L'Académie de Lu





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Interrupteur

(par Salander)
(Thème : dispositifs)



Guiliano était souple comme un chat, ses membres mous et sans muscles coulaient vers le sol quand il s’appuyait sur les leviers des machines. Il avait la carrure maigre des gamins des rues, et l’air ennuyé des retraités désabusés. Son nez en trompette remontait entre ses mèches noires, qu’il soufflait quand l’ennui gagnait la bataille qui se menait en lui.

— Nan Anastasia ! S’énerva le metteur en scène en soufflant par les oreilles comme une machine Ă  vapeur. Vous n’êtes pas en rythme avec Armand. Si vous courez rĂ©ellement sur scène comment voulez vous qu’il vous rattrape ?

— Pas ma faute si vot’ princesse aime les mollusques !

— Un mollusque qui doit te rattraper, intervint le prince, alors ravale ta cadence butor.

— Tu sais ce qu’il te dis le butor ?

Un puissant élan d’ennui secoua le corps du mécano si fort qu’il ouvrit la bouche pour pousser un bâillement à avaler le monde, et qu’il actionna légèrement le levier qui donna un à coup dans le décors près

— Guiliano ! Ramène tes fesses d’italiens sur le parquet ! Anastasia, l’anglais, toute la troupe, que chacun vienne poser ses deux galoches entre Jules et CĂ©sar qu’on remettent les choses en clair !

Après un petit orage de bruit de pas, la troupe de théâtre fut rassemblée sur les planches. Guiliano s’était caché tout au fond en espérant que son patron l’oublie, il enroulait sa mèche entre ses doigts le dos courbés, admirant le reflet de ses pensées sur le plancher.

— Le Grand Théâtre nous fait la chance de nous accueillir pour une seule et une seule reprĂ©sentation demain soir ! On s’est cassĂ© le train toute l’annĂ©e pour jouer ici, j’ai ramassĂ© une Ă  une chacune de vos miette pour que vous vous dressiez sur ce plancher, et alors que l’heure approche vous filez torve comme si vous croyiez que l’heure du jugement dernier Ă©tait passĂ© ! On refaire un seul, et un seul filage. Et croyiez moi que celui qui trĂ©buche retournera faire des pirouette sous le paradis aux Funambules !

Un murmure de grognement glissa parmi la foule, mais les acteurs se mirent au pas et regagnèrent les coulisses en silence. Sur le pointe des pieds, le gamin tenta de se faufiler parmi ses collègues. Mais c’était sans compter la colère du metteur en scène qui acheva de lui hurler :

— Le mĂ©cano ! Vient par ici !

Puissant soupir, tape sur l’épaule, le garnement oublia ses mains dans ses poches et se rapprocha du rebord. Avec ses rouflaquettes qui tremblait, son patron lui faisait penser à l’un de ses singes qu’il avait vu au parc. Un singes particulièrement énervé, Guiliano détailla chacun des rides sur son petit visage en grattant son menton avec un air désintéressé.

— Soyons clair gamin, t’es un génie de la bricole et c’est pour ça que je te borde. Mais si tu assure pas au niveau du boulot, tu retourneras cirer les chaussures avec tes inventions et ne compte plus sur moi pour te sortir des égouts une troisième fois. Alors tu retournes à tes rouages, et tu te concentre. Le prochain faux pas ne passera pas.

Un peu de morve gĂŞnait la respiration du mĂ©cano, alors il renifla. Se frotta le nez et hocha la tĂŞte. Il savait que son patron l’aimait bien, et que de toute façon il ne le virerait pas avant la reprĂ©sentation de demain soir, qui suffirait Ă  lui faire un nom. Après ça il pourrait aller dans n’importe quelle troupe de théâtre ! Et pourquoi pas faire du cinĂ©ma ?

Enfermé dans ses pensées, il traina les pieds jusqu’à ses leviers, qu’il réajusta distraitement avait de s’y appuyer. Luttant pour rester connecté à la répétition, alors que ses rêves prenaient toute la place dans le peu de concentration qu’il avait. Il imaginait un immense décor de cinéma, pour créer un long plan. Il y aurait tout un système de roulette pour faire bouger les objets, toute la ville et tout le ciel serait animé par ses machines et il n’aurait plus qu’à lancer la caméra et regarder ses histoires s’inventer.

