Le blé froissé par le vent s’allongeait sous le ciel gris. L’orage pesait lourd sur la plaine, et la pâte de riz que je machais collait à mon palais. Elle avait un goût de poussière.
Finissant mon repas, je rassemblais mes affaires. Il fallait que je trouve un abri avant la pluie. Passant à mes épaules les sangles de mon sac, je serrais les dents, accroupis, et grondais en me redressant. Mes bagages étaient peut-être aussi hauts que moi, sans doute aussi lourds, un peu comme un deuxième toit. Tendus vers le ciel au-dessus de ma tête, je me penchais en avant pour résister à la force du vent. Les corbeaux balayaient la tempête, et leurs cris couvraient mes halètements. Gifles noires qui dansaient dans le ciel du champs, j’avançais au cœur des blés et des croassements. Nous étions des charognards.
Écrasé sous mon faitage, je fixai mes pieds qui se posaient entre les cadavres. La terre était gorgée d’humidité. L’odeur de pourriture se mêlait à celle de la pluie qui arrivait et du gras du sol. J’avançais sans nausée au milieu du champs.
Tous les charognards sont agités par la guerre. Mon barda pesait plus lourd à chaque bataille, et mes pas s’enfonçaient toujours plus sur leurs traces. Il n’y avait qu’un chemin, je le suivais au nez comme un vieux chien, dont les sens avaient été modelés par les années de métiers. Il n’y avait plus de temps.
Juste le cris des corbeaux, et le bruit du vent. L’air était lourd et chargé. Le paysage était étouffé sous l’orage qui menaçait d’éclater. Et j’étais la pierre entre les blés brassés, dense et pas désolée. Mon coeur était sec.
Le tonnerre gronda, mais la pluie ne tombait pas. Des roches noires se dressaient sur l’horizon. Bientôt, pour s’abriter. La destination était toujours à un pas quand on avait la patience de ne pas compter. Des corbeaux s’étaient posés sur mes bagages. Les premières gouttes s’écrasèrent sur moi quand je sortais du champ. La terre était sombre et argileuse, des dalles noires polies par la pluie perçaient sous la poussière. Je traçais ma route, sans voir plus où j'allais. Perdu sous la pluie et les corbeaux qui braillaient. La guerre ne laissait rien que des plaines en colère. Et je roulais ma bosse, cherchant une grotte sous la tempête. Mon corps était lourd des années, du poids de ces batailles entassées sur moi, rossé par le vent comme du vieux gravier. Je n’étais pas assez minéralisé, il fallait que me minéralise, pour porter, pour supporter. J’avançais.
Quand le sol cessa sous mes pieds, je stoppais ma route et me redressais.
La mer s’étalait face à moi. Éclatée comme un miroir par le soleil, elle respirait lentement comme une enfant. Je baissais les yeux au bas de la falaise, toutes les armées du monde s’étaient écrasées sur les rochers.
Un léger sourire dessina mes lèvres.
Me libérant des sangles de mon sac, je sentis mes bras soulevés par le vent. Une sorte d'allégresse faisait danser mes vêtements, et je levais la tête vers le ciel essayant de regarder au travers de mes cheveux ébouriffés. Mon rire recouvrait les croassements, et je soupirais, apaisé.
Mon corps accueille les rochers noirs fouettés par les embruns de la mer assoupie.