L'Académie de Lu





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Rêve à bouscule

(par Salander)
(Thème : caravelles)



— Putois d’ingrat ! Rat du bagne ! Dire que pour toi je me tue Ă  la tache. Jactes autant que tu veux petit père, j’en ai fini avec toi !

Claquant la porte de l’atelier, Sylvain s’arrêta sur le perron pour souffler par les narines le vent qui tempêtait en lui. Traversé par un tourbillon de colère emportant le monde avec, il serrait le manche de son violon aveugle à la rue et son agitation. Il avait 16 ans et pour toute possession ses deux bottes et son instrument.

— Souffrerie de vie…

Marchant sans destination, l’adolescent n’était plus qu’un amas de sentiment qui n’avait plus nul part ou échouer. Prit dans la tempête il filait droit, la tornade dans son corps ne faisait pas tanguer ses pas. Jusqu’à ce qu’un coup dans son tibia lui fit pousser une exclamation cachée dans une série de jurons.

— Ça ne vous arrive jamais de regarder oĂą vous marcher !

— Oh non ! Pas souvent. Je prĂ©fère trĂ©bucher, me perdre un peu, dĂ©ranger beaucoup ! Que tu danses ou que je danse quand on cogne c’est toujours une valse qui commence la bagarre !

« Il est fou », songea Sylvain en observant son interlocuteur faire semblant de tomber et tourner sur lui-même comme un homme qui danse avec l’alcool.

— C’est ça, bonne journée.

— Attends attends le musicien ! OĂą vas-tu comme ça ? Compter fleurette Ă  une amante ? Combler le vide dans ta besace ? Coucher sur la table les cartes dans ta manche ?

— Je vais partout lĂ  oĂą tu n’es pas, alors va trĂ©bucher plus loin !

— Si tu peux aller partout, c’est que tu n’as nulle part ou aller. Que vous devez ĂŞtre triste messire, la jeunesse Ă  peine entamĂ©e que vous ĂŞtes dĂ©jĂ  seul et sans aucune route sous les pieds. Comment aimer se perdre quand notre boussole nous a abandonnĂ© !

Cessant d’avancer, Sylvain dévisagea l’inconnu qui avait grimpé un lampadaire et se penchait sur le côté pour lui barrer la route. Visage sans âge aux yeux bleus, peau grise et burinée par la poussière de l’espace. Il avait les traits tordus, ridés par un sourire fielleux incrusté dans sa peau. Plus petit que lui d’une quarantaine de centimètre, le garçon se demanda si le fou n’était pas un nain. Mais il avait les jambes longues, couvertes de poils que laissaient apparaitre son pantalon trop court. Il était miteux et bariolé, l’image même du marin qui a laissé son esprit entre deux voies lactées et qui ne sait plus marcher dès qu’il retrouve la gravité.

— Je n’ai pas besoin de ta pitiĂ©. J’aurais honte qu’un misĂ©rable comme toi se prĂ©occupe de mon sort. DĂ©gage de mon chemin, et va dĂ©ranger ailleurs !

— Tu es l’ailleurs musicien, et ta peau blanche de lunien doit prendre les milles couleurs de l’ailleurs. Ne me méprise pas musicien, car je sais que je serai ta boussole et que tu seras mes mains.

Le pirate avait sautĂ© de son lampadaire, et tournant autour de Sylvain, il ne dĂ©tachait pas ses yeux des siens. L’adolescent dĂ©glutit et s’empĂŞcha de reculer d’un pas. Les yeux bleus avaient ils vraiment les pouvoirs que leurs confĂ©raient les contes ?

Un sourire carnassier déchira les lèvres du bouffon prêt à manger.

— Je sens ton angoisse musicien ! Je sens la haine et la solitude qui guide tes pas et te consume ! Tu n’as nulle part ou aller musicien, tu n’as plus personne Ă  Ă©couter si ce n’est ce qui veut te bouffer. Tu veux bouffer le monde, tu dĂ©bordes de tout, et tout doit dĂ©border ! Immense musicien ! Qui ne voit pas la terre et tourne dĂ©versant son coeur de tous les cĂ´tĂ©s ! Prends le cap musicien ! Car la tempĂŞte va te dĂ©vorer si tu continues de sombrer.

— Mais oĂą ?

Un filet acide s’était entrelacĂ© avec sa gorge, et Sylvain sentait son coeur remonter dans sa poitrine et chatouiller les cordes de sa voix. Le fou l’oppressait, et mettait le doigt sur ce qui le tourmentait. Il Ă©tait le messager ! Le danseur des filets bleus de la destinĂ©e. Les contes avaient raison !

Le démon sembla s’apaiser, et escalada un tonneau pour s’y accroupir et chuchoter.

— Rejoins la caravelle, carambole et cours après moi. Tes mains blanches vont apprendre Ă  serrer les cordes, et ton violon Ă©gayera les marins. Vous partez Ă  la recherche d’un trĂ©sor !

— Quel trĂ©sor ?

Les yeux bleus du faune se couvrirent des reflets des rĂŞves de Sylvain.

— Un Dieu l’a laissĂ© sous les eaux, tout le monde l’a oubliĂ©. Le bâtiment part dans une heure direction l’autre cĂ´tĂ© de la galaxie. Gonfle les voiles musicien, tu as encore du chemin !




























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