Li-èb est un artisan, un petit commerçant perdu au fin fond de l’espace connu, sur une station oubliée. Plus jeune, il était promis à un grand avenir, si ce n’était la volonté de son ancien patron.

Son emprisonnement dans ce lieu perdu tient à une simple erreur de jeunesse, une simple signature qui est désormais dans l’ensemble des bases de données de la Fédération. Lorsqu’il a signé son contrat, le jeune adulte n’en a pas pris connaissance convenablement. Alors en fin de crise d’adolescence, il désirait prouver à sa famille son aptitude à se débrouiller seul, à être indépendant. Trouver un travail ailleurs dans la galaxie, à deux bras de distance, lui semblait alors être une bonne démonstration de ses aptitudes.

S’il avait lu, s’il avait tenté de demander conseil à ses proches, il aurait remarqué le dol. Il aurait pris garde à la ligne indiquant qu’il “accepte d’hériter des titres de l’ancien propriétaire si ce dernier décide de quitter la société”, aux conditions de cession abusives et lui empêchant de mettre volontairement l’établissement en faillite pour être libéré de ce poids.

Bien évidemment, il lui serait possible de faire annuler certaines de ces conditions, mais ses demandes auprès de l’administration régionale sont restées sans réponse. De plus, il sait très bien comment mettre en danger la société, petit à petit, sans briser son interdiction, mais cela l'obligerait à ne plus se rémunérer, à demander de l’aide, mais il a trop honte désormais, trop honte pour appeler ses proche qu’il n’avait daigné écouter. Et puis, il est vrai qu’il a fini par s’y attacher, à cette petite bicoque.

Il parvient à la tenir à flot, tant bien que mal, avec quelques opérations par mois qui lui permettent de ne pas sombrer. Ses bilans, malheureusement, ne sont jamais suffisamment bons pour lui permettre de sortir la tête convenablement.

Au fond de son atelier, ses différents éléments proprement exposés, Li-èb laisse un soupir lui échapper. Affalé sur son fauteuil bien dissimulé, il se contente de lire une revue spécialisée, indiquant les innovations mécaniques ainsi que les brevets arrivant enfin à expiration, lui permettant de voir ce qu’il peut améliorer, avec des années de retard, sur ces objets qu’il vient finalement à considérer comme ses enfants.

Le carillon, offert par son père lorsque ce dernier à appris qu’il avait récupéré l’enseigne, se fait entendre, signalant l’arrivée d’une personne dans le magasin. Probablement un simple badaud cherchant son chemin, comme les deux derniers jours. Cela n'empêche pas notre artisan d’espérer que, pour une fois, son chef-d’œuvre ne sera pas ignoré et libérera son étalage.

— Bonjour, et bienvenue chez l’Argonaute LibĂ©rĂ©. Notre devise, Acheter et Vendre au meilleur prix. Je suis Li-èb, que puis-je pour vous ?

Son accroche, son discours, qu’il connaît par cœur depuis ses premiers jours, n’a jamais changé. Son sourire marchand et son intonation engageante, eux, se sont améliorés avec le temps et les clients jusqu’à parvenir, selon lui, au plus haut degré de maîtrise.

Le nouvel arrivant, cependant, le surprend de par son apparence avant même d’ouvrir la bouche. Cette personne a tant utilisé de chirurgie génique et d’implants que tout aspect de dimorphisme est lissé, rendant impossible d’identifier son sexe au premier regard, tandis que des attributs supplémentaires sont visibles. Des poils parcourent la totalité de sa peau exposée, une fourrure couleur sable aux motifs noirs, ses oreilles ne sont plus à une place humaine et ses pupilles sont fendues désormais. Lorsque sa bouche s’ouvre, aucune langue humaine n’en sort, mais un ensemble de grognements et de feulements, que le traducteur présent dans son implant auriculaire traduit sans problème, comme à chaque fois qu’il rencontre un de ces excentriques ayant décidé de vivre une vie plus proche des animaux que celles des humains.

— Bonjour. Mes griffes sont trop aiguisĂ©es et brisent mon matĂ©riel de navigation, pouvez-vous vous occuper de ce problème pour moi ?