L'Académie de Lu





Pas encore inscrit ? /


Lien d'invitation discord : https://discord.gg/5GEqPrwCEY


Tous les thèmes
Rechercher dans le texte ou le titre
Expression exacte
Rechercher par auteur
Rechercher par type de défi
Tous les textes


PseudoMot de passe

Mot de passe perdu ?

Elbaronsaurus Timeline


Prise de bec

(par Salander)
(Thème : dĂ©faite)



La lune était haute sur la Capitale. Elle couvrait les rues de sa lumière pour le bonheur des mages noirs et le désespoir des voleurs. Une fois par mois, ses rayons devenaient bleutés. Et l’astre brisé touchait alors de malchance ceux qui s’aventuraient sous lui. On racontait que les âmes des morts étaient plus proches, et que les enfants nés de l’amour de ces nuits là portaient dans leur coeur la malédiction du Dieu exilé. Irvin riait de ses contes, et profitait des rues désertes pour rafler ses meilleures prises.


Invisible sur le flanc d’une tour, sa peau noire des faunes de l’ouest se fondait sur le granit du mur. À plusieurs dizaines de mètres du sol, la ville et son port et ses falaises s’étendaient à sous elle. Battue par le vent et jouissant du silence de ces nuits désolées, la voleuse grimpait avec facilité jusqu’au sommet qu’elle avait prévu d’infiltrer.


Une grosse commande lui avait été faite, par un étrange client. L’inconnu s’était présenté sous une bure de moine, la voix éraflée comme celle des marins ayant avalé le vent des mers déchainées, et quand il se taisait le souffle puissant des grottes gonflées par les vents. Un allure de pauvre, mais la main qu’il avait tendu à Irvin pour offrir une avance de son paiement était lisse et blanche comme un tissu de soie, ornée de bracelets lourds qui révélaient sa qualité de mage et un autre plus fin représentant un loup.


La voleuse n’avait plus hésité. Les prêtres de Lufus avaient toute sa confiance. Après tout, elle avait une dette envers eux. C’étaient eux qui l’avaient affranchie et prise sous leur ailes pendant plusieurs années, avant que le malheurs ne vienne les frapper.


Arrivée en haut de la tour, Irvin utilisa les stylets donnés par le mage pour désactiver les sortilèges protégeant la fenêtre par laquelle elle comptait rentrer. Une fois cela fait, elle soupira et s’essaya sur le rebord pour laisser battre ses jambes de boucs dans le vide. Grisée par la hauteur et la nuit, la faune prit un instant pour contempler la paysage qui s’offrait ses pieds.


Si elle était honnête avec elle même, la cambrioleuse devait admettre qu’elle était heureuse de ce qu’elle était aujourd’hui. Même si elle rougissait de honte à l’idée qu’une disciple de Lufus devienne une criminelle, ses nuits solitaires passées sur les toits la comblait de bonheur. Debout sur la pierre risquant sa vie à une soixantaine de mètres, bousculée par le vent et le froid de la mer, elle retrouvait une partie d’elle. Une partie qu’elle avait laissé dans les montagnes de l’ouest avant que sa meute ne croise route de braconniers qui considéraient les faunes comme des animaux. Le jour elle s’échappait de la foule et s’enfermait pour ne rencontrer personne. La nuit l’illégalité lui permettait de retrouver sa liberté. Oui, malgré tout ce qu’elle avait traversé elle avait trouvé une forme de bonheur aujourd’hui. Et elle le protégeait comme un bijoux précieux qui se vole ou qui se brise.


AmusĂ©e par un corbeau voltigeant près d’elle et se grillant le bec sur les sortilèges de la toiture, la criminelle se releva et fit craquer son dos. Les corbeaux n’étaient-ils pas censĂ© dormir la nuit ? Qu’importe ! Cela lui faisait un peu de compagnie.


Sortant ses outils pour ouvrir la fenĂŞtre, l’opĂ©ration prit quelques minutes de plus que d’habitude en raison de tous les sortilèges Ă  dĂ©faire. Sans les griffes blanches que lui avait donnĂ© son client et la lumière bleue qui affaiblissaient les Ă©critures, la voleuse aurait Ă©tĂ© bien incapable de forcer cette tour ! L’antre Ă©tait très bien gardĂ©e… son propriĂ©taire devait ĂŞtre puissant.