— Guiliano, le soleil !

Prit d’un sursaut le gamin actionna le levier sur lequel il s’appuyait. Il en alluma un autre pour contrer l’action du premier, avant de baisser celui qui faisait apparaitre le soleil. Il se rendit compte après coup qu’il avait fait n’importe quoi et que tout allait s’effondrer, alors il cria et les acteurs fuirent alors que les rouages et les pans de peintures tombaient comme une pluie sur les planches et les coulisses. Quand le calme revient, son patron était face à lui. Une puissance locomotive à tête de singe qui allait le broyer sous lui.

Saisissant le col blanc du gamin, il le rapprocha de son visage, et lui cracha yeux dans les siens :

— Une nuit, tu as une nuit pour me réparer tout ça. Si demain soir la représentation n’est pas possible, croit moi que je m’arrangerai pour que plus personne n’accepte de t’embaucher et que tu termine ta carrière avant même de l’avoir commencé.

Puis il le laissa tomber sur le parquet, et quitta la pièce en rassemblant les comédiens pour leur annoncer que la répétition était terminée. Yeux hagards, Guiliano fixa un à un, chacun de ses collègues s’en aller en prenant à peine le temps de le saluer. Son corps de chat était paralysé.

Incapable de déterminer le moment où il se retrouva seul. L’enfant planait. Un brouillard blanc avait prit place entre ses deux oreilles, et il reporta son regard sur le cadavre de ses machines gisant en face de lui. Mince alors, c’était vraiment le bazar. Le garçon mit ses deux mains devant sa bouche pour contenir l’angoisse qu’il avait envie de vomir. Il avait emmêlé ses rêves et la réalité et à présent tout gisait sur le parquet. S’oubliant, et cessant de réfléchir. Il choisit de devenir un somnambule qui allait tout reconstruire.

— Beau travail mon garçon ! Je ne doutais pas de toi. Remettre tout ça Ă  neuf en une nuit ? C’est pour ça que je rĂ©pète Ă  mes collègues que tu es un prodige !

— …

La salle se remplissait, des gens biens habillés dont le mécano caricaturait le style avec des chiffons. Ils parlaient fort, ils parlaient bien. L’enfant dansait d’un pieds sur l’autre sans trop se rappeler la nuit qu’il avait passé à visser, suspendre, et scier.

— Comment te sens tu ? Est-ce que tu veux un cafĂ© ? Tiens je te donne le mien ! Après la rĂ©pĂ©tition tu pourras dormir, mais je compte sur toi pour faire un gros effort pour que tout soi parfais.

Le liquide était sombre, il sentait bon. Il le garda pour chauffer ses mains alors que son patron partait trottiner plus loin. Le temps passait assez vite, le cerveau fatigué du gamin voguait plus que d’habitude. L’instant d’après on sonna les trois coups, et alors que les premières scènes s’engageaient il s’accroupit parmi tout ses leviers au lieu de s’y appuyer. Sirotant le café, il cligna ses yeux de chat, et se concentra pour la première fois.

Il allait y arriver, tout allait ĂŞtre parfait.

Première scène de la maison, puis l’intérieur, ensuite la nuit. Les peintures étaient splendides, la musique guidaient son oreille et le coeur du publique. Vibrant contre le bois du plancher, il entendit les violons gonfler et les corps rougir.

Ancré dans l’instant et éveillé, comme s’il savait sans savoir ce qui allait réellement se passer, il appuya sur le levier qui abaissait le soleil et balayait la nuit.

Mais quand l’astre apparut sous le plafond, ce n’était pas une peinture. Les comédiens s’arrêtèrent de jouer et le public se mit à hurler . Un mouvement de foule fit trembler les murs. Les bruits, et les cris. Puis le silence. Guliano ne se rendit pas compte du moment où il fut seul dans le théâtre.

À pas lents, comme ses pensées, il sortit sur les planches.

Un vrai soleil était suspendue dans le ciel.




























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