Accroupie au cœur d'une vaste pièce emplie de jouets pour enfants, baignée de la lumière la plus pure de toute la Création, Idola contemplait une jeune chérubine. Les plumes naissantes de ses fines ailes reflétaient la pureté pareillement à des cristaux, tandis que sa conviction s'affermissait à chacun de ses pas maladroits.

— Santa, un jour viendra oĂą tu seras la plus grande des Reines de notre monde, affirma avec tendresse la rĂ©gente Idola.

La chérubine regarda sa régente d'un air naïf. Elle n’avait pas paru comprendre les mots, mais elle en saisit toute l'émotion et elle se précipita avec entrain vers Idola, qui lui ouvrit grandement les bras. La future Reine retomba en riant sur sa régente, qui referma délicatement la chaude étreinte. Alors, la douce joue de la chérubine passa telle une caresse sur celle de la domination, qui effleura sa main dans les cheveux dorés de l'enfant.

— Tu remporteras la Guerre sainte et tu empĂŞcheras l'Apocalypse de survenir, ajouta encore la rĂ©gente, comme pour sceller le destin de la chĂ©rubine Ă  tout jamais.

À l'extérieur du Havre, une certaine agitation se faisait entendre. Non pas un édifice qui s'écroulait comme c'était devenu la norme, ni un tremblement de terre. Mais des cris. Des hurlements agressifs, à en perturber l'humeur de la régente.

Idola tapota avec affection le petit crâne de la chérubine, puis la reposa sur le sol, pour se diriger vers le balcon. Depuis le Havre, la salle la plus haute située des trois Royaumes, elle pouvait voir les bâtiments effondrés à la périphérie de la capitale céleste, comme elle pouvait voir la plus petite fourmi ramper sur le Royaume merveilleux ou comme elle pouvait voir cette maudite Aina.

Une volée d'anges traversèrent sa vue, tout en criant des sommations. Ils plongèrent vers la base du Havre tels des aigles sur leur proie, mais ils furent tous balayés par une simple bénédiction. La plus simple des bénédictions des Grands esprits avait envoyé valdinguer une troupe céleste, Idola n'y comprenait rien.

Ses yeux rageurs cherchèrent la source du trouble de son Royaume. C'était la prêtresse Fohana, la gardienne du Royaume merveilleux. Et la grogne qui bouillonnait en Idola ne se tarit pas. Comment cette effrontée osait pénétrer sur ses terres, après y avoir détourné tant de foi et précipitant le destin des cieux dans l'incertitude ?

La régente tourna les talons et s'en alla revoir sa chère chérubine. Toute l'innocence de cette dernière fit perdre en intensité à sa rage, alors elle la reprit dans ses bras et la chatouilla. La petite rit aux éclats, sa joie résonnant et irradiant le Havre. Mais Idola aurait aimé rester encore ainsi avec la petite dans ses bras, sauf qu'un séraphin fit irruption dans la salle, haletant, en sueur.

— Domination Idola ! Une humaine est parvenue Ă  entrer dans la Tour, et elle a rĂ©ussi Ă  vaincre tous les anges qui ont tentĂ© de lui barrer la route !

— Bien. PrĂ©parez le Purgatoire.

À regret, la régente quitta sa protégée, qui demeura néanmoins silencieuse et attendait patiemment son retour. Un exemple de foi et de vertus, pensa Idola, la candidate idéale pour mener le Royaume des cieux à la victoire.

Le Purgatoire, situé sous le Havre, était une pièce grandement vide. Il n'y avait pour seul mobilier un trône d'or à la couverture de soie, avec deux filles nubiles assises sur les accoudoirs. Ces deux anges-là priaient depuis la création des trois Royaumes et jamais elles n'avaient ouvert les yeux, ni quitter leur posture de méditation.

Lasse, Idola s'installa sur le siège, entre les deux Trônes. La régente des cieux n'attendait qu'une chose. Voir la prêtresse agenouillée sur le tapis noir qui lui faisait face, et l'entendre expier ses fautes. Et ça ne tarda pas.

Pour une personne ayant gravi le Mont Céleste, flotté jusqu'aux portes du Royaume des cieux, bataillé avec des centaines d'anges pieux et marché les milliers de marche de la Tour, Fohana paraissait encore fraîche. Et sa détermination l'enveloppa comme une armure lorsqu'elle franchit le seuil du Purgatoire en projetant des anges meurtris sur son chemin.

— Domination Idola, rĂ©gente des cieux, je souhaiterais m'entretenir avec vous, initia aussitĂ´t la prĂŞtresse, avec une dĂ©fĂ©rence tout juste polie.

Sans un mot, Idola jaugea son adversaire. Il ne lui faudrait guère d'effort pour renvoyer celle qui fourvoie la foi dans son misérable Royaume. Cependant, la régente sentit que Fohana reviendrait encore et encore, ne cesserait son abnégation que son trépas venu. Et la mort de la prêtresse du Royaume merveilleux ne ferait que précipiter l'Apocalypse.

La foi dévoyée de la gardienne était aussi problématique. Si elle avait pu accéder au Royaume des cieux de son vivant, son esprit l'atteindrait de nouveau et il pourrait constituer une menace pour la régente. Fohana pouvait devenir rapidement l'un des anges les plus puissants et compromettre ses plans d'avenir.

— Parle, je t'Ă©coute, tonna la Domination.

Sans davantage d'informations sur les intentions de la prêtresse, elle ne pouvait pas agir au mieux, pour elle ou pour sa chère chérubine.

— Ma sĹ“ur, la prĂŞtresse Forsana, a Ă©tĂ© enlevĂ©e par les Dragons et emmenĂ©e dans le Royaume dĂ©sastreux. Je voudrais donc quĂ©rir votre aide, afin d'aller l'extirper de là !

Idola réfléchit brièvement. Nul n'avait été, dans une seule et unique vie, de passage dans les trois Royaumes. Et un miracle, ignoré et oublié de tous car inutile, lui revint en tête. Si une personne était marquée par les trois Royaumes, alors son esprit était condamné à l'errance dans son Royaume principal.

Le sourire qu'esquissa la Domination fut plus éphémère encore qu'un battement de cils.

— Je t'aiderais Ă  retrouver ta chère sĹ“ur, prĂŞtresse. Je vais te donner un objet miraculeux pour franchir la lave du Volcan Rouge et te permettre d'aller dans le Royaume dĂ©sastreux, puis de revenir.

Idola enleva l'une de ses parures et entonna un miracle, un qui permettrait à Fohana d'accéder au Royaume désastreux. Mais silencieusement, les deux Trônes canalisèrent un miracle insidieux sur le joyau : celui qui condamnerait la prêtresse.