutes. Quatre. Ce chiffre rĂ©sonne en moi. Le destin se joue de moi. VoilĂ  quatre ans qu'on m'a diagnostiquĂ© une maladie incurable. Quatre ans. Et aujourd'hui, il ne me reste que quatre minutes d'existence. Ce quatre a toujours Ă©tĂ© une Ă©chĂ©ance. ÉchĂ©ance qui atteint enfin son paroxysme aujourd'hui. Un son rĂ©sonne continuellement. Celui d'une bombe. Sur son cadran, les secondes s'Ă©coulent, sans trĂŞve. Je me rapproche toujours plus de la fin. Ma fin. Mais je ne suis pas seul. Tout autour de moi, une dizaine de personnes Ă©voluent. Nous sommes tous au fond d'une sorte de puits. Non, pas un puits, une tour. Je peux apercevoir le niveau du sol par les minuscules fenĂŞtres. Fuir ? Impossible. Il n'y a aucune issue. Des interrogations me taraudent, mais elles restent sans rĂ©ponse. Comment suis-je arrivĂ© ici ? Je n'en sais fichtre rien. Cette immense tour, enveloppĂ©e de vĂ©gĂ©tation, dans laquelle je suis, je ne sais pas oĂą elle se trouve, ni ce que je fais ici. Mais après tout, quelle importance ? Je ne sais qu'une seule et unique chose : je vais mourir. La mort se rapproche, inĂ©luctablement, pour tous les ĂŞtres vivants sur cette terre. Ma vie aura juste Ă©tĂ© plus courte que celle des autres, et ma mort, plus rapide. La science n'aurait pas su me sauver. La magie n'aurait pas su me sauver. J'Ă©tais destinĂ© Ă  mourir. Mais je ne regrette rien. Ma vie a Ă©tĂ© bien remplie.

Trois minutes. Je repense à tous les choses qui ont fait que ma vie a mérité d'être vécue. Ma famille, toujours à mes côtés, toujours là pour moi, quoi que je fasse et où que je sois. Elle a toujours été plus qu'importante pour moi, et je lui ai donné une place incommensurable dans ma vie. Mes amis, soutien indéfectible, dans les meilleurs et les pires moments. Mon premier amour, qui m'a fait voir le monde différemment. Et mes voyages, point culminant de mon existence. Paris, Londres, Rio de Janeiro, New York, Moscou, Le Caire, Sidney, Tokyo... J'ai visité durant ces dernières années les plus grandes villes du monde. J'ai toujours rêvé de découvrir le monde. C'est chose faite. Je voulais partir sans avoir de regrets. Et je n'en ai aucun. J'ai vécu en respectant mes valeurs, mes décisions, mon mode de vie, j'ai toujours été droit dans mes bottes. Ma vie a été un véritable cadeau, et je ne regrette rien.

Deux minute. Je ne peux m'empĂŞcher de m'interroger. Pourquoi nous ? Pourquoi dix personnes inconnues sont-elles rĂ©unies en un mĂŞme endroit ? Nous ne nous connaissons pas. Peut-ĂŞtre avons nous des points communs invisibles. Peut-ĂŞtre sommes nous atteint de la mĂŞme maladie. PeutĂŞtre sommes nous inconsciemment dangereux. Peut-ĂŞtre devons nous disparaĂ®tre. Peut ĂŞtre sommes nous des produits de la science. Mais est ce un assassinat collectif ? Un complot ? Une expĂ©rience gouvernementale ? Une purge ? Ou seulement des personnes qui se sont trouvĂ©es au mauvais endroit, au mauvais moment ? Quoique le hasard me semble peu probable. Avant que je ne me rĂ©veille ici, je me souviens d'avoir Ă©tĂ© conviĂ© Ă  une rĂ©union aux abords de la forĂŞt. Mais mon cerveau refuse de fonctionner, ma mĂ©moire refuse de se rappeler. Quel Ă©tait le but de cette rĂ©union ? Mes souvenirs sont embuĂ©s. Je n'arrive pas comprendre. Mais quelle importance finalement ? MĂŞme si je connaissais toutes les raisons et mĂŞme si je me rappelais de tout, mon destin ne serait pas autre.

Une minute. Autour de moi, les gens s'affolent, les gens rient, les gens pleurent, les gens hurlent, les gens vivent. Pour très peu de temps encore, mais ils vivent. Et il y a moi. Moi qui suis calme, moi qui ai renoncé à la vie à l'instant même où j'ai vu cette bombe. J'ai toujours été ainsi. Pragmatique. Et je sais qu'il n'y a aucun espoir. Alors j'attends. J'attends la mort. J'attends une vieille amie qui désire m'emmener depuis bien longtemps. Et aujourd'hui, je vais enfin la rencontrer. Je n'ai pas peur. Je pars, mais je crois partir pour un monde meilleur. Je n'ai aucun regret. Et je n'ai pas peur. Je suis serein. Je pars en paix.

Trente secondes. Le décompte s'intensifie. On s'échange un dernier long baiser. On s'étreint. On se prend par la main. On ferme les yeux. On n'ose imaginer ce qu'il se passera. Mais cela se passera. C'est inéluctable.

Dix. Neuf. Une jeune fille pleure. Huit. Sept. Ma respiration, mon cœur ralentissent, comme si même mon organisme comprenait ce qui allait se passer. Six. Cinq. Je ferme les yeux, un sourire aux lèvres. Quatre. Trois. Mort, je t'attends, apporte moi la paix. Deux. Un. Zéro. Un signal strident retentit. Puis l'explosion survient. Je ressens de la douleur, mais seulement durant quelques secondes. Puis je pars. Je sens mon âme quitter mon corps. Je me sens libre. Je suis dans un long tunnel. Et, au bout, une lumière brille. J'avance, elle se rapproche. Puis je l’atteins. Je me sens en paix. Pour l'éternité.