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Schrödinger![]() Spectacles![]() ![]() ![]() Juste un vilain deÌfaut(par Salander)Lâodeur de cigarette avait imprĂ©gnĂ© le cuir rouge des canapĂ©s et me grattait la langue. Raclant ma gorge, je gardais les yeux fixĂ©s sur le cadre accrochĂ© au mur. Une photo jaunie, oĂč une trentaine de personnes souriaient Ă lâobjectif. Elle pendait sur un papier peint rouge et blanc, jaunie aussi. Sans lâodeur de cigarette, et le tic-tac oppressant de lâhorloge jâaurais pu me croire tombĂ© dans les jupes de ma grand-mĂšre. Ce nâĂ©tait pas le cas, mais je nâallais sans doute pas tarder Ă la rejoindre dans sa tombe.
â Pourquoi tâes tu mis dans cette situation petit ? Tu devrais savoir que je nâaime pas tuer les gens.
La voix grave me rappela Ă la rĂ©alitĂ©. Si on pouvait appeler rĂ©alitĂ© ce temps Ă©pais, alourdie de poussiĂšre et de fumĂ©e. Je tournais avec regret mon regard sur le second occupant de la piĂšce. Son corps comme sa voix couvaient une puissance comme un grondement. Le rĂąle des annĂ©es de combat imprĂ©gnĂ©es Ă mĂȘme la peau jusquâĂ donner Ă sa voix et son regard une profondeur noire. Je dĂ©glutis en me forçant Ă ne pas me dĂ©tourner encore une fois. JâĂ©tais venu pour cet homme, cet homme Ă la peau grise et qui me rendait moite.
â Câest mon plus gros dĂ©faut monsieur. Je ne voulais pas me faire passer pour un espion, je suis juste curieux.
â Et tu te rends comptes que tâapprĂȘtes Ă crever pour un dĂ©faut ? Cracha le docteur. Tu ferais un trĂšs mauvais espion, tu nâas pas la tĂȘte sur les Ă©paules. Lâhomme recula dans son fauteuil, inspira un long trait de cigarette, et le siffla lentement avant de reprendre adoucie. Tu vas crever bĂȘtement petit, je peux bien tâaccorder un dernier souhait. Que puis-je tâapprendre pour satisfaire une derniĂšre fois ta curiositĂ© ?
Mon coeur se mit Ă battre plus fort. Une foule de pensĂ©es sâagitĂšrent dans ma tĂȘte et jâoubliais dâavoir peur. Ce docteur Ă©tait le plus savant du monde ! Il avait travaillĂ© et volĂ© dans tous les laboratoires, fait ses propres expĂ©riences sans se soucier des rĂšglementations internationales. Il connaissait tous les chefs dâĂtats et tous les chefs dâĂtats le connaissaient ! Je pouvais lui poser toutes, absolument toutes les questions je savais quâil me rĂ©pondrait !
JâhĂ©sitais un instant, avant de reprendre :
â Dites moi⊠comment en ĂȘtes-vous arrivĂ© lĂ ?
â Plait-il ? SâĂ©tonna-t-il en haussant un sourcil ?
â Je crois que si jâai risquĂ© ma vie pour vous monsieur, câest parce que vous ĂȘtes ce qui me fascine le plus ! Vous devez savoir ce que câest, ĂȘtre capable de tout sacrifier pour sâapprocher de ce qui nous intĂ©resse ! Alors racontez-moi sâil vous plait, racontez-moi ce qui vous a value dâĂȘtre poursuivi et redoutĂ© par le monde entier !
Un petit rire sâĂ©chappa de ses lĂšvres, et il Ă©crasa sa cigarette sur lâaccoudoir de son siĂšge. Se penchant vers moi les babines retroussĂ©es, je dĂ©glutis sous son regard jaune qui me tailladait. Il Ă©tait un dĂ©mon, celui qui avait causĂ© la fin du monde !
â PrĂ©pare toi Ă rire mon fils, bientĂŽt tu seras le seul Ă connaitre la naissance du docteur Sylvan !
Récit du docteur Sylvan.
La plupart des histoires de mĂ©chants commencent par une enfance douloureuse. Ou quelconque hasard de la chance ou disposition de caractĂšre qui les conduit Ă devenir ce quâils seront ensuite. La mienne ne prĂ©sente aucun intĂ©rĂȘt, Ă part que jâai tuĂ© mes deux parents dans une expĂ©rience Ă 12 ans et que jâai brĂ»lĂ© trois fois mon collĂšge. Que jâai eu le bac Ă 15 ans et mon doctorat 8 ans plus tard. Que les plus grands chercheurs du monde mâont serrĂ© la main et que je dinais aux plus grandes tables. Quand lâopĂ©ration multivers sâest dĂ©clenchĂ©e pour rĂ©pondre au problĂšme de la crise climatique, jâavais 25 ans, et je fis parti des plus grands chercheurs et chercheuses qui ont eu lâhonneur dâĂȘtre appelĂ©s pour y participer. Quâest ce quâon Ă©tait beaux sur les photos ! On bombait le torse si fiers, sans se rendre compte que nous serions exploitĂ©s sur des tĂąches sans intĂ©rĂȘts pendant que les vĂ©tĂ©rans se gardait la recherche intĂ©ressante et paradaient devant les camĂ©ras. Lâambiance Ă©tait maussade, et je me dĂ©sintĂ©ressais vite de ces gens. Jâavais besoin de plus de dĂ©fi ! Dâaventure et de risques Ă poursuivre !
