L'Académie de Lu





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Narrateur - Capitaine - Corbeau - Père + homme + vieil homme - Suif - Vieille femme + Babushka - Mère + femme + enfant

Nuage Noir

(par Salander)
(Thème : Spectacle d'images)



Corbeau et Suif sont assis autour d’un feu. Les braises crépitent dans la nuit, et on entend le bruissement de la forêt qui les entoure. Soudain un oiseau fend l’air et frôle les flammes faisant sursauter Suif alors que Corbeau reste impassible. La chouette se pose sur l’épaule de l’enfant qui la caresse doucement.

SUIF
Je ne comprendrai jamais comment tu fais pour supporter ces bestioles ! Rien que de la voir me file le frisson.

CORBEAU
Pourtant tu es bien content quand ces bestioles nous rapportent des informations. (Le rapace hulule.) Elle dit que le convoi vient de quitter le château.

SUIF, jetant un dernier regard méfiant à l’oiseau avant de s’étirer
Parfait ! Il doit bien nous rester une heure pour glander avant d’intervenir. (Observe Corbeau parler à la chouette, et la porter pour qu’elle s’envole.) Dis-moi cheffe, tu ne m’avais jamais raconté comment tu avais appris à parler aux oiseaux ?

CORBEAU
Parce que ce n’est pas une belle histoire…

SUIF, se laissant aller sur l’herbe les yeux fermés
Et pourtant tu sais combien on les adore tes histoires…

Corbeau hésite un moment, avant de saisir un bâton pour remuer les braises. Dans le ciel noir, la fumée du feu s’élève et forme des images. Une femme s’approche, elle est petite, et couverte de rides dont les courbes nous ramènent à chaque instant vers son sourire. Peu à peu, le dessin du feu se précise, jusqu’à ce que les couleurs tapissent les murs qui entourent la femme et que le monde se couvre de la lumière rose d’une aube révolue. Suif entend le hennissement des chevaux, il sent l’odeur du thé et du foin. La vielle femme passe à ses côtés sans le voir et par réflexe il retient son souffle de peur de disperser son odeur de cannelle. Elle se dirige vers un lit, et secoue tendrement la forme floue qui y git.

VIELLE FEMME
Réveille toi ma ptitsa, le jour se lève et les caravanes sont sur le départ.

FORME FLOUE, grogne en se levant
Babushka… ne m’appelle pas comme ça.

BABUSHKA, riant
Toi tu as encore été fréquenter les gamins de la ville ! Viens donc ma chérie, tes parents t’attendent pour rentrer les bêtes.

Les couleurs tournent et se mélangent, c’est la fumée de l’illusion qui bouge avec le monde. Les odeurs se mêlent, et Suif se perd pendant une seconde. Il rouvre les yeux sur une campagne immense. Le vent les frappe, l’air est d’un frais presque froid. Il retrouve la forme floue à sa droite qui siffle et cliquète pour appeler les bêtes. Des lamas et des chèvres qui tournent la tête à ses appelles. Le garçon connait ce visage de fumée dont il ne distingue que la voix, c’est Corbeau qui ne se représente que comme ça.

PÈRE
Ça c’est ma fille !

MÈRE
Le même don que son arrière grand-mère…

VIEIL HOMME, grimaçant
Heureusement qu’il n’y a plus d’oiseaux…

MÈRE
Ma fille ne sait pas parler aux oiseaux !

PÈRE
Fais attention à ce que tu dis vieil homme…

VIEIL HOMME, haussant les épaules
Je ne dis rien, et il vaut mieux qu’elle continue à en faire de même…

ENFANT
Des soldats ! Venant du sud ! Ils sont plusieurs dizaines.

Encore allongé près des braises, Suif sent dans son corps réel les contractions de son coeur accélérer. Comme tout le monde aujourd’hui il a peur des soldats, et dans l’illusion, il voit l’agitation gagner les bêtes et les humains. Corbeau cesse de siffler, les enfants et personnes âgées rentrent dans les caravanes, pendant que les adultes et les chiens viennent au devant des arrivants. L’un d’eux passe la sangle d’un fusil sur son torse, et les femmes cachent des fumigènes et armes de poing sous leur jupes. Babushka vient prendre sa petite fille par les épaules, lui embrasse ce qui doit être ses deux joues, et l’accompagne dans leur caravane. Suif reste à l’extérieur, fasciné par la scène.

CAPITAINE, faisant signe à ses soldats de s’arrêter
Je suis le Capitaine Andern de la garde de l'Empereur. J’apporte un message de sa majesté.

FEMME
Le nain au gros bidon ?

HOMME
Ou son gros bidon qui veut dévorer tout le monde ?

Le capitaine se mord la langue et les nomades éclatent de rire.

CAPITAINE, tirant de sa taille un parchemin qu’il déplie et tend devant lui
Voici le message de sa majesté : « Devant l’insuffisance de l’extermination des oiseaux, devant l’insuffisance de l’exécution des sorciers, devant l’insuffisance des mesures de restriction de liberté des nomades, pour garantir la paix, je me voie à nouveau contraint d’agir. »

HOMME
C’est vrai que s’il tue tout le monde à part lui il n’y aura plus de problème !

FEMME
Moi aussi quand mon mari me fait chier je règle ça par une bonne guerre !

CAPITAINE, coupant la parole aux rires naissants
Ayant vu l’échec des méthodes radicale je décide l'arrêt immédiat des mesures violentes.

Étonné de ne pas entendre de répartie, le garde jette un oeil au groupe face à lui qui ne réagit. Les adultes le fixe, et Suif retient son souffle avec eux en attendant la suite.

