L'Académie de Lu





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La dernière demeure

(par Ellumyne)
(Thème : tailleur)



Le soleil était haut dans le ciel et Harlan transpirait à grosses gouttes dans son atelier. Pas tant à cause de la chaleur, mais plutôt sous la pression de la commande qu’il avait reçue ce matin. Tailler les pierres tombales de Bartholomeus Winchester et Wyatt McCoy avant la nuit. Ces deux abrutis avaient décidé d’organiser un duel après qu’ils se soient rendu compte qu’ils courtisaient la même jeune femme, qui au passage ne s’intéressait à aucun des deux. Mais pour prouver leur virilité, quoi de mieux que de s’affronter au pistolet au milieu de la ville, devant une foule en délire.

Il était habituel pour Harlan de confectionner des sépultures. Ce qui l’était moins, c’est qu’après avoir branché leur cerveau, les deux énergumènes s’étaient rendu compte qu’ils n’étaient peut-être pas si fins tireurs que cela. Et plutôt que de perdre la face en l’avouant publiquement, ils avaient pris le parti de s’enivrer au point de se remplir d’un courage qu’ils n’avaient pas. Ce qui faussait totalement les statistiques. L’artisan se basant habituellement sur les compétences des deux adversaires pour prédire le gagnant, aujourd’hui ce dernier n’avait donc pas d’autre choix que de préparer les deux pierres. Avec un peu de chance, se dit Harlan, elles auront chacune leur cadavre, et il n’aura pas travaillé pour rien.

Coup après coup, le burin entaillait la pierre pour former des lettres et Harlan maudit intérieurement ce Bartholomeus Winchester qui aurait pu avoir la décence de naitre avec un patronyme moins long… Il continua malgré la sueur qui lui piquait les yeux et faisait glisser les outils dans ses mains. Son marteau manqua de peu d’écraser un pouce buriné par les âges qui se retrouva malencontreusement sur le chemin de la tête de métal. Mais l’artisan avait encore des réflexes vifs. S’épongeant le front, il recula pour admirer son travail. Les lettres n’étaient pas parfaitement alignées, mais peu importait. S’il y avait un survivant, il serait trop bourré pour le remarquer.

Le tailleur souleva la lourde pierre à la seule force de ses bras et la déposa en ahanant, sur un chariot, afin de l’emmener au cimetière. Là, il recommença la manœuvre pour la placer à l’extrémité de la première fosse creusée le matin même par son apprenti. Il épousseta la stèle funéraire avec un sourire satisfait. Plus qu’à faire la même chose pour la seconde et il aurait fini pour aujourd’hui. Il pivota, mais son pied glissa sur la terre meuble et Harlan bascula en arrière. Dans la panique, il s’agrippa à la pierre. Malheureusement, n’étant pas solidement fixée au sol, au lieu de le soutenir, elle bascula sur lui. L’artisan chuta lourdement au fond de la tombe dans un nuage de poussière et sa tête heurta un caillou. Le choc lui fit perdre connaissance.

Une lointaine dĂ©tonation le rĂ©veilla en sursaut. Dans le noir complet, il essayait de retrouver ses esprits. Ses mains tâtant la terre autour de lui, il se mit Ă  tousser Ă  cause des particules qui lui emplissaient les poumons. Était-il ici depuis longtemps ? Si le bruit qu’il avait entendu Ă©tait un coup de feu, alors cela faisait bien plusieurs heures qu’il Ă©tait enfermĂ© sous terre. La panique le gagna Ă  nouveau. Combien de temps pouvait-on respirer dans un endroit clos aussi petit ? Il se mit Ă  hurler, mais tous les habitants Ă©taient sur la place principale pour profiter du spectacle. Le spectacle ! Mais oui, bientĂ´t, on allait lui amener un corps. Et il serait sauvĂ©. Cela le calma un peu et il s’assit en tailleur au fond de son trou et attendit. Un peu. Beaucoup. Longtemps. Son souffle se fit Ă  nouveau plus rapide et son esprit se mit Ă  divaguer. Et si les deux idiots du village avaient rĂ©ussi Ă  se rater ? DĂ©jĂ  que sobres, ils avaient peu de chance de se toucher Ă  bout portant… Alors… Personne ne viendrait jamais le chercher !

— Harlan ? Harlan z’êtes oĂą ?

La voix étouffée de son apprenti lui remonta le moral immédiatement.

— Ici ! hurla-t-il d’une voix caverneuse.

Un cri de bête sauvage accompagna les efforts du petit jeune quand il poussa de toutes ses forces la stèle sur le côté.

— Eh ben alors ? Qu’ez vous faites ici ? Z’avez ratĂ© tout le spectacle. C’était beau Ă  voir ! Personne n’est mort, mais le ch’val de mon’sieur Blackwood a pris un plomb dans la croupe. L’est pas content. Allez, v’nez, sortez d’lĂ .

Et c’est avec un immense soulagement mêlé d’amertume qu’Harlan attrapa la main de son apprenti. Tout ça pour ça…




























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