“Bien! Vous avez compris ce que j’attend de vous?”

L’homme, les yeux écarquillés de fatigue, secoua la tête. Le scientifique se frotta les yeux d’agacement.

“Bon… Visiblement j’ai affaire au plus grand débile de l’histoire… Vous voyez cette horloge?” Il désigna l’objet pendu au mur en face de la paillasse. “Vous la voyez?! Dans dix minutes très exactement, je vais vous injecter le venin que je viens de recueillir sur ce serpent que vous voyez dans le vivarium. Dans onze minutes, votre corps devrait commencer à réagir à ce venin. Bien sûr, je ne vous en injecterais pas assez pour que vous mouriez, je ne suis pas un monstre! Mais vous en aurez assez pour que votre corps réagisse comme si vous aviez reçu la dose fatale, je dis bien, comme si, car là est la nuance. Vous finirez sans doute dans un coma de quelques jours, mais là n’est pas l’important, sachez que, grâce à votre sang et aux anticorps que vous développerez, je pourrais concocter un antidote sans commune mesure. Vous comprenez ce que ça signifie?!”

L'homme regardait la pendule avec attention, le discours de l’autre lui passait au-dessus de la tête, seule la pendule comptait.

Huit minutes!

“Non! Non, vous ne comprenez pas! Comment pourriez-vous comprendre?! Seul mon génie en est capable!... Et quelques péquenauds un peu plus futés que les autres… Mais passons. Ce que vous ne comprenez pas, mon garçon, c’est que, après des années d’explorations et de recherches sans fin, je vais enfin atteindre mon but, obtenir la panacée! L’antidote ultime! Grâce à vous, je vais devenir le sauveur de l’humanité toute entière! Grâce à vous je serais reconnu! Aimé! Acclamé! Adoré! Je deviendrais le nouveau Pasteur! Tous ces pseudo scientifiques se prosterneront devant ma gloire et ravaleront les injures qu’ils m’ont faites, ils reconnaîtront enfin leur erreur et me mettront sur le piédestal que je mérite! Toutes nos souffrances n’auront pas été vaines mon ami.”

Cinq minutes.

“Vôtre sang, ce sang si précieux, il m’apportera, gloire, renommée, pouvoir! J’ai hâte! Dans quelques minutes, j’aurais vaincu les maladies, les empoisonnements et les cancers, le fruit d’années de travail et de mon génie!”

Quatre minutes.

Le fous se mit à danser dans la pièce en fredonnant la chevauchée des Walkyries de Wagner. Il allait et venait, les yeux remplis d’une folie pure qui ne s'estompait qu’une fois le venin injecté. L’homme le savait, il en avait l’habitude. Pendant longtemps il avait espéré que ce cauchemar finisse enfin, il avait prié tous les dieux et les déesses existantes pour être libéré de ce vieux fou.

Jamais il n’avait été entendu. Il savait bien que, même si le cinglé le prétendait, ça ne serait pas la dernière injection. Chaque jour, de nouvelles maladies, de nouveaux poisons étaient découverts. Rien ne pourrait le délivrer de son calvaire. Rien…

Deux minutes.

Le fous s’en prenait maintenant au Boléro de Ravel. Rien ne pouvait l’arrêter, si ce n’est la joie de mener à bien ses expériences atroces.

Une minute.

“Ça va bientôt être à nous mon garçon, nous allons enfin y arriver. L’entrée en scène sera grandiose!”

L’homme ne l'entendait plus, les yeux fixés sur l’horloge.

Trente secondes.

Plus rien ne pouvait le sauver de cet enfer, si ce n’est une mort douce et bienvenue.

Dix secondes.

Le fou tenait sa seringue prĂŞte.

Cinq secondes.

Le contact froid sur la peau.

Trois secondes.

La sensation de l’aiguille qui s’enfonce dans la chair.

Deux… Un…

La porte craqua sous les coups d’un bélier et des hommes armés s’engagèrent dans la pièce illuminée seulement par une lampe de salle d’opération.

“Plus un geste! Mettez vos mains bien en évidence!”

Le cinglé poussa un rire glaçant.

“Vous arrivez trop tard messieurs! L'expérience suit déjà son cours! Demain, j’aurais la panacée! J’aurais la gloire!

— Ferme là, ordure! Colles toi au mur, les mains dans le dos! Alex! Appelle une ambulance, tu veux. Ce gars va avoir besoin de soins urgents. Vous deux, détachez-le, on peut pas le laisser dans ce mouroir. Hector, emmène ce dingue dans le panier à salade, il y fera moins le malin.”

L’homme n’en croyait pas ses oreilles. Il était libre! Ses yeux ne voyaient plus, son corps le brûlait, mais il était libre. Alors, soulagé, il se laissa emporter, le sourire aux lèvres.

“Alors?

— Y a plus rien à faire… Désolé.”