L'Académie de Lu





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Academy Universe - ancien lore


Papillons bleus foncés

(par Salander)
(Thème : mĂ©canique)



Le gargouillis gras du vaisseau roulait de l’oreille jusqu’à la gorge. Il résonnait dans les muscle, une vibration interne interrompu par les sifflements de la chaudière.


— Quand elle siffle plus pendant 10 minutes, implore ton Dieu parce que ça veut dire qu’elle a décidé de nous emporter.


— Ça arrive souvent ? Ne put s’empĂŞcher de demander Johan en dĂ©glutissant.


— Assez régulièrement. Répondit le contre-maitre. Le filtre s’encrasse, et empêche l’écoulement. La pression monte et elle finit par sauter comme un train sous les mains d’un rebelle. Les filtres petit, c’est le morceau papelard qui nous tient à la vie.


Le garçon hocha la tête, distrait par le monde dans lequel il marchait. Cave ronflante, qui grouillait d’ouvriers noirs comme du pétrole et suintait de coulis acides s’échappant des cuves. Ils marchaient dans un ventre qui se gonflait comme une orgue. Un orgre qui avalait cette masse de fourmis en bleu de travail, et les laissaient vivre dans les fumées de souffre de son estomac. Mais si on y réfléchit vivre c’est un petit peu comme mourir progressivement, et travailler aux navires c’est un petit peu comme accepter de se tuer.


Johan avait neufs ans, et les doigts fragiles des enfants qui ont eu la vie facile. Sa soeur avait travaillé aux navires pour lui permettre d’étudier, elle y était morte. À présent il avait le choix entre crever chez eux ou crever maintenant.


— Voici ton poste. Reprit le contre-maitre. Tu serres chaque écrous qui passe devant toi. Loupe en un seul, l’alarme se déclenche, le maitre arrive pour te coller une rouste, et crois moi qu’après ça tu rateras plus un seul écrou.


Le vieil homme lorgna l’enfant qui acquiesçait, et poussa un soupire d’envie et de mépris. Ce sale gosse, sentait le savon et l’ignorance, il avait dans les yeux cette lueur que les navires ou les coups tueraient trop rapidement. Une quinte de toux l’ébroua, remonta ses poumons et le força à se détourner pour cracher ses bronches. Il savait qu’il n’en avait plus pour longtemps. Après avoir survécu à ses amis, à sa femme, à ses fils. Après avoir pris la couleur des navires et la voix des tuyaux, il faisait maintenant partie de la machine, et n’attendait plus qu’à mourir.


Crachant une dernière gerbe noire aux pieds de Johan, il s’essuya les lèvres, enfonça sa casquette sur sa tête, et laissa l’enfant sombrer dans le même avenir que lui.


Johan était plus maladroit que le contre-maitre à son âge. La clé était lourde, les écrous allaient vite. La machine imposait son rythme, et l’enfant courrait après elle en suant par ses pores ses dernières rêveries.


Les navires ne laissaient pas le temps de penser, l’orgre ne cessait de croitre et de se déployer. Coeur organique de la cité commerçante d’Atlante, il ne s’arrêterait que lorsqu’il n’y aura plus personne à broyer de sa langue. Chaque jour et chaque nuit un nouvel ouvrier donnait sa vie au profit d’une noblesse juteuse et riche. Les deux monde ne communiquaient pas, la fumée s’infiltrait partout sauf au delà des classes sociales.


La fumée danse, court, et tue. Elle faisait tousser Johan, et le ralentissait dans sa tâche. Le souffle court, le coeur tendue, l’esprit lent, il était dépassé par la machine comme si celle ci accélérait à chaque instant. Quand la sonnerie sonna, il était déjà en train de courir à l’écrou suivant, quand le maitre le souleva par le col il s’étouffa et trembla comme si le monde s’écroulait brusquement.


Quand il revient à lui, il se demanda s’il ne valait pas mieux mourir. Sa respiration était sifflante, et chacun de ses os vibrait d’une douleur sourde. L’air lui raclait les poumons, et le bruit assourdissant de l’usine lui parvenait comme depuis derrière une vitre. Son regard flou s’ouvrit sur le ciel au dessus de lui, tombé dans les bas-fonds de l’usine, au dessus de sa tête s’étendait l’immensité du réseaux de tuyaux, de chaudières, et de machines.


Écrasé par l’immensité de ce monstre artificiel, étouffé par ses muscles asphyxiés, un grondement gonfla dans sa gorge, l’étrangla en remontant jusqu’à son crâne, et déborda par ses yeux sous la forme de larmes.


Sa soeur l’avait prévenu, les premiers jours étaient les plus durs. Une fois brisé, tout coulait. Il suffisait de travailler et de recommencer.


Mais Johan ne voulait pas s’éteindre ! Il avait vu sa soeur mourir avant de mourir, faner de jour en jour, comme on noie une braise ou l’étouffe. Il l’avait vu cesser de chanter, dessiner, faire des origamis avec lui. Il avait vu la machine lui imposer après son rythme et ses pensĂ©es, et en s’aliĂ©nant elle s’était faite dĂ©vorĂ©e.


Johan ne voulait pas y croire, il avait espĂ©rĂ©. Il se pensait plus fort ! Plus vaillant ! Plus intelligent ! Mais maintenant, il se rendait compte qu’il Ă©tait en train de rĂŞver comme un enfant. Et qu’il allait bientĂ´t cesser de rĂŞver cette enfance…


Une terreur sourde et intense le prit. Une terreur capable de lui faire perdre l’esprit. Une terreur non pas du maitre, du temps, des chaudières. Une peur de laisser sa créativité et ses rêves disparaitre.


Se redressant les yeux aguards, il observa le monde autour de lui suspendu à son esprit. Tout était silencieux quand il oubliait le monde pour s’enfermer en lui. Un immense sourire le prit quand il remarqua un monticule de papier qui reposait non loin de lui, et il réussit à s’y trainer en gloussant comme un nouveau né.


Plus tard, quand le contre-maitre vint chercher les filtres à changer pour les chaudières dans la réserve, il ne trouva pas ces précieux morceaux de papelards dont la vie de tous les ouvriers dépendaient.


Ă€ la place, il se retrouva face Ă  une montagne de papillons de papiers.




























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