“Mesdames, messieurs, ducs, comtes, barons… Mes chers amis ! Merci d’être venus en si grand nombre pour ce bal costumĂ© de tous les possibles. C’est avec joie que j’annonce le dĂ©but de ces festivitĂ©s, qu’elles soient Ă©clatantes !”

A peine le dernier mot fut-il prononcé qu’une explosion lumineuse se fit, des feux d’artifices furent tirés au-dessus de la fontaine de marbre qui faisait la renommée du jardin du baron Olione. La musique débuta dès que le calme fut revenu et les convives entamèrent, certains des discussions enflammées sur la politique ou les rumeurs, d’autres des danses à la mode, d’autres enfin, le buffet garni.

Le baron, de son côté, après avoir déclamé son discours, s’était caché un instant, le temps de se masquer, voulant passer inaperçu dans sa propre fête. C’était là le meilleur moyen pour lui de connaître les on-dit sur son compte. Il avait revêtu un costume de phoenix… Comme cinq autres personnes. Derrière son loup, il feignait des sourires complaisants.

Ainsi, il appris pas mal de choses : la comtesse Sulot avait, semble-t-il, quelques vues sur lui ; elle pouvait toujours courir, il n’avait pas plus l’intention de prendre femme que de fourrer une truie. Le duc de Bereles avait envoyĂ© un espion comme valet de pied pour savoir ce que fricotait le baron dans son laboratoire ; Olione nota qu’il allait une fois de plus devoir changer tous ses valets. Enfin, l’archiduc Andillon avait des vues sur les terres du baron se trouvant Ă  l’ouest de la ville ; l’homme nota Ă©galement qu’il allait devoir faire des prospections sur ce terrain. C’était lĂ  les informations qui, selon lui, Ă©taient seules intĂ©ressantes.

Après s’être enfin débarrassé d’un invité déjà saoul et un peu trop collant, l’hôte alla se poser dans un coin pour souffler. C’est dans cette même partie de la pièce qu’il la vit. Elle avait choisi de se costumer en princesse du désert, sa robe d’azur contrastait admirablement avec sa longue chevelure noire qu’elle avait choisi de laisser tomber en cascade le long de ses reins. Sur son nez aquilin, un masque finement doré reposait avec légèreté.

Il l’avait déjà aperçue une ou deux fois, sans lui prêter réellement attention. Ce soir-là, pourtant, elle sortait du lot, c’était un papillon au milieu de larves rampantes.

“Bonsoir.” Lui dit-elle, le faisant sursauter. Il se reprit rapidement, faisant une ample révérence.

“Bonsoir, gente dame.” Elle étouffa un petit rire et en fit une des plus gracieuses.

“Vous aimez cette soirĂ©e ?

— … Pour tout vous dire, non. Les mondanités ont tendance à m’ennuyer.

— Nous sommes d’accord.” Elle soupira. “Quel malheur de devoir faire acte de présence…

— OĂą aimeriez vous ĂŞtre ?

— Je ne sais pas… Un endroit calme où je puisse contempler les étoiles.

— Un kiosque Ă  l’écart de la fĂŞte ferait votre bonheur ?

— Oui mais… Je ne vois pas où il y en a ici.

— Moi, bien !” Il lui tendit une main amicale. “Voulez-vous que je vous y conduise ?

— Présentez vous d’abord, je ne suis pas des inconnus.

— C’est juste, je manque à tous mes devoirs.” Il fit une nouvelle révérence en ne la quittant pas de ses yeux rouges. “Ailu Olione, pour vous servir.

— Laevis Vasselli.” Dit-elle en lui prenant la main dans un geste délicat.

Avec douceur, il l’emmena dehors, le long d’une rangée d’arbres au bout de laquelle se dressait un kiosque de verdure. Là, un banc de bois blanc semblait les attendre. Ils s’y installèrent. Le baron ôta son masque, rapidement imité par la demoiselle. Ils passèrent la nuit ensemble, elle lui parlant des constellations, lui l’admirant. Pour la première fois de sa vie, il ne se cacha pas derrière un masque de faux semblants. Pour la première fois, il fut lui-même avec quelqu’un d’autre, laissant les choses se faire. Cette nuit-là fut la première d’une longue série merveilleuse.