Je peine Ă  ouvrir les yeux. Depuis combien de temps suis-je allongĂ© sur le sol ? J’ai l’impression d’être ici depuis des Ă©ternitĂ©s. OĂą-suis-je dĂ©jĂ  ? Je perçoit le bruit des vagues, le chant des mouettes, l’odeur de la mer, la douceur du sable et du vent marin.

Qu’es ce que je fais lĂ  ? Comment suis-je arrivĂ©e ici ? OĂą ce trouve-t-il, cet «ici » ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. J’ouvre lentement les yeux. Le soleil brille, il n’y a pas un nuage. D’après sa position, il doit ĂŞtre près de 14 h 30 et … depuis quand est-ce que je suis capable de lire l’heure avec le soleil ? Je regarde par rĂ©flexe mon poignet. OĂą est la montre qui ne me quitte jamais ? A qui sont ces vĂŞtements qui ne sont pas les miens ?

Je ferme les yeux mais je sens toujours ce pantalon trop large, ce tissu rĂŞche et humide, ce poids d’une boussole dans ma poche et … une boussole ? Je rouvre les yeux et sort l’objet. Une boussole magnifique, recouverte d’or et d’argent. Je la fais tourner entre mes doigts avant de la glisser Ă  nouveau dans ma poche. Je profite d’avoir les yeux dĂ©finitivement ouvert pour regarder mon environnement. Une plage de sable dorĂ©, une mer d’un bleu superbe et dans les terres, une forĂŞt luxuriante, plutĂ´t une jungle d’ailleurs. Je trouve Ă  cĂ´tĂ© de moi une ceinture et un couteau, ou un poignard, je ne sais pas faire la ... un couteau, c’est bien un couteau, un khukuri, il n’as qu’un seul tranchant … comment je sais tout ça ? Pourquoi tout me semble si familier et si inconnu Ă  la fois ?

Qui suis-je ?

Pourquoi ai-je l’impression d’avoir accès Ă  des souvenirs qui ne sont pas les miens ? Je ne suis pas amnĂ©sique si j’ai des souvenirs, alors pourquoi je ne me rappelle plus mon propre nom ? Je deviens folle ? Je deviens fou ? Pourquoi ce corps me semble si Ă©tranger ? Je me saisi du couteau sans savoir pourquoi et le fait tournoyer avec une aisance que seule l’habitude peux donner. Comment pourrais je avoir l’habitude de manier une arme ? Pourquoi sentir le poids de l’arme entre mes doigts mes doigts me rassure autant ? A qui sont ces souvenirs et ces rĂ©flexes ? Stop, trop de questions. Je me lève, mais me rassois aussitĂ´t, prise de vertiges. Je n’ai pas souvenir d’avoir bu pourtant, quoique… je ferme les yeux, me concentre et me rends compte trop tard de mon erreur

Je plonge dans ces souvenirs qui ne sont pas les miens.

Une tempĂŞte. C’est la première chose qui me vient Ă  l’esprit. Je suis prise dans une tempĂŞte de souvenirs. Peut-on se noyer dans la mĂ©moire ? Les souvenirs dĂ©filent trop vite, trop nombreux. Comment une seule personne Ă  pu vivre autant de choses ? Certains visages reviennent, les lieux ne sont jamais les mĂŞmes.

Puis tout ralenti et je peux enfin me concerter sur un seul souvenir. Une rue donnant sur un port, des marchands vendant leurs poisons frais, des enfants courant dans tous les sens en criant, et un petit garçon le yeux rivés vers un bateau, une réplique grossièrement sculptée de ce même bateau entre les doigts. Moi. J’ai quitté Bagdad pour prendre la mer, j’attendrais le temps qu’il faudra. Grand départ, premier voyage.

Puis un autre souvenir prend la place du précédent. Un homme, seul sur une île. Moi. Abandon. Des oiseaux, des serpents, des diamants. Deuxième voyage.

Je continue d’avancer dans les souvenirs. Nous sommes un petit groupe d'hommes qui fuient, mais nous nous noyons. Perte. Un serpent se dressent devant moi. Je suis seul. J’ai perdu tout mes hommes. Solitude, troisième voyage.

Un naufrage, une Ă®le de cannibales, une Ă©chappatoire puis un mariage. Bonheur. Puis deuil, emprisonnement et meurtre. Qu’ai-je fais ? Je n’ai pas le temps d’y rĂ©flĂ©chir, propulsĂ© dans un autre souvenir.

Un bateau neuf, magnifique, mais la bêtise d’un équipage. Une mise en esclavage, une libération et une pluie de noix de coco. Cinquième voyage.

Richesse, trésor, famine, soif. Survie. Dérive puis cadeau. Sixième voyage.

Septième voyage. Naufrage et … plus rien.

Me voilà revenu sur cette plage, le couteau dans une main, la boussole dans l’autre. Je me tourne vers la mer avec un sourire.

Le voyage n’est pas fini…