L'Académie de Lu





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Justice aveugle

(par Zandra-Chan)
(Thème : Situation)



Sur la place avaient Ă©tĂ© disposĂ©es trois grandes tables en arc de cercle. Pas pour festoyer, comme ç’aurait dĂ» ĂȘtre le cas, mais pour rendre justice.


Le forgeron ventripotent jeta un regard dĂ©daigneux vers celui qui, jusqu’à la veille, Ă©tait encore un de ses meilleurs clients.

— 
 Qu’est-ce t’as Ă  dire pour ta dĂ©fense ?

Le malheureux interrogĂ©, tĂȘte basse, les yeux hagards, ne l’entendait mĂȘme pas. Les fantĂŽmes de ses alliĂ©s et de ses adversaires dansaient devant lui. Il recula sur sa chaise face Ă  un coup de dague invisible, retenu dans son mouvement par les lourdes chaĂźnes qui reliaient son cou et ses poignets meurtris.

L’assemblĂ©e de villageois le regardait avec autant de haine que de mĂ©pris. Il Ă©tait le seul Ă  ne pas dĂ©plorer le siĂšge vide du chef du village, au milieu des juges. Et pour cause


— DARIANN ! RÉPONDS QUAND ON T’PARLE ! beugla le tavernier au bord de l’hystĂ©rie.

Le forgeron posa une large main sur l’avant-bras de son ami. Celui-ci menaçait de se lever pour rendre lui-mĂȘme la sentence. Mais le fabricant d’armes et d’outils comprenait bien la colĂšre qui animait son voisin de table. C’était son Ă©pouse, la cheffe du village qui avait pĂ©ri lors de cette expĂ©dition de routine. Il Ă©tait normal qu’il veuille des rĂ©ponses.

Le grand bonhomme revint vers le prisonnier. Il lui fallut une profonde inspiration pour ne pas hausser la voix lui aussi.

— Dariann, tu es parti avec ÉloĂŻne et deux mercenaires expĂ©rimentĂ©s. Comment est-ce que votre Ă©quipe a pu ĂȘtre dĂ©cimĂ©e par un petit groupe de gobelins ? Tu nous expliques ?

Le futur condamnĂ© marmonna une rĂ©ponse. Comme en Ă©cho, un murmure parcoura la foule, satisfaite d’avoir enfin un dĂ©but d'Ă©claircissement.

— RÉPÈTE PLUS FORT, IMBÉCILE ! Ă©cuma le maĂźtre de la seule auberge.

— 
 plein
 ils Ă©taient
 p-plein
 beaucoup trop
 bien plus
 que
 que ce qu’on avait prĂ©vu
 trop
 les gobelins


Le forgeron plissa les yeux. Il n’arrivait pas Ă  compatir avec le jeune soigneur. Son rĂŽle Ă©tait d’ĂȘtre Ă  l’arriĂšre, d’ĂȘtre le support. Hors, il se plaignait d’avoir dĂ» relĂącher la protection qu’il attribuait Ă  la cheffe du village pour se protĂ©ger lui-mĂȘme. InsensĂ©. Tout le monde savait qu’ÉloĂŻne Ă©tait une paladin hors pair ; elle n’aurait jamais permis cela, mĂȘme avec “un peu plus de gobelins que prĂ©vu”.

— Vous auriez dĂ» pouvoir y faire face. Alors, explique-nous, clairement cette fois
 Comment la situation a-t-elle dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e ?

Dariann releva pĂ©niblement la tĂȘte. Il semblait au bord des larmes. Un fait qui n’allait pas Ă©mouvoir grand monde. La haine et la douleur de la perte de leur cheffe tant aimĂ©e effaçait toute empathie.

— 
 Je-... J’ai


Le mage de soin dĂ©glutit avec peine. Le peu de luciditĂ© qu’il avait encore connaissait dĂ©jĂ  l’issue de cette parodie de procĂšs : au mieux, il serait banni ; au pire, il serait exĂ©cutĂ©. À quoi bon plaider ? Ils avaient dĂ©jĂ  tous un avis arrĂȘtĂ©.

— 
 Quand les mercenaires ont vu
 que plus de gobelins sortaient des trous entre les racines
 ils ont
 ils ont voulu boucher


Le cƓur au bord de l’explosion, il voyait encore la scĂšne se jouer, pour la Ă©niĂšme fois. Il entendait encore les cris des petites crĂ©atures, les appels des deux guerriers, la supplique d’ÉloĂŻne pour qu’ils restent Ă  portĂ©e de son aura protectrice.

— 
 ils Ă©taient trop loin
 je ne pouvais plus
 EloĂŻne a voulu les rejoindre
 je n’ai plus pu la soigner non plus


Le prisonnier tressauta sur sa chaise. Il sentait encore la dague artisanale d’un gobelin lui tailler le mollet alors qu’une flĂšche se plantait dans son Ă©paule. Il se souvenait tout aussi vivement de la morsure du poison dans lequel les deux armes avaient trempĂ©es.

— 
 les
 les montres m’ont
 attaqué 

Dariann hoqueta, retenant de justesse la bile qui lui montait Ă  la bouche.

— 
 je
 j’ai dĂ» me soigner en priorit-

— BALIVERNES ! trancha le tavernier. ELOÏNE N’AURAIT JAMAIS LAISSÉ LA SITUATION DÉRAPER !

Le veuf enragé frappa du poing sur la table.

— ET QUAND BIEN MÊME ! C’EST LA CHEFFE DU VILLAGE ! TU AURAIS DÛ LA PROTÉGER, COÛTE QUE COÛTE !

Les vocifĂ©rations de l’homme en deuil fut vite suivi par les exclamations de toute la population.

Le jeune mage laissa sa tĂȘte retomber vers le sol. Il n’avait pas la force. Pas la force de lutter contre cette foule dĂ©chaĂźnĂ©e, ni contre ce mari rendu mĂ©connaissable par la perte de son aimĂ©e.



Dariann s’était laissĂ© traĂźner comme un poids mort jusqu’à la sortie du village. Il ne s’y Ă©tait jamais vraiment senti chez lui, mĂȘme aprĂšs y avoir vĂ©cu cinq longues annĂ©es. Il n’était restĂ© que pour ÉloĂŻne, il fallait dire.

Il quittait Ă  prĂ©sent les lieux, en rampant, les habits en lambeaux et le visage en sang. Les habitants, qui l’avaient “escortĂ©â€ jusqu’aux frontiĂšres du patelin, n’avaient pas manquĂ© de lui laisser chacun un souvenir de leur colĂšre.

Avec difficultĂ©s, le soigneur se releva pour clopiner vers les champs. L’esprit embrouillĂ© par tous les coups reçus, il ne pu empĂȘcher l’idĂ©e qu’il Ă©tait rĂ©ellement responsable de la mort d’ÉloĂŻne de s’ancrer.


Il s’effondra Ă  moins d’un kilomĂštre du bourg. Alors qu’il perdait conscience, il sentait sur son Ăąme le poids de la culpabilitĂ©. Celle d’avoir laissĂ© mourir la seule personne qui ait jamais cru en lui, la seule personne qu’il avait jamais admirĂ©e






(si ça vous intĂ©resse, sachez que Dariann survit
 Ce qui lui arrive ensuite, en revanche, n’est pas encore Ă©crit)




























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