Sautant en silence dans la pièce, il ne lui restait que quelques minutes avant que les sortilèges ne se remettent en place et ne l’enferment. Et seul Lufus savait ce qui adviendrait d’elle si on la dĂ©couvrait. Ses yeux sombres de faune capables de voir dans l’obscuritĂ©, Irvin observa le cabinet autour d’elle. La tension s’enroula autour de ses veines au fur et Ă  mesure qu’elle prenait conscience de ce qu’elle voyait et qu’elle se demandait comment trouver sa commande parmi les montagnes de foutoir surplombant sa petite taille !


La pièce fourmillaient d’objets aux formes étranges, pendants du plafonds ou empilés sur le sol. Les télescopes et outils de cuivres aux reflets brillants disparaissaient entre des piles de parchemins. Des cartes affichées aux murs étaient cachées derrières les colliers, bougies, et talismans suspendus, qui laissant entendre un léger tintement sous la brise qui avait accompagné Irvin. Il régnait dans l’antre une odeur de bois rouge et d’encens, donnant un aura d’adulte à ce terrain de jeu pour grand enfant. Commençant à fouiller sans perdre une seconde, la faune n’avait que peut de temps pour trouver dans ce bazar un sextant. Elle laissa échapper un ricanement fébrile en se rappelant que voler n’était pas un jeu et que sa tête était mise à prix.


Un bruit sourd la dĂ©tourna de son travail et son ami le corbeau tomba Ă  cĂ´tĂ© d’elle. Surprise, Irvin Ă©clata de rire en pensant qu’il Ă©tait vraiment maladroit, mais l’ignora vite. Combien de temps s’était-il Ă©coulĂ© ? Sans doute trop pour qu’elle puisse s’attarder sur l’oiseau. Glissant quelques objets de valeurs dans sa poche, elle trottina vers un autres coin de la pièce et recommença Ă  fouiller. Des pĂ©piements se firent entendre, dĂ©tournant Ă  nouveau la cambrioleuse de son travail pour poser un regard mĂ©dusĂ© sur le groupe de mĂ©sange entrĂ© par la fenĂŞtre ouverte. Bruyantes et agitĂ©es elles commencèrent Ă  jouer dans les papiers Ă©parpillĂ©s.


Qu’est ce que c’était que ça ? La lumière de la lune bleue qui dĂ©rĂ©glait le sommeil des oiseaux ? La voleuse fronça les sourcils en secouant la tĂŞte et se reconcentra sur sa fouille, tentant d’ignorer les animaux voltigeant dangereusement autour d’elle.


— C’est une blague ! S’écria-t-elle soudain alors que deux mouettes entraient dans la pièce. On est dans une volière ou un observatoire !


Mais lĂ , sous les rayons durs de la lune et les parchemins soulevĂ©s par le vol des oiseaux Irvin repĂ©ra sa cible qui brillait. Se prĂ©cipitant sur lui elle le recouvrit de son ombre et s’en saisit. Lourd au creux de sa main, fait de bois noir, d’or et d’argent. S’il n’avait pas Ă©tĂ© la commande d’un mage prĂŞtre de Lufus jamais elle n’aurait cru qu’il ait plus de valeur qu’un banal sextant. Observant les arrĂŞtes de outils, elle fut Ă©tonnĂ©e de voir qu’aucun sortilège n’y avait Ă©tĂ© gravĂ©. Pour quelle raison ce simple objet Ă©tait-il convoitĂ© ?


Se redressant puis se retournant vers la fenêtre sans quitter son larcin des yeux, Irvin réfléchissait. La morale des prêtres de Lufus était noble, pour qu’ils fassent appelle aux services d’une voleuse c’est qu’il devait y avoir une raison suffisamment grave. Il n’était pas dans ses habitudes de questionner les demandes de ses clients, mais la faune avait la douloureuse sensation de porter dans sa paume un objet d’une grande importance.


C’est quand elle releva la tĂŞte vers la fenĂŞtre que sa crainte se confirma, et qu’elle tira sa dague d’un rĂ©flexe sec. Puissante et silencieuse, une immense silhouette se dressait entre elle et l’ouverture. Majestueux dessin Ă©crasant la minuscule cambrioleuse dans son ombre, sans qu’elle ne l’ai remarquĂ© Ă  cause de ses yeux qui s’adaptaient Ă  l’obscuritĂ©. Dans un concert de battements d’ailes et de cris, les oiseaux s’étaient rassemblĂ©s et volaient autour du buste de l’inconnu immobile, frĂ´lant de leurs ailes ses Ă©paulettes argentĂ©es. Reculant d’un pas Irvin se rendit compte qu’elle Ă©tait incapable de dĂ©terminer ce qu’était l’individu. Plus grand que toutes les autres crĂ©atures qu’elle avait rencontrĂ©, l’intrus dominait la faune d’une fois sa taille. Une longue cape plus sombre que le noir couvrait son corps, et son visage Ă©tait cachĂ© derrière un masque lisse lui donnant l’allure d’un bec. Il Ă©tait dessinĂ©s d'arabesques bleues et asymĂ©triques qui semblaient briller dans la nuit. Un regard jaune irisĂ© de noir luisait derrière des ouvertures en amendes et posait sur la voleuse un regard attentif de chouette. La faune sentit sa gorge se nouer, et ses phalanges pâlirent sur l’arme qu’elle serrait, prĂŞte Ă  bondir !


