Je suis malade. Il fallait que ça tombe aujourd’hui, alors que je dois aller au centre des impôts pour régulariser ma situation. Mais ma société est florissante alors je ne vais certainement pas m’en plaindre. C’est juste que… Bon… Ça tombe mal. Avec mon mal de gorge, je ne fais que tousser. A m’en casser la voix.

Je marche seul, dans la rue luisante de pluie après les orages de la nuit. Il fait toujours moche dans cette ville de toutes façons. L’hiver s’éternise et mon moral est en berne. Je veux du soleil !

J’voudrais qu’on me lâche avec cette histoire de fausse dĂ©claration. J’avoue que j’ai peut-ĂŞtre dĂ©placĂ© une virgule. D’un ou deux crans. En pensant bĂŞtement passer sous les radars. Après tout, les fonctionnaires ne sont-ils pas tous surchargĂ©s ? Qui allait vĂ©rifier ça ? Hein ? L’état nous assomme d’impĂ´ts et j’avais besoin de souffler un peu. Alors non, rien de rien, je ne regrette rien !

C’est une maison bleue adossée à la colline qui marque la fin du quartier résidentiel. Le centre des impôts est un peu plus loin, perdu au milieu d’une zone industrielle. Le long bâtiment gris est aussi triste que les pauvres hères qui trainent leurs pieds jusque-là bas. Aussi morne que l’âme des fonctionnaires qui y travaillent. Parfois, je me demande ce que cela donnerait si quelqu’un s’amuserait à y allumer le feu.

On ira tous au paradis de toute façon. Non, il faut que je chasse ces idĂ©es dĂ©biles de ma tĂŞte. Après tout, ces gens ne font que leur travail. Moi, je vends des voyages de rĂŞve aux gens. Aux impĂ´ts ils rĂ©cupèrent l’argent que je gagne. Pour entre autres crĂ©er des routes afin que mes clients puissent partir en voyage. Economie circulaire comme on dit. Tu parles… Parfois je me demande… ImpĂ´t… Et si tu n'existais pas ?

— Ça m’énerve ! cria une voix fluette Ă  quelque distance de moi. J’en ai marre, rien ne change, comme d’habitude !

Désenchantée, ça on peut dire qu’elle l’est, la petite dame. Elle sautille sur place devant la grande porte en ferraille fermée à clé. Accroché sur le mur, un panneau en laiton gravé, indique les horaires d’ouverture. Fermé le lundi. Cela explique pourquoi il n’y avait personne dans la rue. D’un coup, elle se retourne vers moi et se met à me parler. Ses lèvres d’un rose léger se mettent à bouger. Mais je n’entends pas ce qu’elle me dit. Mon esprit est ailleurs. Ses petites joues rosies par le froid me fixent. Non pas que je sois intéressé par des pommettes. Mais la regarder dans les yeux me semble impossible. J’ai peur de m’y noyer. Allez, calme-toi. Respire.

— J’me présente, je m’appelle Henri.

— Je te promets qu’on ne m’y reprendra plus ! Je me renseignerai mieux la prochaine fois ! Je m’en vais !

— Ne me quitte pas !

Les filles d’aujourd’hui sont souvent froides, impersonnelles, ou te prennent de haut. Mais cette fille-lĂ . Je ne sais pas, elle a quelque chose en elle que les autres n’ont pas. Mon regard remonte jusqu’à ses yeux et elle se tait. Pour la première fois, je l’observe dans un silence absolu. Elle semble surprise par mes paroles. Qu’avais-je dit ? Je ne m’en souviens pas. Mais cela semble lui avoir fait plaisir, car ses joues rosissent un peu plus. Et elle me sourit. Un sourire ravageur. Un sourire qui me percute de plein fouet. Transperçant mon cĹ“ur et mon âme. Dans ma tĂŞte, il n’y a plus qu’une seule pensĂ©e qui tourne en boucle. Je l’aime Ă  mourir.

— Si tu savais comme on s’ennuie ici. Ça te dirait de… De faire un tour en ville ? me demande-t-elle d’une petite voix timide, me faisant fondre de l’intĂ©rieur. Mais je te prĂ©viens, je risque de chantonner en chemin. Parce que chanter, c’est laisser s’envoler ses soucis.

— J’irai où tu iras.

Tombé du ciel. C’est un cadeau tombé du ciel. Tout en elle me plait. Ses cheveux châtains coupés au carré dont elle replace maladroitement les mèches derrière ses oreilles quand un coup de vent la décoiffe. Même son piercing au nez lui donne un petit air mignon quand elle renifle à cause du froid qui agresse son visage. C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup.