Au palais, tous les servants s’attelaient aux diverses tâches nécessaires à la préparation des festivités. Noemy, une jeune fille d’à peine treize ans maniait avec dextérité des fleurs qu’elle devait tresser pour créer des décorations du plus bel effet. La reine l’avait choisie expressément pour son habileté sans pareille et elle s’acquittait de sa tâche avec fierté.

L’agitation autour d’elle ne brisait pas sa concentration. Toute à sa tâche, elle préférait ignorer les jalousies des autres servantes à son encontre. Elle savait pertinemment qu’on la voyait comme l’une des préférées. De son côté, elle pensait surtout que c’était aux autres de faire davantage d’efforts si elles voulaient être bien vues. Toutefois, cette simple pensée finit par la tracasser suffisamment pour qu’elle tende une oreille.

« Regarde-la, la petite et obéissante Noemy… Quelle sale peste, celle-là ! Mais j’ai une petite idée qui la fera bien moins faire la maline. »

Noemy regarda en arrière. Deux servantes s’éclipsaient discrètement. La jeune fille hésita un instant. Devait-elle continuer son ouvrage ou chercher à savoir ce que mijotait Marjorie et Tiana. Elle hésita encore, regarda la grande horloge et la quantité de travail qu’il lui restait à faire. Elle estima pouvoir prendre une demi-heure pour s’assurer que l’inimitié de ces deux ne lui causerait pas offense en ce jour très important.

La servante laissa les décorations florales en attente et prit les deux autres en filature. Peu à peu, elles s’éloignaient des agitations pour rejoindre les étages supérieurs. Lorsque Noemy retrouva les deux autres juste au-dessus de la salle où aurait lieu le mariage. Un grand miroir se trouvait au plafond. Au moment venu, un mécanisme ouvrirait une trappe entre les deux pièces et la lumière du jour se refléterait vers le bas, créant une colonne de lumière. Véritable symbole divin et présage de bonheur pour les jeunes époux, cette étape constituait, paraissait-il, une vision de rêve. Paraissait-il du moins, les servantes ne prenant jamais part à ces festivités.

Noemy s’interrogea. Que pensaient faire Marjorie et son acolyte en ces lieux ? Et surtout, en quoi cela pouvait-il lui nuire ? Ses questions eurent tôt fait d’avoir réponse. Les servantes les plus importantes avait un ruban dans les cheveux. Un ruban portant leur nom, de manière à ce que les invités puissent les nommer avec aisance… Et Marjorie avait dérobé l’un de ses rubans de réserve. Quoi qu’elle veuille faire, il lui suffisait de le déposer sur les lieux de son offense pour que tous les soupçons retombent sur elle. Sans hésiter, elle quitta sa cachette.

« Vous, là ! Qu’est-ce que vous fichez ici ? Les servantes n’ont pas le droit d’entrer en ces lieux. Pas davantage vous que moi.

— Oh, mais nous ne sommes jamais venues ici, Noemy, répondit Tiana.

— Toi, en revanche, saleté, tu ne sauras dire le contraire, car nous t’avons vu et allons te dénoncer. »

Marjorie lança le ruban en direction du grand miroir. Le ruban s’accrocha à l’une des fixations de l‘objet. Puis en ricanant, les deux servantes quittèrent les lieux en courant. Noemy hésita. Si elle laissait son ruban là où il avait atterri, elles allaient alerter un garde et elle serait châtiée… Mais si elle grimpait pour le retirer, pourrait-elle finir son ouvrage à temps ? Elle se décida rapidement et commença à grimper le long des poutres qui longeaient le mur. Sa robe lui rendait la tâche difficile, mais elle était résolue et poursuivait son ascension avec courage. Il lui fallait faire vite. Le plus vite possible. La pièce était haute. Probablement dans les six mètres de hauteur. Alors qu’elle en avait atteint la moitié, elle regarda déjà la suite de son trajet.

Elle n’était habituellement pas athlétique, mais la peur lui donnait des ailes. La peur allait devoir être plus littérale car le parcours l’obligerait à se suspendre à bout de bras. Lorsqu’elle atteignit le plafond, elle entendit la garde qui arrivait déjà, ainsi que les ricanements à peine étouffés de Marjorie et Tiana. Le reflet du soleil contre le miroir l’aveuglait presque, mais Noemy se lança. Les premiers centimètres mirent ses muscles à rude épreuve. Le premier mètre lui endolorit les bras. Le second la fit gémir. Quant au troisième…

Peu importait ce qu’elle ressentait, trois gardes étaient arrivés et l’invectivèrent de descendre immédiatement. Un bruit suspect au-dessus d’elle la fit tressaillir et lorsqu’elle regarda, elle vit une fixation tomber. De toute évidence, elles n’avaient pas été conçue pour supporter davantage que le grand miroir. Elle ferma les yeux lorsqu’elle le vit se détacher et sentit ses mains lâcher. L’ouvrage d’argent écrasa les gardes. Se brisant au sol, des éclats sautèrent en tous sens. Au bout de quelques instants, Noemy regarda avec terreur les deux servantes qui jamais plus ne lui joueraient de sale tour. Quant à elle, la peur lui avait plus que donné des ailes. Elle flottait désormais dans les airs, deux grandes ailes déployées dans son dos...