Chaque chercheur arrivait le matin les yeux cernĂ©s et le regard vide, les nuits remplies du travail de la veille quâon terminait en veille. Jâarrivais chaque matin les yeux cernĂ©s moi aussi mais le regard vif ! Chacune de mes nuits Ă©taient remplies par mes propres recherches pendant que je mâarrangeais pour rĂ©partir mon travail en trop Ă mes collĂšgues. Jâavais un grand projet : celui de ramener Ă la vie mes parents ! Les tuer avait Ă©tĂ© la plus douloureuse expĂ©rience de ma vie, et je voulais acquĂ©rir la puissance de ne plus jamais la revivre ! Mes deux parents seraient Ă nouveau Ă mes cĂŽtĂ©s, et je pourrais les garder enfermĂ©s avec moi le temps de dĂ©cider quoi faire dâune invention pareille. Ils Ă©taient tous les deux plus intelligents que moi, puisque jâĂ©tais Ă©goĂŻste et indiffĂ©rent. Jâavais besoin de leur morale et de leur confiance !
Jâapprochais du but, en mĂȘme temps que notre Ă©quipe approchait du multivers. La planĂšte se mourrait et les gens nous priaient comme des Dieux ! Je ricanais en coin en imaginant toute la gloire que jâobtiendrais si je parvenais Ă rĂ©veiller les morts ! Peut-ĂȘtre que je deviendrais vraiment un Dieu ? Il fallait que je me dĂ©pĂȘche de faire revenir mes parents. Le processus nâĂ©tait thĂ©oriquement pas trĂšs compliquĂ©, mais avec les chiffres tout parait simple jusquâĂ ce quâon se demande comment le rĂ©aliser. Jâavais trafiquĂ© la machine du multivers afin dây incorporer la mienne, mais jâaurais besoin dâune Ă©norme quantitĂ© dâĂ©nergie. Bien plus que pour ouvrir un portail test, et bien sĂ»r, je nâaurais droit quâĂ un seul essai.
Le jour de la rĂ©vĂ©lation au grand publique approchait. Les portails essais Ă©taient de plus en plus concluant. Ătrangement ils demandaient assez peu dâĂ©nergie, puisquâil sâagissait de crĂ©er une petite extension du monde et non pas dâaller chercher des gens Ă un endroit prĂ©cis dans lâespace-temps. LâhumanitĂ© pourrait en installer un dans chaque pays afin de dĂ©placer les exploitations et dĂ©chets carboniques dans ces espaces et faire retrouver Ă la planĂšte un cycle normal. LâhumanitĂ© paraissait sauvĂ©e, mais il lui fallait mon invention ! Et il fallait que je lâachĂšve avant la grande rĂ©vĂ©lation !
La fusion atomique venait dâĂȘtre dĂ©veloppĂ©e, et il me restait deux jours pour connecter lâusine Ă la machine et terminer les rĂ©glages. Il fallait que jây arrive ! LâopĂ©ration Ă©tait risquĂ©e. La surveillance Ă©tait Ă son maximum, et on avait besoin de moi de tous les cĂŽtĂ©s. Câest au cours de la nuit prĂ©cĂ©dent la rĂ©vĂ©lation que jâarrivais en courant dans la salle de la machine. Jây Ă©tais seul, et jâĂ©tais essoufflĂ©. Il avait fallu que je convainque les gardes et dĂ©tourne lâattention de mes collĂšgues. Il faisait noir, et je frissonnais dâexcitation.
Au final, je me dis que ce qui arriva Ă©tait une fatalitĂ©. AprĂšs tout, ce ne serait que la 5Ăšme fois. La planĂšte a explosĂ© en mĂȘme temps que lâusine Ă fusion nuclĂ©aire, et tu connais la suite. Nous vivons sur ses dĂ©bris, mais lâhistoire nâest pas finie !
Retour dans la piĂšce.
Le docteur se leva, et mâintima de le suivre. Je trĂ©buchais Ă sa suite le souffle encore court Ă cause de son rĂ©cit, et lâaccompagnais dans une sĂ©rie dâescaliers. Ainsi Ă©tait nĂ© le docteur Sylvan ? Je songeais Ă son rĂ©cit alors que nous nous enfoncions toujours plus profondĂ©ment dans les entrailles du dĂ©bris de Glace.
Un bruit de loquet rouillĂ© me tira de ma rĂȘverie, et je relevais le regard sur le monde autour de moi.
Lâair Ă©tait humide, de lâeau goĂ»tait de la pierre. Face Ă moi, le docteur dĂ©verrouillait une lourde porte noire.
â OĂč sommes-nous ? Interrogeais-je.
Un demi-sourire éclaira son visage.
â Tu me plais petit, je nâai pas envie que ta mort sois dĂ©finitive.
â Attendez, je pensais que le multivers nâexistait plus ! MâĂ©patais-je. Vous avez trouvĂ© un moyen de faire revenir les morts ?
â Mieux petit ! Ricana-t-il. Je leur ai construit un royaume dont je suis le Dieu ! AprĂšs tout, personne ne sait que je suis celui qui les a tuĂ©.
Quand la porte sâouvrit, la lumiĂšre se dĂ©versa sur moi.
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