Ding
Je poussai la porte avec précaution et passai la tête par l’entrebâillement. Un rapide balayage de la pièce ne me dévoila pas de présence immédiate. J’entrai, guidé par cette inextinguible envie qui me taraudait depuis que je l’avais vu à travers la vitre.
Je ne voulais pas le regarder de suite. Entrer avait déjà un pas de trop, je ne le savais que trop bien. Mais juste le contempler… ça ne pouvait pas me faire de mal après tout, non ?
Pourtant mon regard l’esquivait, balayait les vitres, l’étroit couloir me faisant face et là , à gauche, contre le mur, l’un des êtres le plus étrange qui m’ait été donné de voir.
Grand, filiforme, il m’observait, ses yeux plissés en une fente ne laissant entrevoir aucune lumière. Ses lèvres pincées, ses joues creusées, contrastaient avec des oreilles au lobe démesurée, enrichies de bijoux dorés, adoucissant son air sévère. Sa peau d’un brun sombre jurait avec le mur crème, accentuant l’aspect de noirceur qu’il émanait. Je frissonnais et me détournais, mais le poids de son regard persistait sur ma nuque.
Mais en me tournant, je lui fis face. Il était là . Je le voulais. Ardemment. Ses flancs doux, sa blancheur.
Non ! J’avais déjà cédé hier, il ne fallait pas que cela se reproduise !
Mais pourtant… que ça avait été bon, le sentir craquer sous mes dents, le dévorer sans retenue…
Non ! Ma mission était tout autre aujourd’hui, et si j’avais changé de quartier, c’était justement pour éviter ce genre de tentation…
Et toujours cet être qui me fixait, derrière, hérissant mes poils.
Me jugeait-il ? Voyait-il à travers mon être le feu, la passion, le désir, la faim ? Savait-il combien de fois j’avais laissé mes émotions m’emporter, mes envies me consumer ?
Il savait.
Il n’avait pas le droit !
Je me retournais, le foudroyait du regard, défiant son air impénétrable. Tournant le dos par la même occasion à la tentation, lui prouvant ainsi que j’étais plus fort, qu’hier n’avait été qu’une bataille de perdue, mais que la guerre… j’allais la remporter.
Nos yeux s’affrontèrent longtemps, je me retins presque de respirer. Deux statues en chien de faïence, duel implacable que je refusais de concéder, dussé-je pour ça…
« Monsieur ? »
Je sursautais. Une personne avec un tablier m’adressa un mince sourire depuis l’entrée du couloir. Je compris avant même qu’elle ne réouvre la bouche que c’était le moment de vérité… celui qui déciderait de si j’étais plus fort qu’hier, si j’avais su devenir meilleur. Je pouvais être plus grand. Je savais que je l’étais.
Résiste... résiste… résiste… ne tourne pas les yeux, même si tu sais qu’il t’attend, qu’il te rassasierait, même l’espace d’une heure… résiste…
« Qu’est-ce que vous souhaitez ? »
Les mots se bousculèrent dans ma bouche, mon hésitation à son paroxysme, mes yeux passant du fétiche africain à l’objet de ma convoitise au sol au plafond et, alors que j’humectais ma gorge, je sentis le goût de la défaite s’installer :
— Deux ba… un mille-feuille… s’il vous plaît… »