Le poing sortit brusquement de la cape et Irvin brandit sa dague au dessus de sa tête en s’accroupissant au même instant. Elle était serte petite, mais les faunes avaient de jambes puissantes et d’excellents réflexes. C’était au sol prête à tailler et à sauter qu’elle était le plus puissante. Pourtant la voleuse ne bougeait plus, tous les sens en alertes. Ses pupilles rétrécies, son corps tendu, et ses oreilles pointues braquées, elle attendait que l’inconnu s'engage en premier. Elle saisirait la moindre ouverture pour sauter par la fenêtre et s’enfuir, quitte se rattraper plus bas sur la paroi et à racler son corps sur la pierre. La chute lui faisait moins peur que l’ombre en face d’elle.


Mais l’ombre ne bougeait pas, et Irvin n’avait plus la notion du temps. Elle fixait le poing immobile dans l’air sans savoir s’il s’était écoulé un quart de seconde ou une heure, et sursauta manquant de bondir quand il fit de courts mouvements verticaux.


— Un, deux, trois, pierre, feuille, ciseaux ! Clama l’inconnu en tendant deux de ses longs doigts fins pour faire une paire de ciseaux.


La voleuse cligna des yeux sans comprendre, analysant le gant argenté aux griffes métalliques qui la menaçait, avant de relever sa tête vers le regard de chouette.


— Hein ?


— Tu n’as pas jouĂ© ? Alors on recommence ! Allez. Enjoint la voix ronde et fĂ©minine en serrant le poing. Un, deux, trois, pierre…


— Attendez vous vous fichez de moi ! Se rĂ©volta Irvin en se relevant. Vous vous interposez face Ă  moi et prĂ©tendez rĂ©gler ça avec un putain de pierre feuille ciseaux ?


Sa voix à elle portait la sècheresse des montagnes brûlantes et l’âpreté de la colère. Si petite et si tendue elle contrastait avec le hululement doux de la silhouette souple, qui inclina la tête en l’observant.


— Nous sommes venues pour la mĂŞme chose non ? Voler le sextant. Je veux bien te donner une chance de repartir avec, et pour que ce soit Ă©quitable, il faut que ce soit le hasard qui dĂ©cide de cette chance. Ça pourrait ĂŞtre amusant de faire reposer l’avenir du monde sur un jeu d’enfant ? Tiens ! Quelle est la probabilitĂ© de gagner du premier coup au pierre feuille ciseau ? Est-ce que les inconscients psychologiques qui dĂ©terminent ce qu’on dĂ©cide changent selon les races ? D’ailleurs, je ne crois pas avoir vu beaucoup de faunes aux iris bleus. D’oĂą viens-tu ?


— Finissons-en. Ordonna Irvin gênée avec un claquement de langue.


Les deux adversaires tendirent le poing, leurs deux Ă©nergies s’affrontant dans la pièce. Si l’oiseau de nuit en face avait l’air amusĂ© et dĂ©tendue, la voleuse avait la gorge serrĂ©e et l’esprit agitĂ©e. Pourquoi l’inconnue avait-elle mentionnĂ©e l’avenir du monde ? Que reprĂ©sentait ce sextant pour qu’un ĂŞtre pareil s’intĂ©resse Ă  lui ? Pourquoi intĂ©ressait-il les prĂŞtres Lufus ?


Mécaniquement, Irvin agita le poing en rythme avec la chanson qu’elle chantait avec l’inconnu. Sa conscience était vide et vibrante comme un bruit blanc. Quand elle le maintint serré et le brandit comme une arme, et que l’ombre l’étendit souplement pour faire une feuille, la faune déglutit douloureusement.


Qu’allait-il advenir d’elle ?




























© 2021 • Conditions générales d'utilisationsMentions légalesHaut de page