Je ne vois rien.

Cela fait maintenant une éternité que je ne perçois plus que les ténèbres aveugles, et le cliquetis des chaînes.

Mes chaînes.

Cela fait maintenant une éternité que ma destinée m’a été soustraite, aussi violemment qu’une planète qui cesse d’exister.

Une éternité que je souffre de la trahison qui m’a été infligée.

Mais il y a longtemps que cette souffrance, devenue infiniment trop grande pour être contenue au sein de mon être jadis si glorieux, eût adopté une nouvelle nature.

Un concentré de haine, de rage et de puissance brute bouillonne maintenant en moi. Un mélange d’énergiematière que bon nombre de mortels qualifieraient de surpuissant, contre-nature, et qui n’attend qu’une chose.

En poussant un cri sourd qui se réverbère loin dans les méandres de ma prison invisible, je tire violemment sur l’une de mes chaînes, qui produit le même claquement que d’habitude, sans céder sous ma puissance. Patience. Bientôt viendra le jour où la rage accumulée depuis la nuit des temps sera capable de me rendre ma liberté.

Ainsi, quand le moment sera venu, le monde entier subira ma vengeance…

…

Une lumière vive m’aveugle soudain. Comment est-ce possible ? J’ai passĂ© l’éternitĂ© dans les tĂ©nèbres, au point d’avoir oubliĂ© ce que cela fait de voir. Ă€ moins que cela ne soit qu’un simple rĂŞve.

Cependant, en une éternité d’enfermement, je n’ai jamais rêvé.

Un simple rêve n’aurait pas l’air si réel. Si aveuglant. Et ce que je perçois m’aveugle comme si je voyais pour la première fois.

Non. Ce n’est pas la première fois ; Difficilement, quelques bribes refont surface. Il fut un temps oĂą je pouvais voir, et je me servais de ce don pour accomplir de grandes choses, avant que tout ne s’éteigne pour laisser place Ă  cette infinie obscuritĂ©, maintenant percĂ©e par cette lumière aveuglante.

Je finis pas me réhabituer à cette vision qui vient de m’être si soudainement rendue, et parviens à distinguer, au centre du halo, des formes qui se font de plus en plus précises. Une pitoyable créature aux petits yeux noirs, couverte de poils sombres et affublée d’une truffe disgracieuse au centre du visage, semble me dévisager.

Je n’ai jamais vu pareille créature. Je ne sais toujours pas où je me trouve, ni où elle se trouve, mais ce n’est plus qu’une question de temps avant que je l’apprenne.

Il est temps.