CAPITAINE
« C’est par l’éducation, que nous intégrerons ces sauvages à la nation. Chaque adulte se verra accordé des libertés s’il se met au service de la nation, dans le cas contraire il devra faire face à un durcissement des règles de commerce et de mouvement. » (Des protestations commencent à s’élever, et le garde continue plus fort.) « Chaque enfant se verra attribué une place dans des instituts gérés par l’état, pour la durée de 48 semaines sur 52. En cas de refus, l’enfant à son âge adulte ainsi que ses parents devront faire face au même durcissement de la règlementation. » (Le bruit de la révolte grossit encore, et le soldat est forcé de crier pour terminer.) « Les enfants maudits, descendants des sorciers, doivent dès aujourd’hui être réquisitionnés par l’État pour intégrer l’armée. »

Un cris déchire la foule, et le silence revient brusquement. Suif tourne la tête pour retrouver face aux parents de Corbeau verts de rage.

CAPITAINE, rangeant son parchemin
Des témoignages concordent pour affirmer qu’une enfant de votre groupe est frappée par cette malédiction. Nous sommes ici pour l’emporter et vous libérer de ce fardeau qui vous menace des oiseaux.
(Il fait un signe, et deux soldats s’approchent tirant une cage dans laquelle repose des menottes et un bâillon.) À nos côtés elle pourra garantir la paix dans son pays, être éduquée, et protégée de ses propres pouvoirs.

PÈRE
Personne ne touchera à ma fille !

MÈRE
Aux armes !

Les soldats braquent leurs fusils, mais le brouillard emplit la plaine en même temps que les cris de guerre des nomades. Les bruits du combat retentissent, et Suif fut a le corps serré d’angoisse. Jamais les nomades ne laisseraient les soldats emporter qui que ce soit, même si le rapport de force n’est pas à leur avantage. Tournant la tête vers la caravane où se cache son amie le monde tourne avec lui. Et à peine a-t-il cligné des yeux qu’il se retrouve accroupis sous une fenêtre aux côtés du visage flou de Corbeau et de sa grand-mère. La vieille femme caresse ces traits flous de fumée le regard triste, et attire le corps de sa petite fille contre le sien.

BABUSHKA
Il faut que tu partes Devoshka. Ils connaissent ton visage. Prends un sac et un cheval, je sais que tu te débrouilleras.

CORBEAU, se détachant de sa grand-mère en secouant la tête paniquée
Non, non, non, non… Je ne peux pas vous laisser ! Comment feriez-vous pour les bêtes sans moi ?

BABUSHKA, riant
Comme avant ptitsa ! C’est moins facile mais ça marche ! (Elle passe sa main dans ce qui doit être les cheveux de l’enfant et colle son front contre le sien.) Les adultes se battent pour que tu puisses t’enfuir, car tu n’as plus d’autres choix que de nous quitter. Soit pour rejoindre l’armée, soit pour rejoindre les oiseaux.

CORBEAU
Les oiseaux sont maudits Babushka !

BABUSHKA, le regard tendre
Non ma chérie. Les oiseaux ne sont pas maudits. Si l’Empereur veut nous le faire croire aujourd’hui, c’est simplement car s’envoler symbolise la liberté.

L’instant creuse son trou dans le temps, et s’immobilise entre un instant et l’éternité. Mais la réalité souffle le moment d’un coup, juste le coup d’un boulet de canon qui explose le bois de la caravane et brise tout sur son passage. Le poussière et le bruit saturent l’air immédiatement, suivis des débris déchirant l’espace. L’espace d’un instant, où Suif distingue Corbeau dans la fumée de son visage. Un visage d’enfant aux yeux écarquillés, rivés le corps sa grand-mère détruit et ensanglanté. Le sang coule dans ses rides, dont les courbes nous ramènent vers l’os saillant d’une mâchoire et un regard sans vie. Tournant la tête vers le mur ouvert, la petite fille contemple le théâtre d’un massacre que l’illusion refuse de décrire. L’horreur se bat avec la fumée du feu qui refuse d’en prendre la forme. Chaque scène du champ de bataille tressautant sans continuité comme un livre aux pages arrachées. Et au centre de l’illusion qui s’écroule, une image s’impose et s’immobilise. L’image des cadavres de ses parents aux pieds du capitaine qui la fixe. Baissant à nouveau les yeux sur le corps de Babushka, le visage de Corbeau se déforme pour se tordre de douleur trembler. Elle ouvre les lèvre et Suif cesse de respirer.

Quand son amie relève la tête vers le ciel en hurlant, c’est un nuage d’oiseaux noirs qui en descend pour tuer les soldats. Le garçon rouvre les yeux sur le présent en haletant, la nuit est claire et seul un mince ruban de fumée s’élève des restes du feu. Il se redresse et croise le regard neutre de Corbeau, elle caresse sa chouette revenue sur son épaule.

CORBEAU, amer
Je t’avais dis que ce n’était pas une belle histoire…

SUIF, tremblant
Nan au contraire.

Il se retourne pour vomir.

SUIF
Maintenant j’ai plus peur des soldats que des oiseaux.

Un rire lui répond, et quand il se se tourne à nouveau pour faire face son amie, l’enfant est debout face au flamme.

CORBEAU
Allons-y, il est l’heure…

Son regard noir reflète les braises à ses pieds, et un sourire impatient tire ses lèvres.

CORBEAU
Allons tuer l’Empereur !

Dans son dos hurle l’ombre de sa malédiction.



























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