“Mademoiselle? Vous êtes là?”

Aucune réponse. Le vieil homme soupira, il commençait à avoir l’habitude des escapades incessantes de sa jeune maîtresse. Pour être sûr de ne rien avoir à se faire reprocher, il toqua encore quelques minutes à la porte de bois rouge avant de se décider à entrer.

A peine eut-il franchi la porte que tous ses sens se mirent en alerte. Quelque chose n’allait pas. Certes, la jeune demoiselle n’était pas connue pour être des plus organisée mais… Cette fois c’était différent. La chambre n’était pas qu’en désordre, elle était sans dessus dessous, rien qu’à la voir, on pouvait deviner qu’il y avait eu lutte. Et cette odeur… une effluve qui vous prend à la gorge et vous reste en tête pendant plusieurs minutes.

Sans attendre, le majordome fouilla la pièce des yeux. Aucun indice n’était présent. Rien qui puisse aider à savoir qui… La fenêtre! Elle baillait sur l'extérieur, laissant des feuilles mortes et le froid s’engouffrer dans la pièce. L’être forestier s’y précipita. La chambre se trouvait au deuxième étage mais un grappin avait visiblement été fixé à la rambarde. Les traces d’un chariot se distinguaient dans la terre mouillée. Et cette odeur… Un anesthésiant probablement. Les types qui avaient enlevé Quilyan étaient des professionnels à n’en pas douter.

Le dryade n’eut aucune hésitation. Dans un premier temps, il alla avertir le père de la jeune demoiselle. Ce dernier envoya immédiatement le corps d’élite de ses chevaliers à la recherche des criminels tandis que l’homme nymphe partait mener son enquête de son côté.

***

La nuit commençait à tomber quand les traces du chariot s’arrêtèrent. De bien piètres professionnels. Ils n’avaient pas fait attention aux indices qu’ils laissaient. Sans doute avaient-ils trouvé la tâche trop simple et avaient donc baissé leur garde.

Cependant, la disparition de la piste et du chariot lui-même n’augurait rien de bon. Surtout au milieu d’un bois réputé pour ses brigands. Gard descendit de sa monture. Il s’agenouilla et tâta le sol. Sec. Ce n’était pas normal avec la pluie qui était tombée ces derniers jours. Le serviteur marcha sur quelques mètres avant de trouver de nouvelles traces, des empreintes de pas allant en direction de fourrés. Il marmonna.

“Non… Ils n’auraient pas été stupides au point de penser qu’effacer leurs traces sur quelques mètres suffirait à nous décourager?!...”

Il suivit encore quelques minutes le cheminement des brigands, ils étaient trois d’après ce qu’il pouvait voir, et l’un d’eux portait une charge lourde. Des éclats de voix commencèrent à se faire entendre puis, une lumière se mit à poindre dans l’obscurité. Le majordome s’y dirigea en quelques foulées silencieuses, sa peau d’écorces et ses cheveux de mousse se fondant dans le décor à la perfection, seuls ses vêtements le rendaient repérable, d’un rouge soutenus, ils n’étaient pas vraiments fait pour le camouflage.

Il arriva vite à une petite maisonnée délabrée, faite de bric et de broc à l'intérieur de laquelle trois silhouettes semblaient festoyer. Gard se glissa jusque sous la fenêtre et jeta un rapide coup d'œil. C’était bien eux. Quilyan était solidement ligotée à un poteau, en robe de chambre, visiblement en train de se réveiller. Quand elle ouvrit les yeux, elle ne semblait pas plus surprise que ça de voir sa situation, ni très inquiète.

“Brave petite, première leçon, ne pas céder à la panique… Seconde leçon, voir s’il est possible de se détacher discrètement… Troisième leçon, regarder s’il n’y a pas un allié à se faire ou des secours qui sont déjà arrivés.”

Comme en réponse à son chuchotement, la jeune fille tenta durant plusieurs minutes de défaire ses liens, sans succès, puis, aussi discrètement que possible, elle observa l’endroit, ses geôliers et l'extérieur. Il ne lui fut pas difficile de repérer la tête bien connue de son domestique. L’homme sylvestre se mit alors à gesticuler de façon à lui faire comprendre quelque chose, mais quoi… Après quelques minutes de concentration, elle finit par comprendre. “Transformes toi!”

Pas la peine de le lui répéter deux fois. Elle ferma les yeux et se concentra de toutes ses forces. Pas question de se transformer en quelqu’un d’autre, ça ne servirait à rien. Non, il fallait qu’elle devienne un animal, un petit. Au bout de quelques minutes, elle rouvrit les yeux, un goût étrange et agréable lui arrivait, un goût de venin. Elle se regarda. Un serpent! Parfait! Sans plus attendre, elle fila à travers la pièce et passa sous la porte où son ami la récupéra. Elle reprit forme humaine et ils se mirent à courir vers la monture restée en arrière.

“T’en as mis du temps!

— Vous avez dormi tout le temps, pas la peine de le nier, ça se voit à votre visage.”

Elle lui tira la langue alors qu’ils arrivaient au fier destrier.