(par Lunelisha)(Thème : Pas de mots masculins)
Une pirouette. Une autre. Allez, juste une dernière poussée... Voilà !
Illio attrapa la fine branche la plus haute de la forêt et se hissa dessus d'une traction. Elle reprit alors sa respiration, haletante, et admira la verdure tout autour d'elle. La montagne s'étendait devant la jeune enfant, impressionnante, majestueuse, et d'une blancheur unique que seule la neige fraîche peut donner.
Soudain, elle se figea, les oreilles tournées vers l'herbe, une centaine de mains endessous d'elle. Chaque parcelle de sa peau ressentit la vibration inhabituelle qui ne pouvait provenir que de semelles tapant la terre dans une course effrénée. Elle n'hésita pas une seconde et glissa au plus près de l'écorce, maculant sa peau de sève. Elle s'arrêta à quelques enjambées des énormes racines, et se cacha discrètement parmi les feuilles. Elle n'eut pas à attendre longtemps.
Une silhouette se profila non loin d'elle, avançant aussi vite que ses jambes le permettaient. Quand elle arriva enfin à la hauteur d'Illio, cette dernière put l'observer à volonté. C'était une jeune femme d'environ vingt années, portant une cape noire usée sur ses épaules. Sa tête se tournait vers la droite, vers la gauche, dans une ronde effrénée et sans fin. La jeune enfant se demandait si elle se sentait poursuivie par des personnes venant de l'immense Ville, étrange, mystérieuse, qui dégageait - selon elle - une aura menaçante, ou juste parce qu'elle était perdue et craignait de tomber sur une des bêtes féroces qui pourraient peupler cette large et sombre forêt. Mais Illio connaissait cette dernière comme sa poche - facile, elle n'avait vécu que là -, et elle savait que les monstruosités particulièrement dangereuses n'habitaient pas par ici. Elle pencha alors pour la première option. Elle sourit de toutes ses dents, excitée d'avoir enfin de l'action. Avisant la jeune femme qui s'éloignait, elle contracta ses jambes et sauta de branche en branche jusqu'à arriver à sa hauteur. Elle se propulsa alors juste devant l'étrangère et, une main maintenant fermement ses hanches, elle l'entraîna avec elle parmi les feuilles, prenant assez de hauteur pour placer la nouvelle venue en sécurité tout en observant ce qu'il se passait en bas. L'inconnue se débattit - bien que plus mollement quand elle s'aperçut que sa ravisseuse n'avait que neuf années tout au plus - et essaya de se libérer de son étreinte. Illio lui intima alors de se taire, et plaqua même une main contre sa bouche quand elle entendit des personnes arriver à toute allure. Moins de cinq secondes plus tard, une troupe militaire en provenance de la Ville (l'enfant reconnaissait l'épine cerclée d'une rose qui agrémentait leurs tuniques noires) déboula en formation serrée et passèrent sous elles sans s'arrêter. Illio attendit plusieurs longues minutes, histoire d'être sûre que les personnes armées jusqu'aux dents ne soient plus à proximité, puis libéra la jeune femme, encore un peu sonnée. Vue leur tête patibulaire, elles ne la poursuivaient sans doute pas pour lui vendre des sucreries. Cest pourquoi la fillette fut surprise lorsque sa protégée lui sourit de toutes ses dents, s'inclina de nombreuses fois pour la remercier, mais descendit de la branche presque aussitôt, portée par une forte détermination. Illio essaya de l'arrêter, de lui faire comprendre la dangerosité de sa situation, mais l'adulte l'arrêta d'une main apaisante. Elle lui assura qu'elle savait ce qu'elle faisait, que l'avoir aidé serait une marque de générosité qu'elle n'oublierait jamais, mais qu'à partir de maintenant elle s'en sortirait seule. Elle sauta alors sur l'herbe humide, lui adressa une dernière salve de "merci", et s'éloigna aussi vite. L'enfant n'eut même pas l'occasion de placer une phrase, et c'est comme pétrifiée qu'elle la regarda disparaître. Elle n'était pas consciente d'ellemême quand elle redescendit pour se diriger vers sa planque, et ce n'est qu'une fois avachie sur sa couchette que ses pensées explosèrent et que d'innombrables questions l'assaillirent.
Illio se souviendra toute sa vie de cette rencontre. De ses crises de larmes qu'elle eut en pensant qu'elle l'avait peut-être (sûrement) laissée courir vers sa propre mort, mais aussi cette chaleur étrange dans sa poitrine qui lui disait qu'elle avait bien fait. Elle ne saura probablement jamais ce qui était arrivé à cette fugitive, mais ça ne l'empêchera pas de penser à elle, souvent, et de se demander ce qu'elle serait devenue si...